Rock & Folk

Kevin Morby

“CITY MUSIC”

- DEADOCEANS/PIAS

On l’avait quitté descendant d’une montagne, une dizaine de chansons sous le bras, dans lesquelles il célébrait son mode de vie solitaire à Los Angeles, fait de déambulati­on nocturnes et d’errances dans la vallée californie­nne. Kevin Morby, de retour d’une longue tournée qui l’avait vu arpenter les Etats-Unis et l’Europe, est entré en studio avec son groupe de scène (notamment la guitariste Megan Duffy et le batteur Justin Sullivan, fidèles parmi les fidèles) pour enregistre­r une ode à la vie urbaine. “City Music” raconte ces villes dans lesquelles on aime se perdre, ces foules dans lesquelles on se sent anonyme, ces lumières qui constellen­t la nuit. De la Harlem River qui borde Manhattan à la vie itinérante qu’il décrit dans “Motors Running”, Kevin Morby s’est toujours dévoilé comme un homme qui vit en connexion avec son environnem­ent, un poète du mouvement qui n’excelle jamais plus que lorsqu’il décrit un endroit ou un périple. “City Music” est empli de ces chansons méditative­s qui font de Morby un des singers/ songwriter­s les plus passionnan­ts de sa génération. L’album s’ouvre avec “Come To Me Now” sur un orgue hanté et des paroles sombres dans lesquelles il se décrit en créature nocturne (“J’aihâtequel­alune selève,elleestmon­amie”) et s’interroge sur sa mort future (une de ses obsessions). Qu’il nous fasse voyager par le rail (“Aboard My Train”), l’avion (“Tin Can”, qu’on croirait sortie de la plume de Lou Reed), ou qu’on veille avec lui dans la nuit citadine (la sereine “Night Time”, la douce “Downtown Lights” et cette “City Music” à la longue introducti­on contemplat­ive), Kevin Morby accueille de sa voix chaleureus­e dans l’intimité de sa solitude. Morceau après morceau, Morby s’affirme toujours plus comme un narrateur passionnan­t, alternant ces ballades désabusées dont on le sait capable (“Crybaby”, “Pearly Gates”, “Dry Your Eyes”, toutes splendides) d’ouvertures vers d’autres horizons. On pense ainsi à “1234”, chanson hommage aux Ramones qui rappelle que Morby est issu de la scène garage de Brooklyn et sonne comme un morceau des Babies (son groupe précédent) maquillé en titre solo. Le refrain s’amuse de la réputation des Ramones comme le groupe le plus mort du monde et énumère les noms des disparus — Joey, Johnny, DeeDee, Tommy — avant de s’achever de façon brutale sur “Ilsétaient­mes amis...etilssontm­orts”. Rayon punk toujours, Kevin Morby tente ici une reprise ambitieuse d’un morceau des Germs, avec le méconnu “Caught In My Eyes”. Véritable alchimiste, Morby transforme le plomb en or en réinventan­t la mélodie de ce morceau au texte sombre pour en faire une ballade mélancoliq­ue. Le résultat est impression­nant de finesse, et confirme qu’aujourd’hui Kevin Morby est au sommet de son art. S’il ne lui manque qu’un tube pour devenir un musicien d’envergure internatio­nale, il est indéniable qu’après une série d’albums gagnants — “Harlem River”, “Still Life”, “Singing Saw”, “City Music” — sortis en moins de quatre ans, Kevin Morby joue dans la même division que ses modèles Leonard Cohen, Joni Mitchell ou Bob Dylan. Des musiciens qui savent sublimer les mots et dont il est le meilleur héritier aujourd’hui.

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ERIC DELSART

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