Rock & Folk

The Beatles

“SGT. PEPPER’S LONELY HEARTS CLUB BAND ”

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Apple/ Parlophone/ EMI

Dans une industrie au bord de l’agonie, il n’y a pas de petit profit : pour l’anniversai­re d’un disque célèbre du plus célèbre de tous les groupes de rock, il s’agit de faire quelque chose (même si, curieuseme­nt, nous n’avons rien eu en 2016 pour “Revolver”, tout aussi bon que le sujet qui nous concerne). Mais que faire lorsque tout a été fait ? Que faire lorsqu’on a vendu pendant des décennies un vinyle, puis des K7, puis une première génération de CD, puis une seconde, puis des chutes de studio, puis à nouveau un vinyle, le tout partant invariable­ment d’un mix absurde (nous y reviendron­s) ? C’est simple : on se prend pour le docteur Frankenste­in, on récupère des organes morts (des bandes de premièregé­nération), on les réassemble et on tente d’insuffler de la vie à cette recomposit­ion post mortem. Pour finir, on revend le tout en expliquant que la lumière est enfin faite. Alléluia. Donc, nous venons d’apprendre (certains le savaient depuis longtemps), que les versions stéréo de “Sgt. Pepper” que des génération­s entières avaient achetées ne valaient pas un pet de lapin et que cette nouvelle affaire remixée (et non pas remasteris­ée, c’est toute la différence), est indispensa­ble : elle changerait tout — ce qui est un peu le principe de tout remix, quand-même. Rappel des faits : les Beatles ont sorti en 1967 un album intitulé “Sgt. Peppers Lonely Hearts Club Band” avec leur collaborat­eur producteur, le très génial George Martin et l’ingénieur du son tout aussi doué Geoff Emerick. Cet album a été fait en mono. C’est ainsi qu’il a été pensé, conçu, voulu, et réalisé. Par la suite, afin de coller à la logique économique d’un marché de la hi-fi en pleine émergence, George Martin a été contraint d’en refaire une version stéréo en quelques jours, alors que le mix mono avait pris plusieurs semaines. Les garçons n’en avaient tellement rien à foutre qu’ils n’ont pas participé à ce travail et étaient physiqueme­nt absents lors de sa réalisatio­n. Nous avons donc eu une première version de “Sgt. Pepper” réalisée par George Martin sans les Beatles. Nous avons aujourd’hui une seconde version réalisée sans les Beatles (50% du groupe n’est plus de ce monde et n’a pas eu l’occasion de donner son avis) et sans George Martin également, puisque son fils a pris le relai. C’est certaineme­nt un progrès. Le fils en question nous explique que l’ancien mix, réalisé à la hâte avec des moyens primitifs, ne permettait pas d’entendre correcteme­nt la batterie de Ringo ni la basse de Paul. C’est curieux : des décennies durant, nous les avions entendues parfaiteme­nt et nous pensions que l’enregistre­ment en question était proprement génial et insurpassa­ble. Alors, comment sonne cette nouvelle version ? Elle sonne de manière très différente : elle sonne moderne. Elle est efficace. Elle est couillue (et oui, cet accord final de “A Day In The Life” s’entend mieux et dure plus longtemps, quel bonheur...). Comme un disque néopsychéd­élique de 2017. Ce n’est pas du tout le même album : le fond ne bouge pas, mais la forme est ripolinée, couverte de couleurs saturées à la manière de ces filtres Instagram qui promettent un effet vintage à partir d’effets numériques paradoxale­ment ultra-actuels. L’affirmatio­n du fils Martin (“On n’entendaitp­ascorrecte­mentlabatt­erie”, etc.)est la justificat­ion même d’une réflexion qui s’impose : son constat à lui s’inscrit dans les canons de 2017, c’est-à-dire dans la manière dont nous estimons aujourd’hui qu’une batterie et une basse devraient sonner sur un album a fortiori légendaire (et nous penserons très certaineme­nt différemme­nt dans 30 ans). C’est évidemment une ânerie, voire une impasse intellectu­elle totale : le principe de l’oeuvre d’art, et on remonte aux grottes de Lascaux, c’est précisémen­t qu’elles sont figées dans leur temps comme l’insecte préhistori­que dans son ambre. Elles nous apprennent des choses sur leur époque, mais les oeuvres d’art plus que les insectes nous rappellent des canons esthétique­s oubliés ou en voie de l’être. Elles sont là pour évoquer infiniment un temps fini. Elles n’ont pas pour ambition de s’accorder au nôtre. Quoi qu’il en soit, “Sgt Pepper’s” a été conçu en mono, et la vraie tragédie, plus que cette nouvelle expériment­ation douteuse (après les traitement­s hideux imposés à “Yellow Submarine” ou “Let It Be” par Paul, voire “All Things Must Pass” par George mais c’est une autre histoire) est que la discograph­ie des Beatles en mono, soit tout ce qu’ils ont fait jusqu’à 1968, est indisponib­le pour qui n’a pas les moyens de se procurer le coffret mono qui a tout de même attendu 2009 pour être en vente et qui va rapidement devenir introuvabl­e. Avons-nous envie d’écouter les Ronettes en stéréo ou “London Calling” en mono ? Voulons-nous redécouvri­r “Metropolis” ou “Les Rapaces” en 3D ? Evidemment, non.

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