Rock & Folk

Chester Bennington

1976-2017 Le chanteur de Linkin Park s’est donné la mort le 20 juillet dernier.

- VINCENT HANON

“Frères humains qui après nous vivez, n’ayez les coeurs contre nous endurcis. Car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous merci.” (François Villon, “Ballade des Pendus”, 1489)

Faut-il revenir par ici ? On se souvient bien sûr de Chris Cornell, l’un des meilleurs amis de Chester Bennington, chanteur de Linkin Park, qui a attendu le jour du cinquante-troisième anniversai­re de celui de Soundgarde­n pour disparaîtr­e à l’identique. En Australie, impossible d’oublier Christian Houllemare, bassiste havrais de Happy Hate Me Nots parti jouer avec The New Christs, Paul Hester, le batteur de Crowded House et Michael Hutchence d’INXS, tous retrouvés au bout d’une corde. “In The End”, où l’heure d’apprendre aux gamins élevés avec la téléréalit­é qu’argent et gloire ne riment pas forcément avec accompliss­ement et bonheur. Linkin Park s’est formé à la fin des années 90 à Agoura Hills, en Californie. Son premier essai, “Hybrid Theory” reste l’un des albums les plus explosifs de l’an 2000 et se vendra à vingt-sept millions d’exemplaire­s dans le monde. “Meteora” et “Minutes To Midnight”, cartonnero­nt tout autant derrière. Maintenant qu’il n’y a plus d’industrie musicale, tout cela n’est rien comparé aux vidéos du groupe, dont certaines ont été vues 600 millions de fois. Un groupe populaire donc, mais aussi un vrai groupe de rock visionnair­e, raccord avec une époque, ce qui en dit long sur le moral de la génération Y. Au-delà d’écrire de parfaites chansons pop, Linkin Park a d’abord réussi quelque chose d’important, guère tenté depuis Aerosmith et Run-DMC, à savoir allier le rock et le rap. Le fruit de cette union se trouve sur “Collision Course”, EP mash-up de six titres avec Jay-Z en 2004, mais le groupe continue à collaborer avec les artistes les plus créatifs de la scène hip-hop, comme Rakim, Pusha T ou Stormzy. Pour certains, Linkin Park ne serait pourtant qu’un truc nu metal pour ados, voire un boys band, et la presse bien pensante ne lui pardonne pas de mixer brillammen­t les couleurs. Le public s’en fout, et réserve un triomphe à Linkin Park. Pourtant, sous l’alliage de sophistica­tion et de colère, personne ne remarque la fêlure qui court du sol au plafond. Né le 20 mars 1976 à Phoenix, en Arizona, Chester Bennington a connu une enfance troublée, marqué par les dépendance­s aux drogues et à l’alcool, après avoir été agressé sexuelleme­nt à l’âge de sept ans par un type plus âgé. Le chanteur de Linkin Park avait une voix incroyable, expressive, claire et perçante, qui ravalait ses larmes pour se marier aux puissantes harmonies et à la scansion hip-hop de son alter ego Mike Shinoda. Bennington avait un projet parallèle, Dead By Sunrise et avait également été chanteur de Stone Temple Pilots en 2013, remplaçant pendant deux années Scott Weiland, qui mourra d’overdose peu après. Courageux, Linkin Park aimait naviguer à contre courant et “One More Light”, son septième et dernier album, qui voyait le groupe s’engager dans une voie différente, plus sucrée et moins colérique, s’ouvrait par le prémonitoi­re “Nobody Can Save Me”. Plus grand monde désormais pour trouver lambda des chansons comme “Good Goodbye” ou “Talking To Myself”. Un long appel au secours qui fait rétrospect­ivement froid dans le dos. Tandis que les ricaneurs qui ont copieuseme­nt hué le groupe lors de sa prestation pendant la dernière édition du Hellfest se voient aujourd’hui renvoyés à leur médiocrité haineuse. Il y a dix ans, on avait rencontré à Los Angeles Chester Bennington, un être sensible et intelligen­t qui s’exprimait clairement dans ce magazine, et aura au final sauvé bien des gens de la dépression, mais malheureus­ement pas réussi à se sauver lui-même. Toujours est-il qu’il laisse derrière lui Talinda Ann Bentley et six enfants, mais aussi une oeuvre dense qui prend aujourd’hui tout son sens. Pas un hasard si quatre albums de Linkin Park viennent de refluer en tête des charts américains. “Priez Dieu que tous nous veuille absoudre !” scandait Villon dans son poème épitaphe. ★

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Dimanche 18 juin 2017, Hellfest

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