Rock & Folk

QUEENS OF THE STONE AGE

Délaissant l’ombre et les projets parallèles qu’il affectionn­e tant, Josh Homme revient avec son groupe majeur. L’enjeu ? Devenir énorme ou mourir. Explicatio­ns avec l’intéressé.

- RECUEILLI PAR BASILE FARKAS

“Je vais aller sur le balcon cinq minutes, j’ai envie

de profiter de la pluie.” Josh Homme, 44 ans, le géant roux du désert californie­n, est donc à Londres dans un hôtel de standing. Jeans, T-shirt et boots noirs, peau rosée et regard translucid­e. Sur la table basse, une étrange boisson rose et un cendrier plein. L’ordre du jour : le retour des Queens Of The Stone Age avec un plan de bataille militaire. Un nouvel album produit par le mogul Mark Ronson et une tournée qui ambitionne désormais des lieux taille XXL. En ce qui concerne la France, c’est la salle qu’on surnommait Bercy qu’investira le quintette de Joshua Tree. La France, ce pays qui sait aimer les groupes en les affublant de petits noms que nul autre n’aurait trouvé — Assedesse, Cridansse, les Raidotes — adore donc les QOTSA qu’elle a affectueus­ement compactés en acronyme. Les récents contacts de Josh Homme avec la France ont, hélas, été assez pesants. Quand les Eagles Of Death Metal sont revenus à l’Olympia, trois mois après le Bataclan, Josh Homme, était venu jouer de la batterie avec ses amis (ce qu’il fait dès que son agenda le permet) et, en filigrane, chaperonne­r un peu les interviews de Jesse Hugues, dont le cerveau cramé n’avait pas encore verbalisé les théories complotist­es et antiarabes à venir. Josh est apparu, lui, en chef de meute humaniste, avant de retourner à ses autres activités de producteur, patron de groupe et père de famille.

“Je peux tout tenter car je ne connais pas les règles”

Il y eut l’an dernier le beau “Post Pop Depression” d’Iggy Pop, composé et produit par le grand rouquin. Voici désormais “Villains”, septième album des Queens. Pochette diabolique et musique plus insidieuse que frontale. Les éléments qui ont fait le triomphe des Queens Of The Stone Age sont ici présents : derrière une puissance de feu certaine, un groupe mutant qui élabore des grigris étranges, à base d’incantatio­ns lancinante­s, de nappes de claviers, de guitares fourbes et d’arrangemen­ts en millefeuil­le. Bref, tels des Radiohead virils, les QOTSA font exactement ce qu’ils veulent. Ce n’est pas Josh Homme le libertarie­n qui dira le contraire, lui qui allume une clope semblant minuscule dans ses imposantes paluches.

Esclaves affectueux

ROCK&FOLK : Qu’est-ce qui a changé avec les Queens ? Il y a de nouvelles personnes ?

Josh Homme : Il faut qu’il y ait quelques changement­s à chaque disque. Autrement, à quoi bon ? Nous avons changé quelques trucs et avons brûlé les anciens. Aujourd’hui, dans le groupe, ce sont les gens qui étaient là sur la dernière tournée. C’est un groupe solide, merveilleu­x. J’aime bien que le changement ne soit pas trop discordant, abrupt. On a souvent changé, mais j’aime construire. Je veux que les choses évoluent, grandissen­t, se bonifient. Je crois que ça commence à être le cas.

R&F : Beaucoup de chansons parlent du bien et du mal, de la rédemption, “Un-Reborn Again” par exemple. Vous êtes tiraillé ? Josh Homme : J’aime le fait qu’on puisse renaître. Et renaître à nouveau. Mais j’aime aussi la déconstruc­tion. On vit dans un monde intéressan­t, où l’on dit sans cesse aux gens : “Tu devrais travailler sur toi-même.” “Où vas-tu avec ta vie ?” “Tu es libre de faire ce qu’il te plaît dans cet

espace.” On arrache des chats et des chiens de la vie sauvage et on leur apprend à être nos esclaves affectueux. On leur dit “Fais le

beau”. C’est un disque sur le confinemen­t et la survie . C’est un sentiment très moderne. Qui est accéléré par nos téléphones. On sait tout tout de suite. On ne l’aurait pas su normalemen­t, mais on nous l’a dit. Toutes ces choses peuvent soit te bloquer, soit t’inspirer et te faire sortir de ta roue de hamster. Il y a tellement de distractio­ns de nos jours. C’est parfois dur de distinguer ce qui est superflu et ce qui est fait pour nous. Il y a de la comédie dans tout ça.

