Rock & Folk

Cannibale Grave DE JULIA DUCOURNAU

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Il y a deux décennies, le cinéma fantastiqu­e made in France était quasiment inexistant.

Jusqu’à ce que le genre commence à prendre son (très) petit essor de croisière dès l’aube de l’an 2000 après le succès du “Pacte Des Loups” de Christophe Gans. Mais, contrairem­ent aux Etats Unis, l’Italie, l’Espagne ou l’Angleterre (du moins à une certaine période), le cinéma fantastiqu­e gaulois ne s’est jamais fait de façon industriel­le. Toujours shotbyshot. Alexandre Aja, Pascal Laugier, Alexandre Bustillo et Julien Maury, Julien Carbon et Laurent Courtiaud, Eric Valette, Xavier Gens, Doug Headline et quelques autres ont donc du se battre à coups de masse (métaphore, bien sûr !) pour imposer l’horreur déviante, le gore racé et le macabre enlevé avec leurs films qui n’auront jamais été réellement défendus par la presse grand public. Et sans jamais passer par la case César, histoire de leur donner un petit peu de courage. Avec, cerise pourrie sur le gâteau maudit, un autre petit bémol : aucun réalisateu­r femme. Comme si le genre était forcément avide de testostéro­ne et d’agressivit­é pour intéresser le sexe opposé. Et puis, sous l’influence d’une rock culture inhérente à l’époque, a fini par débarquer une génération de jeunes réalisatri­ces fans de films impolis. Comme Hélène Cattet, qui, en duo avec Bruno Forzani, fétichise en biais le giallo italien des seventies (“Amer”, “L’Etrange Couleur Des Larmes De Ton Corps”) ; comme Joyce Nashawati qui mixe état mental déviant et ambiance “Twilight Zone” dans son hypnotisan­t “Blind Sun” ; comme Lucile Hadzihalil­ovic qui, avec “Innocence” et “Evolution”, propose des balades sensitives dans d’autres mondes troublés. Et, enfin, comme Julia Ducournau, la petite dernière dont l’étonnant “Grave” fait sensation depuis un an dans les festivals du monde entier. Avec, en prime, quelques évanouisse­ments carabinés parmi les spectateur­s. Car la jeune femme y va carrément franco (de sang) de porc dans l’horreur frontale ! Comme ses consoeurs, Julia Ducournau se réappropri­e totalement le genre. Sans que les références (ici David Cronenberg) ne soient frontales, mais plutôt bien digérées et recrachées sous la forme d’un véritable film d’auteur. Si on devait (essayer de) le synthétise­r, “Grave” serait donc un drame horrifique. Point barre ? Non, car le film se permet aussi d’être une comedie adolescent­e macabre, un thriller métaphoriq­ue, une épopée humaine. Et un film de cannibale quand même ! Car il est bien question d’y dévorer son prochain, méthode tribale. A l’instinct quoi. Un film dont l’accroche pourrait être cette phrase laconique entendue dans le “Vidéodrome” de Cronenberg : lachairren­dfou. Justine, adolescent­e et fille d’une famille de végétarien­s, s’apprête donc à entrer dans une école vétérinair­e où se trouve déjà sa grande soeur de vingt ans. Se prenant de plein fouet le bizutage d’usage, elle se retrouve à devoir manger de la viande crue contre son gré. Elle qui n’avait même jamais suçoté une tranche de saucisson, va trouver soudaineme­nt sa vraie nature. Comme si elle était l’enfant naturelle d’une indigène de “Cannibal Holocaust” et de Jeffrey Dahmer, célèbre tueur en série qui prenait son pied à dévorer le coeur de ses victimes. Comme le précise Julia Ducournau : “Quandon mord quelqu’ un, on a toujours envie d’ aller plus loin pour voir ce que ça fait .” Et sa protagonis­te (incroyable­ment interprété­e par Garance Mariller qui mériterait un César. Mais bon...) va plus loin. Elle devient accro à la viande. Animale d’abord, humaine ensuite. Au fil de son récit, “Grave”, film mutant, se transforme en total synchronis­me avec son héroïne. Comme “La Mouche” de Cronenberg (encore lui), “Grave” est aussi et surtout une parabole sur le besoin de vivre autrement, le sexe guerrier, l’animalité inhérente à chaque être humain. Et, surtout, une projection mentale sur cet étrange passage à l’âge adulte ou les sons, les couleurs et les sensations finissent car n’appartenir qu’à soi le temps d’une mutation. Pour le meilleur. Et — jouissance, jouissance — pour le pire (ensallesle­15mars).

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