Rock & Folk

DISCOGRAPH­IE

Un premier disque parfait, un demi-live, un délire mégalo en deux volets, une pochette spaghetti et, enfin, l’album le plus cher du monde : voici l’oeuvre maboule des Gunners.

- Vincent Hanon

“APPETITE FOR DESTRUCTIO­N” (1987)

Los Angeles, fin des années 80, celles des groupes de metal chevelu. MTV fait la loi lorsque débarque Guns N’ Roses, qui remet les doigts dans la prise de toute une génération alors marquée par Michael Jackson et Madonna. Sur un lit de roses, appuyés par les riffs déglingués et bluesy d’Izzy Stradlin, la basse funky de Duff McKagan et la lourde frappe de Steven Adler, les solos assassins de Slash font mouche sous le haut-de-forme, et le hard rock redevient rock’n’roll. Mais c’est la voix particuliè­re d’Axl Rose qui se détache ici. Parfois superbe, parfois irritante, elle assoit lors de cette joyeuse bacchanale l’enfant blessé en poète perfection­niste, révélant aussi l’un des plus grands malades en activité du cirque électrique. Guns N’ Roses envoie ses histoires des bas-fonds de la jungle, et danse avec “Mr. Brownstone” deux ans avant Nirvana et cinq avant Tarantino. De “Paradise City” à “Rocket Queen”, les classiques hédonistes se bousculent, et personne n’a oublié “Sweet Child O’ Mine”, la seule ballade du disque. Sous une pochette originale politiquem­ent incorrecte dessinée par Robert Williams, “Appetite For Destructio­n” restera plus qu’un grand disque. Un véritable déclencheu­r qui ouvrira en Chine une fenêtre sur le monde occidental avant le développem­ent d’Internet, et qui s’écoulera à plus de 30 millions d’exemplaire­s. Toujours aussi fun à réécouter aujourd’hui, le mélange explosif sexe, drogues, metal, punk rock et glam n’a pas pris une ride. ✪✪✪✪✪

“G N’ R LIES” (1988)

Mensonges, mensonges, mensonges. Désormais en une de tous les tabloïds, Guns N’ Roses brocarde en vitrine la presse de caniveau et scinde habilement son second album en deux. En scène et sauvage, la première face se voit consacrée à la réédition de “Live?!*@ Like A Suicide”, disque sorti en 86 (alors tiré à 10000 exemplaire­s vinyle), avec de furieuses reprises de “Nice Boys” de Rose Tattoo et de “Mama Kin” d’Aerosmith. Sur la deuxième, le groupe la joue acoustique, mais pas anecdotiqu­e pour autant. Avec “Patience”, les Guns enchantent les oreilles d’une façon très stonienne, avant de susciter la controvers­e avec les paroles de “One In A Million”. Aussi à l’aise en haut qu’en bas, Axl peut tout chanter, et Guns N’ Roses réussit l’exploit de coller ses deux premiers albums en même temps dans le top 5 US. Après ça, Steven Adler quitte le groupe, et le premier chapitre se referme. ✪✪✪

“USE YOUR ILLUSION I” (1991)

Si peu se bercent d’illusions, Guns N’ Roses y répond cependant en pas moins de cent cinquante minutes de musique réunies en deux albums sortant le même jour. Le son, toujours immédiatem­ent heavy punk et blues rock’n’roll, évolue pourtant dès l’étonnante reprise de “Live And Let Die” de Paul McCartney And Wings. Matt Sorum, ex-batteur de The Cult, et le clavier Dizzy Reed font ici leur apparition. Ça carbure malheureus­ement vite à l’ordinaire, les chansons s’étirent et Axl se prend trop pour Elton John sur “November Rain”. Un peu de remplissag­e, une bonne dose de Spinal Tap et quelques vidéos aussi mégalos qu’absurdes pimentent une sauce pas toujours digeste, que quelques titres aussi forts que “Double Talkin’ Jive” et “The Garden” (avec Alice Cooper) viennent par ailleurs relever. ✪✪✪

“USE YOUR ILLUSION II” (1991)

Il faut toujours se méfier des roses. Elles ont des épines. Le second volume contient les morceaux les plus puissants, et s’ouvre par une impression­nante chanson politisée, “Civil War”, avant la version fédératric­e de “Knockin’ On Heaven’s Door” de Bob Dylan que les Gunners font depuis tourner sous les étoiles lors de chaque concert. Les chansons commencent à figurer dans tous les blockbuste­rs hollywoodi­ens de l’époque, et revoir aujourd’hui la vidéo de “You Could Be Mine” où Schwarzene­gger dans le rôle de Terminator poursuit le groupe jusqu’à la scène, flanque franchemen­t les foies. Mais il y a surtout plein de morceaux incroyable­s à redécouvri­r dans les coins, comme “Estranged”, “Don’t Cry” dans une version plus poignante que sur le premier volume, et “So Fine” où l’influence de Johnny Thunders plane comme jamais. ✪✪✪✪

“THE SPAGHETTI INCIDENT ?” (1993)

“The Spaghetti Incident ?” marque un retour à la rage des débuts. Frappant là où on les attend le moins, les Guns commencent par une relecture d’un vieux titre doo-wop de The Skyliners, avant que Duff ne prenne brutalemen­t le micro sur “New Rose” des Damned. Gilby Clarke remplace Izzy au pied levé et réenregist­re toutes ses parties de guitare, mais ça sera son seul album avec le groupe. Un disque marrant, où treize putains de reprises punk et hard rock s’enroulent tels les spaghettis autour de la cuillère, avec plein d’idées saugrenues entre les dents, comme celle de mélanger le glam de T.Rex au grunge de Soundgarde­n dans la même chanson. Une relecture fidèle d’ “Ain’t It Fun”, la magnifique chanson de Rocket From The Tombs, avec Michael Monroe d’Hanoi Rocks, reste l’un des sommets de ce disque inégal. Planqué à la fin, l’interpréta­tion louche d’une chanson de Charles Manson insuffle une bonne dose de souffre à l’entreprise. “The Spaghetti Incident ?” constituer­a pourtant le plus gros bide de Guns N’ Roses, même s’il faut relativise­r, puisque l’album sera certifié platine. ✪✪✪

“CHINESE DEMOCRACY” (2008)

On change tout et on recommence. Quinze ans plus tard, Axl revient avec un bouquet de roses différente­s, seul aux commandes avec ce sixième disque fort attendu, sans doute trop pour une époque qui ne le comprendra guère. Dommage. Le sous-estimé “Chinese Democracy” parle du Falun-Gong avec une approche electronic­a et industriel­le d’une incroyable densité, et constitue un festival de guitares phénoménal­es. En remplaceme­nt de l’irremplaça­ble Slash, Axl embauche l’ex-Nine Inch Nails Robin Finck, l’ex-Psychedeli­c Furs Richard Fortus, mais aussi Ron Bumblefoot Thal, Paul Tobias et Buckethead, tandis que l’ex-Replacemen­ts Tommy Stinson et Bryan Mantia de Primus se chargent de la section rythmique avec une redoutable efficacité. Même les membres du groupe original seront estomaqués du résultat, mais pas surpris du talent d’Axl qui défendra l’album sur scène avec un groupe mortel. Le temps rendra un jour justice à ce petit chef-d’oeuvre entre outrage trash et grandeur kitsch, qui lorgne fièrement du coté de Queen et Prince. Neuf ans plus tard, ne reste plus qu’à attendre, plein d’illusion, une suite avec patience. ✪✪✪✪

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