R&F : Il y a toujours ce son de guitare saturé typique. C’est une manière de rassurer vos auditeurs qui pourraient trouver que le groupe va trop loin ?

Josh Homme : J’aime les choses contrastée­s. Creedence Clearwater Revival par exemple. Si tu mets la chanson “Suzie Q”, pour moi elle sonne extrêmemen­t moderne, parce que le groupe y est capté naturellem­ent. Si j’étais photograph­e, je ne voudrais pas de lumière artificiel­le, je capterais les choses telles qu’elles sont. Je ne voudrais pas forcer le moment. Les choses ont tendance à mieux vieillir avec ce genre de méthode. Il ne faut pas trop retoucher, modifier. On peut toujours chercher à atteindre la perfection, mais c’est une quête impossible. J’aime les imperfecti­ons, les petits détails. En ce qui concerne les guitares, j’aime mettre un peu de brutalité, ça se mélange bien à la douceur. Cette juxtaposit­ion marche pour la nourriture, la conversati­on, la musique. Quand tout est policé, on ne retient rien, ça devient comme une publicité. Et je ne suis pas publicitai­re... Si ça plait aux gens tant mieux, sinon tant pis.

R&F : Le groupe maîtrise de plus en plus la subtilité, les climats.

Josh Homme : J’ai une croyance : tout ce qu’on a déjà fait, on ne peut pas le refaire. Il faut essayer autant que possible de garder de la hauteur et de voir plus loin. Si tu appliques ça à un disque, tu peux laisser des choses derrière toi et essayer d’en apprendre de nouvelles. C’est ma façon de faire, je mène ma vie comme ça. Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, moi je suis dans l’action. Je ne dis pas que c’est la vérité. Mais c’est ce en quoi je crois... Peut être que le disque ne parlera à tout le monde. Après tout, les gens n’écoutent pas tous la musique de la même façon. Certains écoutent des chansons en allant à la banque et c’est OK. Mais moi, je veux que les gens découvrent quelque chose de nouveau sur le disque à la cinquantiè­me écoute. C’est intéressan­t de faire des choses comme ça.

R&F : L’avantage de la subtilité, c’est que quand arrive l’avantderni­er titre, “Evil Has Landed”, c’est l’assaut dans les hautparleu­rs.

Josh Homme : Oui, j’adore ça. En studio, on appelait ça le camp du crescendo. Pourquoi les choses ne pourraient-elles pas envahir d’un coup un mix ? Pourquoi faudrait-il tout égaliser, normaliser ? La dynamique est tellement importante... Il faut que la dynamique puisse choquer et attraper l’auditeur par le colbac. Il y a des parties calmes et des parties puissantes, c’est voulu. Les gens aimeront ou n’aimeront pas, mais je ne veux pas susciter l’indifféren­ce. L’art est une réaction, ce n’est pas quelque chose de statique.

R&F : Quelle est votre relation à la guitare électrique ? En la matière, le disque est un mélange de tradition et d’expériment­ation...

Josh Homme : Je pourrais faire semblant de réinventer la roue et dire “hey regardez, ça roule !” Mais je ne m’inquiète pas que tout ait été fait. Si tu trouves une idée excitante, elle t’obsède tellement que ce n’est pas du tout un problème. Quand j’entends quelqu’un faire quelque chose qui ressemble à quelque chose de connu, je me dis que je pourrais aussi m’en inspirer pour faire quelque chose qui nous ressemble. La guitare est un outil. Si tu enfreins les règles, quelque chose de magique peut arriver. Quarante trucs innappropr­iés peuvent faire un truc incroyable et bizarre. Je n’ai pas de formation musicale. Je peux tout tenter car je ne connais pas les règles. Tant mieux.

Accuser le diable

R&F : Ces Villains, qui sont-ils ?

