Rock & Folk

HELENA NOGUERRA

Chanteuse sous-estimée et actrice impeccable, LNA vient de sortir un troisième roman où les références musicales foisonnent.

- RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET

Rendez-vous est pris au domicile parisien d’Helena Noguerra à la faveur de la sortie d’un roman, “Ciao Amore”, renouvelan­t élégamment les affres des jeux de l’amour et du hasard, sport national s’il en est. Ouvrage parfaiteme­nt pop dans son contenu (les références musicales y sont permanente­s) et ses déclinaiso­ns (un beau site permettant d’accompagne­r la lecture par des images et du son a été créé, ciaoamore.fr) il permet à la chanteuse/ comédienne d’affiner son oeuvre, celle d’une esthète légèrement dilettante mais toujours indépendan­te dans sa démarche. Elle nous ouvre, sourire aux lèvres, tel le chat du Cheshire. Profitant de l’incontourn­able shooting et contournan­t des fauteuils crapaud rouges, nous inspectons les divers meubles où s’entassent CD et vinyles appétissan­ts (notamment un rarissime 45 tours de Gainsbourg, “L’Eau A La Bouche” dans une édition inconnue de nos services). A côté, deux guitares acoustique­s trônent contre le mur. Cette pièce respire la musique. Politesse du désespoir ROCK&FOLK : Premier disque acheté ? Helena Noguerra : C’est un 45 tours de Blondie qui s’appelait “Denis” (elle chante) “Denis, Denis avec tes yeux si bleus”... J’habitais Bruxelles à l’époque. Il y avait un grand magasin qui s’appelait l’Innovation avec un rez-de-chaussée plein de disques... Il a dû me coûter 10 francs belges. Je l’avais entendu à la radio. Je trouvais Debbie Harry super belle, un peu punk, un peu rebelle et les chansons étaient top...

R&F : Vos parents écoutaient beaucoup de musique ? Helena Noguerra : Mon père était musicologu­e. Dans sa jeunesse il avait un groupe de pop, dont il a d’abord été batteur, puis saxophonis­te, puis chanteur, ça s’appelait Les Scoobidoos, c’était un peu les Nouvelle Vague de l’époque, un groupe de bal qui faisait des morceaux des Beatles, des Stones... Plus tard, il s’est mis au free jazz. Ma mère, elle, écoutait beaucoup Jeanne Moreau et du fado. La musique était primordial­e à la maison. R&F : Il y avait donc beaucoup de disques autour de vous ?

Helena Noguerra : Il y en avait partout. C’était une petite dictature de la musique ! Mon père avait une énorme collection de vinyles, qu’il a vendue d’ailleurs récemment. J’avais les boules parce que je pensais qu’il me l’aurait donné en héritage. C’était surtout des disques de jazz, beaucoup de disques de world. Il écoutait 16 000 titres par an pour analyser et comprendre d’où vient la musique. Il avait des mallettes taille 33 tours où tu pouvais mettre 30 albums. Elles sont super belles. J’en ai donné à mon fils. R&F : Et vous, comment vous mettez-vous à faire de la musique ? Helena Noguerra : Au début, c’était trop imposant cet environnem­ent, donc je voulais fuir ça. Après c’est des accidents, quand ma soeur (Lio,

pour ceux du fond) est devenue chanteuse, moi je voulais faire comédienne mais ça ne marchait pas alors j’ai pris une guitare, j’ai appris quelques accords qui me permettent juste de composer des chansons. Mais je n’en joue pas sur scène, seulement devant des amis. Et encore, après quelques verres. R&F : En 1988, vous sortez votre premier 45 tours, “Lunettes Noires”. Helena Noguerra : En 1986, j’étais mannequin, j’avais fait le clip de “Tes Yeux Noirs” d’Indochine réalisé par Gainsbourg, mais j’en avais marre, j’étais un peu dépressive alors ma soeur m’a dit : “Viens chanter avec moi”. Alors, j’ai fait choriste pour elle à l’époque de “Les Brunes Comptent Pas Pour Des Prunes”.

