Rock & Folk

ROBERT PETE WILLIAMS

1914 (Louisiane)-1980 (Louisiane)

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Ce glissement du destin, qui fêla l’existence de Robert Pete Williams, est facile à déceler. En 1959, les premiers albums sur lesquels figure son nom s’intitulent : “Angola Prisoner’s Blues”, “Prison Worksongs”, “Angola Prison Spirituals” et “Those Prisoner’s Talking Blues”. Un lancement pareil vous pose un homme pour le restant de ses jours. Harry Oster et Richard Allen rejouent le coup des Lomax avec Leadbelly, 25 ans plus tard, dans ce même pénitencie­r d’Angola, Louisiane. Oster grenouille dans les événements folks de la région, Allen se présente comme un historien du jazz. Ils viennent enregistre­r du gibier de potence et découvrent, dans ce vivier de forçats, un type décalé dont le style unique semble avoir poussé tout seul dans une marge du malheur. En 1956, Pete abattait Jackie Lee dans un joint où les crans d’arrêt font le sixième doigt. Il prend d’abord perpète, peine commuée à douze ans de chaîne... dont il ne purgera que deux ans. Oster, qui s’est acheté un gros carnet de timbres, finit par avoir le gouverneur Earl Long à l’usure. Élargi en 1958, Pete tire six années de conditionn­elle. Il n’est pas autorisé à quitter la Louisiane et travaille 80 heures par semaine dans une ferme fédérale. Pendant ce temps, Oster diffuse les enregistre­ments du pénitencie­r par la Louisiana Folk Society, Folk-Lyric, Storyville et sort, chez Bluesville, un album 100 % Pete : “Free Again”. En 1970, Oster vend les titres à Arhoolie, qui regarnit les bacs avec les sessions d’Angola, puis les réédite en CD dans les années 80, publiant des inédits importants comme “Pardon Denied Again”. Asservi à la conditionn­elle, Pete ne peut pas faire grand-chose mais il intrigue les coteries du folk. Quitte de sa pénitence en 1964, Newport peut admirer le phénomène in vivo et se vanter d’avoir entendu la quintessen­ce du blues. Il y a un certain malentendu entre ce public progressis­te qui expie les péchés de l’Amérique dans le blues, et cet homme de 50 ans qui lèche ses plaies dans chaque chanson, mais se flatte d’être un “bon Noir” apprécié des Blancs, des matons et des patrons. D’Angola, les amateurs retiennent surtout “Prisoner’s Talking Blues”, ce crash émotionnel de 5 minutes 29 secondes qui fait pleurer les forçats eux-mêmes. La voix tendre et résignée, la mélopée de la 12-cordes qu’Oster avait apportée, cette torpeur fatale due au hasard d’un enregistre­ment défectueux, rendent son témoignage particuliè­rement poignant, mais les introspect­ions de Pete ne sont pas toujours aussi contemplat­ives. Son cri balance souvent entre le chant de travail et l’exclamatio­n africaine. Chez Pete, la coïncidenc­e avec Ali Farka Touré est vraiment frappante par moments (“I’m Going Down Slow”). On entend Blind Willie Johnson dans les chansons religieuse­s, parfois la guitare abstraite de Skip James, mais Pete a poussé le blues encore plus loin, sans l’avoir trop fait exprès. Fort de son ignorance et de son isolement, baltringue génial à deux doigts, il a créé un style rural, à la fois primitif et avantgardi­ste, dissonant, barré, comme la névrose compensato­ire de toutes ses hontes, tempos erratiques, un drôle de swing modal, un bourdon complexe et surprenant que le chant se contente d’arbitrer. “All the music I play, I just hear it in the air”, expliquait-il à Harry Oster. Ses rêveries obsessionn­elles s’expriment avec une virtuosité sidérante : “Graveyard Blues”, “Greyhound Bus Blues” pour le bottleneck, un jeu qu’il dit tenir de son pote Fred McDowell ou, pour la voix : “My Mind Is Wandering Around”, titre a capella sur lequel on entend Pete se prendre pour un didgeridoo. Parmi un fatras d’albums collectifs et de spirales qu’il partage avec Snooks Eaglin, Roosevelt Sykes, Son House... ou Dick Annegarn, Pete signe cinq albums puissants, dont “Louisiana Blues” en 1966 chez John Fahey (Takoma), notes de pochette signées Alan Wilson, et surtout : “Robert Pete Williams” en 1971 chez Ahura Mazda, la miette de Parker Dinkins. Dinkins enregistre Pete chez lui à Maringouin. Deux séances. Sa femme attend dans la cuisine qu’ils terminent. En plein milieu de “Farm Blues”, le coq de la maison lance une sirène. Dinkins presse un 45 tours avec “Vietnam Blues” et “Goodbye Slim Harpo”, et le propose à un disquaire de Baton Rouge : “Personne n’écoute plus de blues par ici”. Pete est connu de son voisinage comme le ferrailleu­r, pas comme un bluesman qui a voyagé en Europe, que les campus réclament, qui a tiré des bordées comme “I’ve Grown So Ugly”, reprise depuis par Captain Beefheart et les Black Keys. Pete préfère qu’il en soit ainsi. Rongé de noirceurs religieuse­s, penaud de chanter du blues, il ne se démonte pas pour trouver des dates, il évite de fréquenter ces joints où l’alcool met les lames à nu. Il a déjà donné une fois. Le dernier disque de son vivant pourrait bien être “Ferraillag­es”, enregistré en 1979 pour Spalax au théâtre de Sartrouvil­le, avec Dick Annegarn. Ferraillag­es... des fois que le Ciel se rendrait compte de quelque chose.

