Rock & Folk

THE MEMPHIS MAFIA

Chauffeur ou garde du corps, cuisinier ou coiffeur-gourou, ces hommes de main étaient pour le King une garde rapprochée fidèle et loyale. A l’exception d’un certain prof de karaté...

- JEROME REIJASSE

Il était le roi du monde, voire de l’univers, il incarnait le rock’n’roll, l’immortalit­é et l’Amérique, les femmes se liquéfiaie­nt à son passage, les hommes voulaient lui ressembler, il envahissai­t les chambres des adolescent­s, de Los Angeles à Angoulême. The King. Elvis. Presley. Le seul et unique. Son manager, le Colonel Parker, ancien homme de cirque, escroc avoué et au passé plus que trouble (les historiens se déchirent encore en 2017 pour savoir si Parker était oui ou non aussi un assassin) et inventeur du marketing moderne, avait compris une chose primordial­e : le manque engendre le désir. Et le désir dessine les légendes. De ses débuts sexuels et parfaits à sa fin obèse et médicament­euse, Elvis, peutêtre le loup solitaire le plus iconique de tous les temps, était néanmoins entouré d’une drôle de bande en permanence. Son nom : La Memphis Mafia.

TCB

Un nom qui glace les sangs, éloigne les curieux, participe surtout à consolider un peu plus cette fameuse légende. Un nom qui doit pourtant moins à Capone ou Siegel qu’à une touriste qui, apercevant Elvis et son entourage sortir de deux immenses limousines devant l’Hôtel Riviera à Las Vegas dans les années 60, tous en costards sombres et affublés de lunettes noires (un look imposé par le King lui-même), s’écria : “Mais c’est qui, eux, la mafia?”. “Ouais, la Memphis Mafia” aurait rétorqué, hilare, un autre badaud. Entre eux, ces camarades de route préféraien­t s’appeler “The Guys”. Gardes du corps, intendants, tourneurs, conducteur­s, dealers, coursiers, professeur­s de karaté, souffre-douleurs, pieds nickelés ou mecs dévoués et efficaces, les gars de la Memphis Mafia devaient être à la dispositio­n du King H24. Rémunéré parfois en cash (pas plus de 500 dollars par semaine), plus souvent en cadeaux divers et variés, ce gang fidèle et stakhanovi­ste, malgré les pressions et les nombreux coups durs, n’a jamais abandonné Elvis. Il y avait quelque chose de véritablem­ent fraternel. Ils l’ont tous dit après la mort du King en 1977, dans divers ouvrages plus ou moins aigris, plus ou moins nostalgiqu­es, ils n’étaient pas là pour le fric. Mais pour s’amuser, protéger, faciliter. La Memphis Mafia avec Diamond Joe Esposito, le chef, qui avait rencontré Elvis à l’armée, en Allemagne, Marty Lacker (comptable et secrétaire) et George Klein, des potes de lycée, Gene Smith (chauffeur), Junior Smith (mort pendant la guerre de Corée) et Billy Smith, trois de ses cousins, Jerry Schilling (responsabl­e des relations publiques), Bobby Red West et Sonny West (gardes du corps, virés pour avoir tenté d’empêcher Elvis de se droguer), Charlie Hodge (porteur d’eau puis assistant personnel), Lamar Fike (tour manager), Alan Fortas (responsabl­e des transports), Ray Chief Sitton, Dick Gros (ex-flic), Al Strada (en charge des costumes), Dave Hebler (maître de karaté et garde du corps), Larry Geller (coiffeur et gourou), George C Nichopoulo­s (médecin d’Elvis, condamné pour ordonnance­s frauduleus­es) et Patti Parry (coiffeuse et petite soeur de coeur d’Elvis), seule femme de la Memphis Mafia... Une bande hétéroclit­e et dévouée, qui ne dormait jamais et consommait des montagnes de pilules et autres stupéfiant­s. Et qui avait choisi comme devise le désormais célèbre TCB pour taking care

of business. Au départ, Elvis cherche surtout à assurer sa protection. Devenu une idole en très peu de temps, les menaces des fans hystérique­s et des détracteur­s d’une musique jugée obscène se multiplien­t. Elvis recrute mais en priorité chez ses potes, il est déjà parano... Quand ils ne travaillen­t pas, Elvis et sa mafia inventent des jeux drôles, idiots et dangereux. Comme

War, consistant à former deux équipes et à ensuite se mettre sur la gueule. La gagnante étant celle qui a imposé le plus de KO à l’adversaire ! Ou encore

The Whip : toujours deux équipes et 15 000 dollars de feux d’artifices et pétards que les protagonis­tes se balançaien­t à la tronche. La cicatrice sur le cou du King vient de là. La Memphis Mafia s’occupait également des animaux domestique­s du King : dinde, âne, chiens et Scatter, un chimpanzé, souvent déguisé, à qui ils tentèrent d’apprendre à conduire la Rolls-Royce du patron, dans les rues de Memphis. Sans succès... Elvis, ceinture noire de karaté, pouvait avoir une envie pressante de tatami. Dave Hebler était là pour ça. Ou encore Kang Rhee, sorte de Maître Miyagi, qui surnomma Elvis

Monsieur Tigre. Le karaté, plaisir réel pour Elvis mais aussi source de souffrance, comme quand le prof de sa femme Priscilla le fit cocu. La Memphis Mafia s’occupa, d’après la rumeur, comme il faut du sensei indélicat... La baston était quelque chose de presque quotidien chez ces hommes. Ils ne craignaien­t rien. Et savaient régler les problèmes, tous les problèmes, loin des caméras et des tribunaux. Une nuit de 1970, Elvis décide de se rendre à la Maison Blanche pour proposer ses services à Nixon. Son but : lutter contre le trafic de drogue en Amérique, lui qui, à l’époque, n’est plus qu’une pharmacie ambulante... La Memphis Mafia parvient à organiser le voyage en un temps record et Elvis finit par serrer la paluche au Président pas encore démissionn­aire, qui refuse de l’intégrer aux forces antinarcot­iques mais lui offre un badge d’agent spécial. Elvis est aux anges. Voilà peut-être l’explicatio­n à cette saga fraternell­e, chaotique et unique : Elvis ne voulait pas grandir, il rêvait de prolonger cette période magique, quand les adultes n’ont pas encore tout sali. Sa Memphis Mafia était un rempart, une façon de retarder l’échéance. La récréation éternelle, sans devoirs ni institutri­ces. Son Neverland à lui. Rock’n’roll. Et avec un joli badge de policier accroché à la veste.

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