Et son producteur de l’époque, Michel Esteban de Ze Records, m’a dit :

“Dis donc, petite, tu chantes bien, tu veux pas faire un disque ?” et moi, dans l’attente du grand rôle, j’ai dit oui. Je ne me suis jamais sortie de la musique à partir de là. R&F : La chanson est signée Jay Alanski et Jacques Duvall, la team “Banana Split”... Helena Noguerra : Oui, au début je rechignais un peu genre : “Je vais être la soeur de Lio toute ma vie” mais c’était plus fort que moi. Et la chanson était super. Alors... R&F : Passons à votre livre “Ciao Amore”... Vous y parlez beaucoup de musique, la première référence est Peggy Lee, “It’s A Good Day”... Helena Noguerra : C’est une chanson de circonstan­ce, quand tu te lèves que tu es de bonne humeur (elle chantonne” “It’s a good day for singin a song, it’s a good day for movin’ along”). R&F : Il y a aussi pas mal de citations de comédies musicales, le côté Broadway, genre “West Side Story”... Helena Noguerra : Dans le livre il y a un côté un peu comédie musicale, je voulais que les personnage­s soient frais, prêts à danser... J’adore ça. Par exemple, puisque vous allez me le demander, l’album pour l’île déserte... R&F : Ça, c’est à la fin de l’interview... Mais allez-y.

Helena Noguerra : C’est “Mary Poppins”. La musique est démente. C’est les frères Sherman qui ont écrit ça. Cette BO est en même temps pop, en même temps jazz, elle est très érudite, très scientifiq­ue tout en ayant l’air tout à fait simple. C’est tout ce que j’aime. C’est très dur à chanter aussi. Comme ce que l’on peut trouver dans les films de Jacques Demy avec les musiques de Michel Legrand. Ça a l’air mignon mais c’est toujours un drame. Une espèce de politesse du désespoir.

La politique de l’auteur

R&F : Votre roman ressemble aussi à un film. De Rohmer en l’occurrence. Quelles sont vos BO préférées ? Helena Noguerra : Là, par exemple, il y a deux vinyles qui sont sortis et que j’écoute en boucle. Une compilatio­n de Georges Delerue et la musique de “L’Eclipse” d’Antonioni signée Giovanni Fusco... François de Roubaix aussi, j’adore... R&F : De Roubaix qui a composé “Chapi Chapo” dont vous parlez d’ailleurs dans le livre. Helena Noguerra : C’est l’enfance. Cette mélodie qui nous ravit. Et dont on apprend bien plus tard qu’elle a été composée par ce génie de la musique ! R&F : Vous parlez beaucoup de pop française aussi dans ce livre... Quel est votre modèle dans le genre ?

Helena Noguerra : Françoise Hardy. On est tous un peu des enfants de Françoise Hardy. Les filles, surtout... L’album “La Question”, qu’elle a fait avec Tuca, une guitariste brésilienn­e, est mon préféré avec “La chanson D’O” où elle ne chante qu’en onomatopée­s ! Ce que j’adore chez elle c’est le côté journal intime. Avec son Dutronc d’amoureux qui visiblemen­t la fait beaucoup souffrir. Au-delà des chansons, c’est une oeuvre. Comme au cinéma, il y a la politique de

l’auteur, avec elle c’est possible en disques. C’est pas très Rock&Folk tout ça hein ? R&F : Alors, soyons radical. Beatles ou Stones ? Helena Noguerra : Beatles. Il y a plus d’harmonie, de contrepoin­ts, de contrechan­ts et peut-être plus d’humour... J’aime bien les gens qui ne se prennent pas trop au sérieux. R&F : Un disque favori des Beatles ? Helena Noguerra : “Help !”. Avec tous ces contrechan­ts que j’adore... Comme chez les Beach Boys que j’adore aussi, “God Only Knows” ultime chanson pop, ou les Mamas & Papas. Une pluie de voix ! R&F : Vous avez d’ailleurs eu des problèmes à cause des Rolling Stones... Helena Noguerra : Un jour Libé me pose la question : “quel est le groupe que tout le monde adore et dont tu te fous ?” et je réponds :“J’m’en fous des Rolling Stones”... Houlala ! Sur les réseaux sociaux, on m’est tombé dessus. Les fans disaient “Les Stones

ils s’en foutent d’Helena Noguerra !” Ben évidemment ! Ce n’est pas la question ! Mais je n’ai jamais acheté un disque des Rolling Stones et il ne me vient jamais à l’idée de mettre une chanson des Rolling Stones. Si “Miss You” passe, j’aime bien, je danse dessus, mais je ne sacralise pas plus que ça ce groupe. R&F : Concernant les dilemmes éternels vous écrivez : “Quelle différence entre amour et désir ? Entre un homme et une femme ? Préférait-elle Satie ou Debussy ? Sheila ou Sylvie ? Elliott Smith ou Nick Drake ?” Complétons : êtes-vous plus rock ou plus folk ? Helena Noguerra : Je suis plutôt folk. Nick Drake par exemple et

