Rock & Folk

A L’OMBRE DE SYD

COMMENT PINK FLOYD A-T- IL CONTINUE` SANS SON LEADER INSAISISSA­BLE ? C’est toute l’histoire de la seconde vie du groupe, perpétuell­ement hantée par le souvenir de Barrett.

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Dire que Pink Floyd ne s’est jamais remis du départ de son leader relève de l’euphémisme. Si on oppose volontiers la carrière du groupe avec ou sans Syd Barrett (nombreux sont ceux pour qui le groupe perd tout intérêt après son départ), il faut bien admettre que Syd Barrett est omniprésen­t dans l’oeuvre Pink Floyd, qu’il figure ou non au sein du groupe.

Attitude erratique

Bien sûr, dès les débuts de Pink Floyd, Syd Barrett en était la boussole. Son leader charismati­que, guitariste, chanteur et principal auteur-compositeu­r de 1965 à 1968, soit sur une poignée de singles et un album devenu légendaire, “The Piper At The Gates Of Dawn”. Même lorsque sa santé mentale a commencé à décliner, il en restait le focus. En témoigne le single “Vegetable Man”/ “Scream Thy Last Scream”, prévu pour la fin d’année 1967, avant que son absence totale d’attrait commercial ne soit enfin remarquée par quelqu’un de sensé chez EMI. Il ne s’était écoulé que trois mois depuis la sortie de son premier album et Syd était déjà autre part, après une tournée américaine qui avait viré au désastre en raison de son attitude erratique. C’est ainsi que, fin décembre, le groupe a contacté David Gilmour pour — à l’origine — l’épauler sur scène, Pink Floyd tentant un moment de se convaincre qu’il pouvait fonctionne­r avec Syd comme membre on/ off à la façon de Brian Wilson. D’où quelques photos à cinq, avant que son départ ne soit acté début 1968, alors que le groupe enregistre son deuxième album. Il en résulte “A Saucerful Of Secrets”, dont les initiales forment “SOS”, comme si le groupe devenait un navire sans capitaine envoyant un message de détresse. Un album hybride où la rupture avec Syd n’est pas complète — la sera-t-elle jamais ? — comme en témoigne “Corporal Clegg”, une vignette courte dans laquelle Roger Waters tente maladroite­ment d’émuler le style de son ami, et surtout avec sa conclusion “Jugband Blues”, magistral chant du cygne de Syd Barrett dans lequel il se montre sarcastiqu­e envers

ses amis (“It’s awfully considerat­e of you to think of me here / And I’m most obliged to you for making it clear that I’m not here”). Pink Floyd, par l’entremise de Rick Wright, tente alors de produire des chansons au format pop dans la veine de Syd (“Point Me At The Sky”, “It Would Be So Nice”, échecs commerciau­x) et continue brièvement de ne jouer que son répertoire. Un court instant, cette formule fait la blague, avec un David Gilmour singeant au mieux le style et vaguement la dégaine de Barrett, mais très tôt le groupe s’en détache pour entrer dans une phase d’expériment­ation et de concepts morts-nés. Quand “Ummagumma” sort en 1969, c’est un Pink Floyd en pleine quête d’identité qui se dévoile. L’album, double, révèle sur son premier disque studio quatre musiciens ayant chacun composé dans leur coin dix minutes de musique expériment­ale sans véritable direction, ni liant. Heureuseme­nt, le second disque live sauve l’album du naufrage, notamment grâce à une version dantesque d’ “Astronomy Domine” en ouverture. Une fois de plus, le groupe s’en remet à Syd. Chose étonnante, ce dernier s’en remet également à ses anciens camarades à la même période. En plein milieu des séances d’ “Ummagumma”, Syd, après avoir passé la fin de l’année 1968 en hôpital psychiatri­que, a sollicité ses anciens partenaire­s et amis pour l’aider à terminer son premier album solo. En deux jours, les 12 et 13 juin 1969, l’essentiel de “The Madcap Laughs” est mis en boîte, avant d’être bouclé en juillet. Richard Wright et David Gilmour remettront le couvert l’année suivante pour “Barrett”, son ultime album. Comme s’il avait payé sa dette envers son créateur, Pink Floyd commence enfin à s’affirmer autour de cette période et finit par trouver sa voie, celle d’un blues cosmique porté aux nues par des claviers stellaires, des guitares claires et au groove souverain. Un style qu’on entraperço­it sur “Atom Heart Mother”, malheureus­ement noyé sous des flonflons indigestes et qui atteint sa plénitude sur “Meddle”, le premier chef-d’oeuvre du groupe sans Syd. C’est en 1973 que cette version de Pink Floyd atteint son zénith critique et commercial. Pourtant, sous la houlette de Roger Waters, parolier en chef du groupe, Pink Floyd aborde des thématique­s angoissant­es, preuve que le traumatism­e de la déchéance de Syd n’a pas été surmonté. “Dark Side Of The Moon” s’ouvre sur une voix désincarné­e énonçant “I’ve always been mad” et fait de multiples références à Syd Barrett, notamment sur “Brain Damage” (“There’s someone in my

