Rock & Folk

Dee Dee King

“STANDING IN THE SPOTLIGHT”

- PAR BENOIT SABATIER

Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilita­tion. Méconnus au bataillon ? Place à la défense.

Dee Dee : “Je suis un nègre ! Je suis un nègre !”. Johnny : “Non, tu n’es pas un nègre : tu es un putain de Blanc qui ne sait pas rapper.” Voilà pour l’ambiance entre deux concerts des Ramones, en 1988. Marky le raconte dans son autobiogra­phie : “Dee Dee était à fond dans le hip hop, Run-DMC et Public Enemy. Il cherchait des rimes dans le van, entre les moments où il avalait de la Thorazine et de la Stelazine. Une fois qu’il a compris qu’il pouvait rapper et agacer John en même temps, Dee Dee a foncé. Il s’est pointé en jogging Adidas rouge à rayures noires. Une grande médaille Mercedes-Benz en or accrochée à une chaine pendait à son cou, il avait les cheveux en pointe, des tas de bagues aux doigts : il ressemblai­t à Flavor Flav, en blanc. ‘Et les dents en or ?’, a dit John, elles sont où ? ‘J’y travaille’, a fait Dee Dee.” Les Ramones viennent de sortir leur dixième album, le médiocre “Halfway To Sanity”, et rien ne va plus. Dee Dee reste le principal compositeu­r du groupe, mais il en a sa dose, du punk rock. Il sort de désintox’, une clinique où il s’est lié à des lascars qui l’ont initié au hip hop. Dee Dee, le roi du punk rock, a vu la lumière : il sera le King du rap. Pour décrocher de l’héroïne, rien de mieux qu’une thérapie à base de LL Cool J. D’autres jeunes New-Yorkais irrévérenc­ieux, les Beastie Boys, cartonnent avec “(You Gotta) Fight for Your Right (To Party!)” : c’est ce que Dee Dee veut faire. Hey oh let’s go, ça suffit comme ça. Il sort donc, en 1987, le maxi “Funky Man”, où il rappe “I like rap and hip hop, I like hardcore and punk rock, I like hot-dogs, franks and beans/ I’m funky man, Fa fa fa fa fa fa fa fa funky !”. Dans le clip, on voit Dee Dee dans son appart’ cradoc, puis faisant le mariole dans New York : un bonheur. Parallèlem­ent, la carrière des Ramones patine. 1988 : les faux frères n’ont rien d’autre à sortir qu’une compilatio­n, “Ramones Mania”, et rien d’autre à tourner qu’un clip d’une chanson vieille de dix ans, “I Wanna Be Sedated”. Groupe du passé, il leur faudrait un nouvel album. Dee Dee : “L’enregistre­ment de ‘Brain Drain’ a vraiment été difficile. Je flippais tellement d’affronter les autres que j’ai fini par ne plus aller au studio. Je n’ai même pas joué sur l’album. Je me suis trouvé un appartemen­t dans l’East Village. J’ai été choqué de voir comment tous mes copains, Stiv Bators, Richard Hell, Johnny Thunders, terminaien­t : sans carrière, sans une thune, sans maison, à faire des entourloup­es dans la rue pour acheter un peu de came”.

Dee Dee ne veut pas vivre dans le passé et la dope : le hip hop doit le sauver. Le boss de la maison de disque des Ramones l’encourage dans cette direction. Marky : “Seymour Stein l’a signé sur Sire, avec liberté créatrice totale. D’un strict point de vue commercial, les talents d’écriture de Dee Dee avaient rencontré beaucoup de succès dans un autre genre — ils avaient même contribué à lancer le punk. Du point de vue de Seymour, ça valait donc le coup d’essayer”. Malgré les réticences, les gloussemen­ts ou l’incompréhe­nsion de son entourage, le bassiste enregistre donc “Standing In The Spotlight”, épaulé par Greg Gordon, l’ingénieur son de Public Enemy. Le disque débute par “Mashed Potato Time” et ces rimes : “It’s time to rock/ It’s time to rap/ It’s time for the mashed potato attack !”. Debbie Harry y apporte sa voix, comme sur “German Kid”, où Chris Stein joue de la guitare — à noter qu’ici, Dee Dee rappe en allemand... “Cet album restera dans les annales de la pop culture comme l’un des pires enregistre­ments de tous les temps”, affirme le rock critic Matt Carlson. C’est archi-faux. “Standing In The Spotlight” prouve ce qu’on savait déjà : Dee Dee est un grand songwriter, et un excellent chanteur — il suffit d’écouter la ballade “Baby Doll”, sublime. Ce qu’on ne savait pas, c’est que Dee Dee était capable d’une telle diversité. “Standing In The Spotlight” n’est pas un disque hip hop. Il y en a, mais à dose égale de rock et doo-wop. Son flow maladroit ? Du parlé-chanté, incrusté au milieu de couplet-refrains, boosté par des choeurs : les mélodies n’en sont que renforcées. “Commotion In The Ocean”, “Brooklyn Babe”, “Emergency”, les morceaux surpassent largement ceux des Ramones de la même époque — sachant que le groupe récupérera “The Crusher” pour le réenregist­rer. Celui qui se fait désormais appeler Dee Dee King ose prouver qu’il sait composer autre chose que du punk sur deux accords. Il va chèrement payer son audace, son inventivit­é, presque obligé de s’excuser. “Quand je me suis mis au rap, on ne peut pas dire que j’ai remporté l’Oscar du type le plus populaire. Dee Dee King ressemblai­t trop à un devoir, je m’étais fixé trop de règles et trop de limites”. N’importe quoi : “Standing In The Spotlight” les explose, les limites. Fa fa fa fa facile. ★ Première parution 1989

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