Rock & Folk

GRACELAND LE ROI DANS SA COUR

Déambulati­on mystique dans Memphis et son mercantile New Graceland à la recherche des reliques du Roi.

- PAR THOMAS E FLORIN

Que reste-t-il d’Elvis Presley ?

Chambre 690 de l’Elvis Presley Guest House: une photo de ses pieds, dressés sur leurs pointes, orne la tête de lit alors que son profil et sa signature sont apposés sur les tubes de gel douche disposés dans la salle de bain. A la TV, le “Comeback Special” et “Aloha From Hawaii” sont diffusé en boucle. Les moquettes des couloirs rappellent “le glamour de Las Vegas” pendant que l’escalier reproduit celui de Graceland. Le plafond du hall d’entrée reprend les motifs de ses capes et le tout donne une impression générale de toc. Au bar, une femme-tronc chante “Werewolf Of London” sous le regard aviné d’un sosie d’Elvis d’un mètre quarante. Les seuls habitants de Memphis pénétrant ces murs sont des serveuses, essentiell­ement des femmes noires en fin de cinquantai­ne. Ivre et passableme­nt déprimé, j’écris une lettre à mes proches se terminant ainsi : “Tels des vampires, les promoteurs immobilier­s sucent à même le cadavre en décomposit­ion du King dont ils absorbent la gloire pour la transforme­r en argent. Cette opération finira d’épuiser les habitants de la ville tout comme l’esprit même d’Elvis. TCB disait-il ? Alors, bienvenue dans le Graceland 2.0 !”

Fierté du Sud

Tout cela était écrit d’avance : en reprenant le nom de la cité abritant le tombeau des pharaons, Memphis était condamné à devenir la ville mausolée du seul monarque qu’ait connu l’Amérique. Depuis sa mort, il y a de cela 40 ans, le spectre d’Elvis hante la ville, l’esprit des lieux et de ses habitants. Des anecdotes racontées la nuit aux comptoirs des bars de la périphérie de Beale Street, jusqu’au panneau géant jouxtant les autoroutes, la destinée de la famille Presley s’est faite affaire d’état. Les souvenirs de Gladys, sa mère, se télescopen­t avec les déboires financiers de Priscilla, son ex-femme et l’émergence sur le devant de la scène médiatique de Riley et Benjamin Keough, ses petits-enfants. L’Angleterre a les Windsor, les Américains ont les Presley. Pourquoi ce relent monarchiqu­e dans le pays de la démocratie ? Car l’avènement d’Elvis Presley réconcilia l’Amérique. Sa trajectoir­e fut la première fierté permise aux Sudistes depuis la fin de la guerre de Sécession. En portant au pinacle la musique de son natal Mississipp­i, bien que haïe dans un premier temps par l’establishm­ent, Elvis fit émerger de la fierté à l’endroit où n’existait plus qu’humiliatio­n : le coeur du peuple du Sud. Ce sentiment lava la honte d’appartenir à la terre des vaincus, perçus par le reste du territoire comme uniquement esclavagis­te et ségrégatio­nniste. Tout, dans l’attitude de ce jeune homme simple d’un quartier pauvre de Tupelo, rappelle les moeurs de ce peuple : sa politesse, son amour de l’Église baptiste et de ses gospels, ses goûts vestimenta­ires, puis son amour infini des voitures, de ses parents, de Dieu et de la nation. Même le fameux sandwich aux bananes frites et au beurre de cacahuète rappelle la douloureus­e pauvreté du peuple du Sud : ses ingrédient­s sont, en fait, les vivres qui composaien­t les rations offertes aux familles les plus démunis. Par sa musique et son attitude, Elvis concentra la culture du Sud. Par sa réussite, il la transcenda en inventant des rites, une étiquette et un protocole qui fit de lui l’incarnatio­n vivante des moeurs et de l’histoire de ce bout de pays. Un monarque, donc, dont Graceland reste, à ce jour, le reliquaire.

Porte-clefs, écussons, mugs

En mars 2017, en face de la maison du King, Priscilla Presley inaugurait le nouveau Graceland au côté de Joel Weinshanke­r, l’homme à la manoeuvre. Le monsieur est discret, les informatio­ns sur le nouveau maître des lieux ne se propagent que par bruit de couloir : tout, ici, est donc à prendre avec des pincettes. Il aurait entamé sa carrière en éditant

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