sa chanson “I Was Made To Love Magic” que je cite aussi dans “Ciao Amore”. C’est mon préféré chez les Anglo-Saxons. J’ai tous ses disques, même les maquettes parues post-mortem. Tout. Mon album favori, c’est “Five Leaves Left”. Je l’ai écouté tous les jours de l’année 2006. Je l’ai découvert, abandonné chez moi, par je ne sais quelle ou quel inconnu. Le disque était là. Comme par magie. Et je suis tombée amoureuse. De la voix, de la guitare comme une cascade d’eau, des chansons... C’est une mélancolie qui ne me rend pas du tout triste. Au contraire. Pour moi c’est gai. R&F : Et en rock alors ? Helena Noguerra : Le deuxième album de Ben Harper “Fight For Your Mind”, un folkeux qui fait du rock en quelque sorte ! Après, je retiens davantage des chansons que des artistes : “Smells Like Teen Spirit” de Nirvana, “Give It Away” des Red Hot Chili Peppers, le morceau

d’Aerosmith où Steven Tyler rote, “Eat The Rich”, mais aussi “Walk This Way” version Run-DMC... En fait, je crois que ma tête est trop rock, et que j’ai besoin d’harmonie, c’est ça mon problème. Je suis assez tendue à l’intérieur, je n’ai pas besoin qu’on m’en rajoute. R&F : Il y a pas mal de scènes de boîte de nuits dans le roman... Vous citez notamment “Contort Yourself” de James White et l’increvable “Funkytown” de Lipps Inc. Alors, quel disque préférez-vous sur le dancefloor ?

Helena Noguerra : Je suis la reine de la piste. J’adore danser. Je dirais “Think” d’Aretha Franklin. (elle hurle) “Freedooom !” Où que je sois, si quelqu’un passe ça, j’ai le feu aux espadrille­s ! J’aimerais danser toute ma vie. C’est ce qui me rend triste dans le fait de vieillir d’ailleurs c’est de ne pas vouloir m’arrêter de danser, de fumer, de boire...

R&F : Vous croyez qu’il y a un âge où on ne peut plus danser ? Helena Noguerra : Ben, on ne voit pas tellement de papis et de mamies en boîte de nuit... Où irai-je danser bientôt ? Au thé dansant (rires) ? Aujourd’hui, entourée de jeunes gens, je fais encore illusion dans le noir, mais il va bien falloir que je trouve d’autres lieux. R&F : Pour rester dans la soul, d’autres artistes préférés ?

Helena Noguerra : Prince ! “The Question Of U”, ça c’est le meilleur titre du monde ! Une production extraordin­aire. Je conseille à tout le monde d’écouter ça parce qu’à un moment il y a des claps qui sont un peu improbable­s... Ils arrivent une fois, tu les reveux, ils reviennent une deuxième fois, tu les veux encore et là ils n’arrivent plus jamais... J’adore ! Sinon “Cream”, pour danser et parce que c’est coquin.

Cuisses de poulet

R&F : Vous écoutez quoi en ce moment ? Helena Noguerra : Là, par exemple, French Cowboy, les anciens Little Rabbits et le titre “It’s A Question Of Time”... Ou Daven Keller, “Reaction B”, qui m’évoque les musiques de films façon Bernard Herrmann... Aujourd’hui il y a le syndrome Deezer, où tu ne te rappelles plus des noms des artistes, contrairem­ent aux vinyles. Tu allais acheter ton disque amoureusem­ent et tu le ramenais chez toi, tu avais le temps de faire connaissan­ce avec l’artiste... Maintenant, il y a tellement de choses. Tu zappes. R&F : Vous pensez quoi de l’industrie du disque d’ailleurs ?

Helena Noguerra : On commence à se sentir vieux quand on a peur du monde qui arrive. Je pense simplement que c’est un autre système qui se met en place, ça ne m’effraie pas plus que ça. Après, en effet, peut-être que les artistes ne s’achèteront plus des piscines, mais les artistes qui s’achètent des piscines, c’est finalement assez récent. Normalemen­t, on est des griots payés avec des cuisses de poulet, non ? Ou du chocolat chaud. Les artistes riches, c’étaient les courtisans, les proches du pouvoir, Lully, Mozart. Mais être artiste, c’est quoi ? Est-ce que c’est être contre l’establishm­ent, questionne­r le monde ou être un simple témoin comme Françoise Hardy ou moi ? Sans me comparer, on n’a pas de messages mais on fait des chansons d’amour, on témoigne juste d’une époque, de comment une femme aime à un moment donné... Quand les jeunes nous voient paniquer sur ce que l’on a perdu ils voient juste des vieux qui pleurent sur leur monde perdu. C’est un monde en changement, c’est tout.

“Nick Drake... une mélancolie qui ne me rend pas triste”

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