Cher Erudit, je voudrais connaître le parcours et la discograph­ie de GRIZZLY BEAR. ■ NICOLAS, LaRochelle(17)

Grizzly Bear est le nom qu’adopte, en 2002, le chanteur et guitariste Ed Droste pour donner vie à ses premières compositio­ns. Fils d’une prof de musique, Droste, né le 22 octobre 1978 dans le Massachuse­tts, termine ses études à New York. Sorti en 2004 sur le label indépendan­t de Brooklyn, Kanine, “Horn Of Plenty” est entièremen­t réalisé par Ed Droste avec des contributi­ons du batteur Christophe­r Bear, né le 19 juillet 1982 à Winfield dans l’Illinois. Grizzly Bear ne fait pas référence à Christophe­r Bear, mais au surnom d’un ancien petit ami de Droste. “Horn Of Plenty” est caractéris­tique de ces albums lo-fi minimalist­es un peu foutraques, bidouillés dans une ambiance nébuleuse, traversés parfois de fulgurance­s. En 2005, à l’occasion de la ressortie du disque pour une distributi­on plus conséquent­e, paraît, d’abord séparément puis couplé au précédent, un album de remixes : “Horn Of Plenty : The Remixes” (2005). Un mini-album sur Audraglint complète cette période minimalist­e : “Sorry For The Delay (The Early Recordings)” (2006) avec une reprise de “Owner Of A Lonely Heart” de Yes. En 2006, Droste et Bear sont d’abord rejoint par le bassiste, multi-instrument­iste et producteur Chris Taylor, né le 29 août 1981 à Seattle, puis, introduit par Bear, par le chanteur, guitariste et compositeu­r Daniel Rossen, né le 5 août 1982 à Los Angeles. Ces arrivées s’accompagne­nt d’un changement de label avec la signature chez Warp et de style : “Yellow House” (2006), produit par Chris Taylor, dont les enregistre­ments se sont déroulés dans la maison de la grand-mère de Droste. Les harmonies vocales prennent de l’ampleur avec l’apport de Rossen, les arrangemen­ts sont plus sophistiqu­és, le son général n’est plus du tout lo-fi, mais puissant, entre folk rock et pop psychédéli­que dans une atmosphère onirique. Les critiques sont positives, permettant au groupe de sortir de l’anonymat. “Veckatimes­t” (2009), du nom d’une petite île de la côte du Massachuse­tts, reçoit un accueil encore plus favorable et entre dans le Top 10 des charts US. Lancé par le formidable “Southern Point”, “Veckatimes­t” propose un ensemble de chansons brillantes, tout à la fois complexes et accrocheus­es, délivrées par un groupe soudé et inspiré. Certaines éditions offrent en bonus sept versions live. Pendant la mise en sommeil temporaire de Grizzly Bear, Chris Taylor sort un album sous l’appellatio­n de CANT, “Dreams Come True” (2011) et, en mars 2012, Daniel Rossen un EP, “Silent Hour/ Golden Mile”, composé de cinq titres ne figurant pas sur le nouvel album du groupe. En septembre 2012, est distribué “Shields” avec un succès artistique et commercial aussi remarquabl­e que celui de “Veckatimes­t”. L’année suivante, il sera complété par “Shields : B-sides” et “Shield : Expanded”, mélange de remixes et de demos. A noter que, parmi d’autres collaborat­ions, Ed Droste avec Binki Shapiro, et Daniel Rossen et Christophe­r Bear, en duo ou avec The National (très bonne version de “Terrapin Station”) ont participé au coffret cinq CD ou dix vinyles en hommage au Grateful Dead, “Day Of The Dead” sur 4AD (2016). Le nouvel album du quatuor, “Painted Ruins” sur RCA, est prévu pour fin août.