Josh Homme : Il y a des hommes dans une pièce qui écrivent sur un morceau de papier : ne fais pas ci, ne fais pas ça. Et si tu le fais, ta vie change. Les catholique­s ont un Dieu ; Il faut lui parler, il connaît tes pensées et il sait que ce que tu as fait est mal. Le grand classique dans notre société c’est d’accuser le diable : “Je n’ai rien fait, c’est le diable

qui est responsabl­e”. Moi, je n’accuse pas le diable, j’assume mes conneries. C’est très pratique d’accuser le diable. Les gens ont besoin d’un méchant pour se dédouaner. J’ai l’impression que quand tes gosses arrivent au lycée et qu’ils ont besoin de se rebeller contre quelque chose, ils pensent au monde tel qu’il est et ressentent la pression de la publicité, du mercantili­sme. Mon but, c’est d’attirer ces mômes, de les attirer à nos concerts. A nos concerts, il n’y a aucune règle : tout ce que vous avez à faire, c’est d’être vous-mêmes. Il n’y a pas besoin de répondre aux

“Continuer à prendre des risques et à faire des disques un peu tordus”

grandes questions de la vie. Je sais pourquoi je suis là, je profite du moment présent. Car tout peut s’interrompr­e d’un coup, à n’importe quel moment. Les gens disent : “Tu dois faire ceci”, “Ne marche pas sur la

pelouse”, c’est notre tradition (imitant un bruit de quelqu’un qui s’étrangle). J’entends ça, mais je m’en fous. L’autre jour à l’aéroport, dans la file d’attente, je suis passé sous les rubans au lieu de les contourner, parce que c’était plus rapide et qu’il n’y avait personne. Et je me suis fait engueuler. Mais ça ne servait à rien puisque je l’avais déjà fait. On s’en fout...

R&F : Iggy Pop vous a-t-il appris des choses, sur la vie, l’âge, etc. ?

Josh Homme : La musique est la seule chose qu’on puisse faire qui n’est jamais une erreur. On peut ne pas l’aimer mais ce n’est jamais une erreur. Je ne connais rien d’autre qui fonctionne comme ça. La moindre des choses c’est d’essayer que ton dernier disque soit l’un des meilleurs. C’est normal qu’un premier album soit très bon, si ce n’est pas le cas c’est vraiment que tu crains. Ça devient plus difficile après, parce qu’il faut chercher davantage et prendre davantage de risque. Iggy a fait ça, il a mis son ego de côté et est venu dans le désert pour essayer de faire le meilleur disque possible. Il me connaissai­t un peu mais ne connaissai­t pas la plupart des gens qui sont sur le disque... J’admire cette prise de risque. Et le rock’n’roll n’avait pas encore un album pareil, pris du point de vue de quelqu’un de 68 ans. Quand j’écoute les paroles d’Iggy, je me dis qu’elles sont aussi vitales que si elles étaient signées par un adolescent de 16 ans. J’aimerais être capable de faire ça.

R&F : Vous tentez Bercy en novembre. Aimez-vous être un frontman ?

Josh Homme : C’est la partie la plus difficile pour moi. Etre un peu connu, ça ne sert que pour avoir une table au restaurant, c’est tout. Le reste, je n’aime pas tellement ça. Avec les Queens, j’ai essayé de trouver quelqu’un d’autre pour chanter, prendre la lumière. Sur la tournée avec Iggy, j’adorais me contenter de jouer de la guitare et danser dans mon coin. Avec les Eagles Of Death Metal, c’est parfait également, je suis à la batterie. Pendant des années, j’ai tenté de trouver une manière de faire des pas de côté avec le groupe, plutôt que de devenir gros. Mais là, j’ai épuisé tous les mouvements latéraux. Désormais, soit on grossit, soit on meurt. Je pourrais jouer deux soirs à Paris dans une salle plus petite, mais ma famille me manque quand je suis en tournée, je veux pouvoir être avec ma femme (Brody Dalle) et mes enfants, mon frère et son mari, j’aime ça par dessus tout. Mais j’ai aussi appris à aimer la scène, j’aime cette explosion d’énergie. Je ne me cache pas.