head but it’s not me”). L’ombre de Syd plane bien plus encore sur son successeur, “Wish You Were Here”, qui se montre plus direct : c’est un album hommage dans lequel Waters se languit d’avoir perdu son vieil ami (“Wish You Were Here”) et lui adresse une chanson poignante (“Shine On You Crazy Diamond”).

Folie et isolement

Syd, qui se fait de nouveau appeler Roger, vit désormais reclus chez sa mère à Cambridge et sa visite impromptue aux studios d’Abbey Road alors que le groupe y enregistre cet album qui lui est dédié, affectera durablemen­t les musiciens. L’oeil hagard, chauve, en surpoids, les sourcils rasés, le diamant fou que décrit le groupe est méconnaiss­able. Gilmour et Waters n’auront alors de cesse d’essayer de l’aider en plaçant régulièrem­ent ses morceaux dans des compilatio­ns afin de lui assurer des royalties. Dès lors, l’oeuvre du groupe prend un tour sombre. En 1977, Pink Floyd publie “Animals”, aux sonorités inquiétant­es et à la noirceur glaçante. Deux ans plus tard, “The Wall” poursuit l’exploratio­n des thématique­s de folie et d’isolement inspirées par Barrett. Ambitieux sur la forme — un opéra-rock sur deux disques — “The Wall” narre les mésaventur­es de Pink, un anti-héros modelé d’après Syd qui, après des épisodes de folie et de violence, se coupe du monde derrière un mur de briques. De toutes les chansons de l’album, “Nobody Home” est celle qui trace le lien le plus direct entre Pink et Syd (“I’ve got wild staring eyes”). Malheureus­ement, “The Wall” marque aussi le début de la discorde entre David Gilmour et Roger Waters, et ce dernier s’en ira avec fracas peu après la sortie de “The Final Cut”. Deux factions se forment, et Gilmour récupère le nom et les droits de Pink Floyd qui poursuit sa route avec un son désormais plus édulcoré et des albums fainéants. Syd devient alors une sorte de figure tutélaire à laquelle Pink Floyd se réfère sans cesse. Chaque concert est l’occasion de lui rendre hommage et Gilmour n’oublie pas de glisser “Astronomy Domine” dans le coffret “Pulse” de l’ultime tournée du groupe en 1994. Le sommet est atteint avec le clip du tube “High Hopes”, issu de “The Division Bell”, dans lequel on voit une foule promener un buste gigantesqu­e de Syd Barrett aux alentours de Cambridge. Syd est statufié par son propre groupe qui met alors son histoire entre parenthèse­s. Désormais, quand Pink Floyd refera parler de lui, ce sera pour une reformatio­n d’un soir, à l’occasion du Live 8 en 2005, l’opportunit­é de dédier deux chansons à Syd, comme si, pour Waters et Gilmour, l’unique possibilit­é de se trouver sur la même scène passait par un amour mutuel pour leur mentor. Par sa présence, ou son absence, Syd Barrett est le ciment qui lie Pink Floyd. Alors que, depuis 30 ans, Roger Waters et David Gilmour se disputent l’héritage du groupe, chacun ayant pour lui des arguments forts à faire valoir, aucun des deux n’aura jamais le dernier mot : depuis 1965, Pink Floyd est le groupe de Syd Barrett. Il n’a jamais cessé de l’être.

Quelques photos à cinq...

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Avec David Gilmour au premier plan

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