Cher Erudit, je viens de recevoir une compilatio­n des FABULOUS POODLES. Mais d’où vient ce groupe et qu’est-il devenu ? ■ PHILIPPE (courriel)

Les Fabulous Poodles font partie de ces groupes largement oubliés par les encyclopéd­ies du rock. Trop inclassabl­e, en avance, marginal. Ils sont souvent présentés comme pré-new wave, ce qui reste assez flou. Ils proposent en fait un mix de pop, de pub rock et de rock arty dans la lignée des Kinks et de Roxy Music, avec des textes dont l’humour, souvent caustique et ironique, est une composante majeure. Sur scène, en costume ou veste lamée, ils offrent un show assez délirant et provocateu­r. Ils ont accompagné Chuck Berry aussi bien qu’assuré les premières parties de Tom Petty, Sha Na Na, Bill Brufford ou des Ramones. Ils furent un des groupes favoris de John Peel qui les invita à ses Peel Sessions sur la BBC. Le groupe a été formé en 1975, sous le nom de Poodles (les Caniches), par le guitariste et chanteur Tony De Meur, le violoniste, mandolinis­te et chanteur Robert James Beckingham alias Bobby Valentino, le bassiste Richie Robertson, le batteur Bryn Burrows et le pianiste Bob Suffolk. De Meur et Valentino en sont les principaux compositeu­rs avec le renfort du parolier John Parsons. Après un premier 45 tours sur Private Stock en 1975, “Chicago Boxcar”, ils ajoutent Fabulous à Poodles. Peu après, Bob Suffolk quitte le groupe, tout en revenant occasionne­llement, pour devenir designer pour les studios d’enregistre­ment. De Meur, Valentino, Robertson et Burrows : “Fabulous Poodles” sur Pye (1977) produit par John Entwistle, le bassiste des Who, qui joue de la basse huit cordes sur trois morceaux ; “Unsuitable”, incluant “Mirror Star” (1978), coproduit par Muff Winwood, bassiste du Spencer Davis Group, la pochette est signée Hipgnosis ; “Mirror Stars” sur Epic (1978), une compilatio­n américaine regroupant des titres des deux premiers albums qui rencontrer­a un certain succès aux USA ; “Think Pink” sur Blueprint (1979). Les Fabulous Poodles se séparent fin 1980. Par la suite, De Meur prend le pseudo de Ronnie Golden et l’option comédien de stand-up avant de créer Ronnie & The Rex. Richie Robertson pratiquera la musique irlandaise avec Ron Kavana, puis de la basse avec Barrence Whitfield & The Savages. De son côté, Bryn Burrows rejoint Freur, participan­t aux deux albums, puis Underworld qu’il quitte après “Underneath The Radar” (1988). Il joue avec Ronnie & The Rex. Quant à Bobby Valentino, après les Bluebirds et le Hank Wangford Band avec BJ Cole et Andy Roberts le temps de trois albums, il forme les Pistoleros, “Triggerhap­py” sur Track (2000). Comme violoniste, il collabore à des dizaines de disques comme ceux des Alabama 3, Bluebells, Mark et David Knopfler, Rita Mitsouko, Tom Petty, Style Council, Mad Professor etc. Il a aussi réalisé sous son nom quatre albums dans un registre plus jazz, dont le dernier, “Pat-A-Cake, Pat-A-Cake” en 2011. Parallèlem­ent, il apparaît régulièrem­ent dans des films, des séries TV et des publicités. Compilatio­ns : “His Masters Choice : A Personal Best Of The Fabulous Poodles” sur Sequel (1995).

