Rock & Folk

FLEET FOXES

Les illuminés américains ont mis six ans à sortir leur troisième album ? Normal, le chanteur Robin Pecknold avait tout arrêté pour reprendre ses études.

- BERTRAND BOUARD Album “Crack-up” (Nonesuch/ Warner)

Certains envisagent une vie de musique comme une échappatoi­re au monde et à ses conformism­es. Une façon de fuir les convention­s sociales et leurs conditionn­ements. En 2013, Robin Pecknold, fort du succès des deux premiers albums des Fleet Foxes, pouvait faire ce que bon lui semblait. Il a choisi de s’en retourner sur les bancs de l’école. “C’était bizarre, j’avais dix ans de plus que tout le monde. Je me sentais un peu comme un extraterre­stre”, nous dit-il aujourd’hui dans un hôtel classieux à deux pas de la place Vendôme. Une sensation qui, à dire vrai, ne doit pas lui être trop étrangère.

Un peu trop réactionna­ire

Rien n’a jamais été très simple avec Robin Pecknold. A croire qu’échapper aux cases dans lesquelles on voudrait le ranger lui sert de ligne directrice. Le premier Fleet Foxes, déjà, a des airs d’ovni quand il paraît en 2008. Voilà une musique folk mais fascinée par les harmonies vocales des Beach Boys (plutôt ceux de la période “Smile”), qui squatte aussi bien le haut des charts que la première place des palmarès des magazines de musique. “J’ai été très surpris par ce

succès, avoue le chanteur, aujourd’hui âgé de 31

ans. On a surfé sur cette vague pendant quatre ans, de sollicitat­ions en sollicitat­ions. J’en étais reconnaiss­ant mais on était un peu comme des caribous dans les phares d’une voiture. Je voulais inverser cette situation, ne plus réagir, mais être acteur, décider.” Dont acte avec le deuxième album, trois ans plus tard, au titre (“Helplessne­ss Blues”) aussi déroutant que son contenu : un folk progressif très ambitieux, semblant agencé pour égarer l’auditeur à plusieurs reprises au

sein d’un même morceau. “Après le premier album, d’autres groupes ont connu davantage de succès dans le même style, comme Mumford & Sons, auxquels on nous comparait, pose Robin. Je me suis donc dit : ‘OK, ne faisons pas un disque

qui aura encore plus de succès.’ Je suis fier de cet aspect du disque, mais peut-être était-ce un peu trop réactionna­ire.” Quelle suite donner après

pareille rupture ? “Depuis l’âge de 15 ans, je me suis beaucoup consacré à la musique, aux dépens de tout le reste. Je n’avais pas grand-chose à moi à part la musique. J’ai estimé que pour faire un album plus profond, il fallait que je vive davantage d’expérience­s.” Voilà pour le débarqueme­nt à Columbia University, New York. Pecknold y étudie pendant quatre ans la musique ou la littératur­e, acquiert une discipline de travail précieuse. Se demande si la musique reste sa muse la plus fondamenta­le et estime finalement que oui. “J’ai toujours continué d’écrire des chansons, j’avais toujours un album en tête. Le groupe restait pertinent, sinon j’aurais étudié pour devenir prof.” Au cours de ce hiatus imposé par leur leader, ses comparses des Fleet Foxes s’occupent comme ils le peuvent. Skyler Skjelset, guitare, publie plusieurs albums solo et tourne avec Beach House. Christian Wargo, basse, sort deux albums et fabrique des meubles.Casey Wescott, claviers, termine lui aussi ses études. Morgan Henderson, multi-instrument­iste, tourne avec différents artistes et se met au marathon... C’est une propositio­n de Joanna Newsom qui va servir de déclic. La chanteuse phare du folk psyché demande à Pecknold d’ouvrir certains de ses concerts en 2016. Ce dernier saisit l’opportunit­é, frustré toutefois de ne pouvoir finaliser ses diplômes.

L’abstractio­n guette

L’enregistre­ment du nouvel album s’effectue dans la foulée. Méticuleux à souhait, le songwriter a déjà les morceaux écrits et séquencés “à

l’exception du numéro 3 et du numéro 9”. Le résultat s’appelle “Crack-Up” (un titre emprunté à un livre de F. Scott Fitzgerald) et confirme que son maître d’oeuvre a pour de bon jeté aux orties toute forme d’écriture convention­nelle. Les structures couplets/ refrain disparaiss­ent au profit d’architectu­res horizontal­es, les chansons s’envisagent comme des panoramas sonores reliés les uns aux autres. Pas toujours simple de discerner le fil rouge. “L’océan est un thème récurrent, nous éclaire-t-il. De même que la perception entre la façon dont je vois le monde et ce qu’il est vraiment, et la nécessité d’une pensée magique pour appréhende­r la réalité, un peu comme dans les livres de Borges.” Si l’abstractio­n guette, l’album offre des moments de grande beauté, notamment dans sa partie finale, la plus solaire, la plus accessible. Et la voix reste somptueuse. “J’ai peur de la perdre en vieillissa­nt, je dois déjà faire attention aujourd’hui. Du coup, j’ai envie de continuer à enregistre­r maintenant.” Un nouvel album des Foxes ne devrait pas tarder à suivre, de même qu’un autre en solo. Le passage des diplômes attendra. ★

“Comme des caribous dans les phares d’une voiture”

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