Rock & Folk

RADIOHEAD

Voici vingt ans, le groupe d’Oxford triomphait avec un troisième album glauque et aventureux : “OK Computer”.

- Basile Farkas

Il y a toujours dans une fête un convive qui ne s’amuse pas. En 1997, la pop anglaise vit une fastueuse période. Oasis bombe le torse avec un “Be Here Now” encore plus orgueilleu­x que les précédents. The Verve cartonne, Supergrass est génial, Suede se prend pour Bowie, Blur essaie de sonner comme Pavement mais côtoie encore les Spice Girls dans les charts. L’optimisme règne, et tout le monde se réjouit de l’arrivée au pouvoir du New Labour de Tony Blair. Dans ce tableau, Radiohead déboule avec un troisième album qui contraste totalement, le fascinant “OK Computer”.

Arpège savant et choeurs grégoriens

A dire vrai, le groupe d’Oxford a toujours été à

côté. Quand sort son premier album, “Pablo Honey”, en 1993, les esprits simples voient dans le tube “Creep” et son refrain à grosses guitares une réponse britanniqu­e au grunge. Face à tel raccourci, le guitariste Jonny Greenwood fait la moue et préfère dire son admiration pour les Pixies et Sonic Youth. L’album suivant, “The Bends” (1995) contient douze chansons et autant d’hymnes. Radiohead a épuré les arrangemen­ts et l’écriture. Le quintette se cherchait, avait des maniérisme­s qui évoquaient parfois Queen, il a désormais un son bien à lui. Une pop déprimée, habitée, aventureus­e, à l’indéniable puissance. A l’été 1996, Radiohead assure la première partie de la méga-vendeuse Alanis Morissette. Va-t-il glisser vers une musique facile ? C’est tout le contraire. Au grand dam du public américain, les Anglais testent un morceau en plusieurs parties, assez tortueux. C’est la première version de “Paranoid Android”. Au printemps de l’année suivante ce morceau de plus de six minutes (avec des parties agencées dans un autre ordre) sera le single annonciate­ur de l’album. “Paranoid Android” n’est pas exactement un morceau des frères Gallagher : on y trouve des mesures à sept temps, deux solos tordus, un arpège savant et des choeurs grégoriens. Le plus étrange est que ce titre qui frôle le précipice prog est un incontesta­ble hit. Radiohead a déjà gagné la partie et suscité une folle attente quand sort le disque vingt jours plus tard, le 16 juin. Le quintette a préparé son coup en s’isolant dans un manoir du quinzième siècle près de Bath, en compagnie de Nigel Godrich, ingénieur du son sur “The Bends” et désormais producteur. Une drôle aura émane de ces nouvelles chansons. Il est question dans les paroles de société déshumanis­ée, de consuméris­me aliénant, de suicide au monoxyde de carbone, d’accident de voiture et de police de la pensée. Radiohead, clairement, a lu George Orwell. Et Michel Houellebec­q, déprimé d’un autre genre, citera le groupe dans son “Plateforme” à venir. Musicaleme­nt par contre c’est une féerie où le quintette trouve un équilibre miraculeux. Emballés dans une production futuriste et glauque, les morceaux témoignent d’un savoir faire hallucinan­t. C’est l’apanage des très grands : Thom Yorke sait écrire des refrains universels avec des suites d’accords complexes. La lennonienn­e “Karma Police”, “No Surprises” et son glockenspi­el, “Airbag”, “Lucky” ou la tétanisant­e ballade “Exit Music (For Film)”, toutes ces choses emmènent la pop anglaise à des hauteurs stratosphé­riques. Dans les pages de ce journal Thom Yorke affirme l’exigeant credo d’un groupe signé sur une major mais décidé à faire comme il l’entend : “C’est ‘tu piges ou tu piges pas’, point barre.”

Mal à l’aise

BASILE FARKAS Coffret “OK Not OK” (XL/ Beggars) Victoire, beaucoup de gens pigent et c’est désormais dans un Zénith plein à craquer que Radiohead joue quand il passe à Paris. Plus que ça : tandis que les journalist­es délirent sur le génie des Anglais, les groupes se mettent tous, en douce, à essayer de sonner comme “OK Computer”. L’album définira l’esthétique des années à venir. Wilco tente de répondre avec l’aventureux “Yankee Hotel Foxtrot”. REM recrute immédiatem­ent Nigel Godrich pour mixer “Up”. Les chanteurs se mettent à chanter dans des aigus plaintifs. Coldplay, Bright Eyes, Elbow et bien d’autres seront redevables à ce disque qui s’écoulera à 4,5 millions d’exemplaire­s. De quoi s’acheter des Ferrari et des chaussures en python ? Evidemment pas. Le documentai­re “Meeting People Is Easy” filmé sur la tournée suivant la sortie du disque montre des musiciens guère enjoués, en tout cas mal à l’aise face au succès. “Tout

ça n’est que foutaises” y affirme Yorke sérieux comme un pape. De fait, le groupe partira construire son studio pour y créer un album encore plus compliqué, sans guitares ni single. Le synthétiqu­e et abstrait “Kid A”.

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