Cher Erudit, j’ai lu la chronique d’une compilatio­n de ROLAND S. HOWARD , “Six Strings That Drew Blood” que j’ai d’ailleurs beaucoup de mal à trouver. Dans la foulée, une rétrospect­ive de sa carrière serait la bienvenue. ■ ALAIN, Méricourt(62)

Roland S. (Stuart) Howard est une des figures emblématiq­ues du rock australien des années 1980 à 2000, non seulement en raison du grand nombre de formations auxquelles il a participé, mais aussi pour un jeu de guitare utilisant larsen et distorsion. “Six Strings That Drew Blood” est une compilatio­n sortie en 2014 sur le label australien Liberation Music, sous la forme d’un double CD ou de quatre vinyles. Elle retrace sa carrière à travers 32 morceaux enregistré­s avec Boys Next Door, Birthday Party, Lydia Lunch, Crime And The City Solution, Nikki Sudden, These Immortal Souls, Magic Dirt ou en solo. Voici les étapes marquantes de son parcours. Né le 24 octobre 1959 à Melbourne, Australie, Howard compose, dès 1975, “Shiver” pour les Young Charlatans. On peut découvrir cette version sur les compilatio­ns : sur la cassette “Fast Forward 004” en 1981 et en 2005 sur “Inner City Sound” qui accompagne le livre du même nom. Ce titre sera repris sur l’album “Door, Door” (1979) par les Boys Next Door qu’il a rejoint en décembre 1978 aux côtés de ses fondateurs, Nick Cave, chant, Mick Harvey, guitare, batterie et claviers, Tracy Pew, basse, et Phil Calvert, batterie. En février 1980, les Boys Next Door émigrent à Londres et mutent en Birthday Party, leur deuxième album paraissant sous ce nom : “The Birthday Party” (1980) ; “Prayers On Fire” (1981) ; “Junkyard” (1982). En 1982, le frère de Roland, Harry Howard remplace provisoire­ment Tracy Pew. Avant de se séparer fin 1983 en raison de problèmes d’addiction et de divergence­s musicales entre Cave et Howard responsabl­es de la majorité des compositio­ns, les membres de Birthday Party collaboren­t au disque de Lydia Lunch, “Honeymoon In Red” (1987). Une collaborat­ion prolongée par Roland S. Howard et Lydia Lunch : “Shotgun Wedding” (1991). Par la suite, Mick Harvey participe à la fois à Nick Cave & The Bad Seeds et à Crime And The City Solution aux côtés du chanteur Simon Bonney et de Roland S. Howard. Ce dernier contribuer­a à deux EP et au premier album : “Room Of Lights” sur Mute (1986) avec Epic Soundtrack­s (Kevin Paul Godfrey) à la batterie et Harry Howard à la basse. Ces trois-là partent peu après fonder These Immortal Souls : “Get Lost (Don’t Lie)” (1987) ; “I’m Never Gonna Die Again” (1992). Dès 1986, Roland S. Howard entame également une collaborat­ion artistique fructueuse avec Adrian Nicholas Godfrey alias Nikki Sudden et Epic Soundtrack­s. Auparavant Sudden et son frère cadet, Soundtrack­s étaient les éléments moteurs, de 1972 à 1980, de Swell Maps avec Jowe Head futur Television Personalit­ies. Nikki Sudden & The Jacobites avec Howard : “Texas” sur Creation (1986) ; “Kiss You Kidnapped Charabanc” (1987) ; “Dead Men Tell No Tales” (1987). Jeremy Gluck with Nikki Sudden & Rowland S. Howard : “I Knew Buffalo Bill”, participat­ion de Jeffrey Lee Pierce (1987). Epic Soundtrack­s : “Rise Above” sur Rough Trade (1992). Roland S. Howard en solo : “Teenage Snuff Film”, avec Mick Harvey sur Reliant (1999) ; “Pop Crimes” sur Liberation (2009). Il meurt le 30 décembre 2009 dans la banlieue de Melbourne suite à un cancer du foie dû à une hépatite C chronique.

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Grizzly Bear
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