Cocorico absolu !
Le monde vieillit, et Anita Pallenberg se fait la malle à soixante-quinze ans. En souvenir, le lectorat qui ne se laisse pas démonter par le passage du temps ouvrira “Jack Cool 1966 — Quelques Jours Avant Jésus-Gris...” (Grand Angle), la nouvelle grande fresque beatnik dûe aux efforts conjugués du scénariste Jack Manini et au faiseur d’arcs-en-ciel Olivier Mangin. L’histoire tient la route : un cadre de chez Cadillac, miné par sa revanche sociale, abandonne famille et travail pour rejoindre une communauté hippie itinérante dont le bus psychédélique est tombé en panne. Heureusement pour les enfants de Dieu, le nouvel arrivant vient de Detroit Motor City. Parallèlement, la femme abandonnée engage le détective privé Jack Cool pour retrouver le disparu. Ce premier opus contient le niveau requis de sexe, drogue et musique du diable tel qu’il a été inscrit dans les tables de la Loi de Rock&Folk, un journal qui sait ce que l’année 1966 signifie. A lire consciencieusement. Le hasard du calendrier électoral étant ce qu’il est, c’est non sans plaisir que le lecteur stressé se laissera embarquer dans cette BD rétro qu’est “Les Beaux Etés. Mam’zelle Estérel” (Dargaud) troisième volet des duettistes Zidrou et Jordi Lafebre consacré à la transhumance estivale. Dans une France qui découvre Chubby Checker, Pierre et Mado, gentil couple de retraités, se rappellent les joies de la véritable expédition qu’était un simple départ en vacances en 1962. En matière de road trip, le choix de la Renault 4 modèle Luxe à six glaces comme monture familiale réduit d’office le champ des comparaisons possibles avec Mad Max. Mais le lecteur s’y fera très vite car, à cette époque, les voyageurs avaient le temps d’apprécier à sa juste valeur l’incroyable diversité du paysage français. Au-delà de la nostalgie qui risque de poindre chez les lecteurs ayant connu l’époque, les auteurs dressent une galerie de personnages simples et reposants. Stéphane Levallois est un dessinateur aussi virtuose qu’atypique. Il a aussi beaucoup de mal à ne pas toucher à tout ce qui l’intéresse. A défaut d’en faire un homme prévisible, ces BD sont toujours de petits monuments de surprise. Pour sa dernière, “Les Disparues D’Orsay” (Futuropolis), il part dans une aventure tellement psychédélique qu’on l’imaginerait sans peine écrite et scénarisée par Albert Hofmann en personne. Dans cette histoire, Virgile, un gardien du musée d’Orsay, devenu allergique au contact de ses semblables, s’aperçoit que les muses des tableaux exposés ont disparu de leurs cadres dorés. N’écoutant que sa curiosité, l’homme décide de partir à la recherche de ces femmes qui ont inspiré des peintres à la recherche de l’esthétisme parfait. C’est le début d’une enquête ferroviaire où un nombre conséquent des peintres qui ont fait Orsay défilent au fil des pages dans un univers fait d’onirisme et de déformations spatio-temporelles. Cocorico absolu ! Déjà que le Hellfest est le meilleur festival metal de la planète, c’est un dessinateur du genre qui a les faveurs d’une publication outre-Manche. Il s’appelle David Thiérrée et son “Owls, Trolls & Dead Kings’ Skulls : The Art Of David Thiérrée” (Cult Never Dies & Crypt Publications) réalisé sous la houlette de Dayal Patterson est un petit chef-d’oeuvre du genre musical le plus sonique de la planète. Comme toutes les monographies, celle-ci est un beau pavé aussi richement illustré que fouillé. Ce livre sera la mine d’informations définitives pour aider n’importe qui à comprendre l’univers graphique des différentes tribus visibles dans la plaine de Clisson. David Thiérrée a beau être encore jeune, il a presque trente ans d’illustrations derrière lui. Ce n’est pas rien et nombreux seront les lecteurs néophytes (comme Christine Boutin) à apprécier la méthode de travail ainsi mise à nue.