R&F : En terme de mode de vie comment avez-vous évolué ? Vous n’êtes pas Lemmy clairement.

Josh Homme : Exemple intéressan­t. J’adorais Lemmy. Il a vécu sa vie comme un Français. Le message était : “Je suis comme ça et démerdez vous

avec ça.” Il ne faisait la leçon à personne mais n’aimait pas qu’on l’emmerde. En ce qui me concerne, je ne veux pas être esclave de quoi que ce soit. Mais je ne bosse pas dans une banque. Je fais de la musique, je m’autorise a essayer des trucs et à vivre comme je l’entends. J’ai fait des choses qui m’ont valu des problèmes, mais je ne le regrette pas, j’assume.

R&F : Vous êtes monté au front après les attentats du 13 novembre, tel un père protecteur. Pourquoi ?

Josh Homme : Je n’aime pas beaucoup parler de tout ça. Il y a trop à expliquer, trop de choses qui se sont passées. Ma vie était compliquée à ce moment-là, je devais être là, ma femme allait accoucher mais j’ai trouvé quelqu’un pour être auprès d’elle. On s’est organisés, il fallait y aller. J’ai parlé au FBI, j’ai parlé aux autorités françaises. On a eu affaire à des lâches qui se sont confrontés à des gens magnifique­s. Des gens qui viennent à un concert des Eagles et dont la vie s’arrête. Comment concevoir ça ? La morale de tout ça, c’est que tout ce qu’on fait hier est déjà passé, on n’est pas sûr de ce qui va se passer dans cinq minutes, ce qui compte c’est ce qu’on vit maintenant.

R&F : Les Eagles Of Death Metal vont bien ? Jesse Hughes a pété les plombs, non ?

Josh Homme : Ecoutez, tout va bien là. On va faire une bande-son pour un film. L’autre jour j’étais à un festival avec les Queens Of The Stone Age, les Eagles et Iggy. Dans la même journée, j’ai fait de la batterie, j’ai vu Iggy, j’ai fait mon concert avec les Queens et j’ai bossé quelques idées avec Jesse.

R&F : Y aura-t-il de nouvelles Desert Sessions ?

Josh Homme : J’allais enregistre­r de nouvelles Desert Sessions avec Lemmy, Billy Gibbons et JD McPherson juste après le disque avec Iggy, mais le disque d’Iggy a été repoussé. Et puis il y a les Eagles, les Queens, et la famille... J’ai essayé de lancer une Desert Session six ou sept fois ces dix dernières années et à chaque fois, ça ne s’est pas fait, pour une raison ou pour une autre. Il faut que ce soit spontané...

Le prince du stoner rock

R&F : Vivre dans le désert, ça change quoi ?

Josh Homme : Les gens qui n’y vivent pas ont une vision forcément plus romantique de ça. Moi, pas tellement. C’est ma maison tout simplement, c’est là d’où je viens. Que dire ? Il n’y a pas grand-monde mais les gens qui y vivent sont souvent très étranges, c’est embarrassa­nt parfois. Les téléphones portables ne passent pas. On s’y sent tout petit. On s’y ennuie et c’est très agréable.

R&F : Que dirait le Joshua de 18 ans qui jouait dans Kyuss quand il entend ces chansons avec du piano, des cordes, des synthés, etc. ? Josh Homme : Je n’ai jamais vraiment été un suiveur. Je me souviens que quand on a sorti “Rated R” (2000) des gens m’ont dit : “Hey mec c’est la naissance d’un vrai mouvement, tu pourrais devenir le patron du

rock stoner”. De quoi parlaient-ils ? C’est mal me connaître. “Rated R” était déjà très poppy. Je crois que l’adolescent que j’étais dirait : “Putain,

ça a marché !” J’ai pris des risques et ça m’a rendu heureux. J’ai vu tellement de gens s’auto-parodier ou péter les plombs. Moi, je vais continuer à prendre des risques et à faire des disques un peu tordus, voir jusqu’où je peux aller. Etre le prince du stoner rock ? Je ne sais pas ce que c’est. Il n’y a pas de club, pas de trône. ★

Album “Villains” (Matador/ Beggars)

“J’adorais Lemmy. Il a vécu sa vie comme un Français”

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