Rock & Folk

Injustice

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Typical Girls ? L’Histoire Des Slits ZOE HOWE Rytrut

Viendra bien le moment où même le rock, repaire machiste s’il en est, regardera en face sa propre histoire sexiste et réalisera à quel point cette injustice a pesé sur les carrières féminines du genre. Hé ouais guys, c’est pas simplement parce que les femmes seraient moins douées qu’elles dominent si peu la scène rock mais bien parce que le rock reflète étroitemen­t le monde dans lequel il est né, monde en l’occurrence mâle et blanc comme oh ça alors, la plupart de ladite scène rock. La preuve ? La place modeste d’un groupe comme The Slits dans la légende dorée du punk démontre, à elle seule, l’incroyable mépris qu’ont subi les femmes dans ces profession­s. Et comment je le sais ? J’étais là. J’étais parmi celles et ceux qui ne considérai­ent pas d’un même oeil un groupe de filles — vous avez remarqué, un groupe de musicienne­s, c’est un groupe de filles quand un groupe de garçons, c’est un groupe tout court ? — qu’un groupe masculin et qui jugeaient a priori, avec la même condescend­ance, quasiment toute tentative exclusivem­ent féminine, sauf celles qui jouaient avec assez de sexy pour amadouer les auditeurs et décideurs mâles, bien sûr. Le truc c’est que c’était même pas notre faute, on était tout simplement le produit de nos éducations et les héritiers de conditionn­ement centenaire­s. Ce qui n’est pas vraiment une excuse si on y réfléchit bien, vu que les jeunes Slits, pourtant nées dans ce même patriarcat triomphant, ont su d’instinct s’écarter du rôle et de l’image traditionn­elle et en exploser les codes plus que quiconque avant elles. Les mémoires de Viv Albertine, chroniquée­s ici récemment avec enthousias­me, nous avaient déjà rappelé l’existence du groupe et le livre de Zoë Howe “Typical Girls ? L’Histoire Des Slits” vient à point nommé pour réparer enfin cette injustice. Car injustice flagrante il y a eu. Certes, les Slits ne savaient pas du tout jouer au début de leur carrière, mais la plupart de leurs congénères punk n’étaient pas plus aguerris sans que ce défaut leur soit jamais, à eux, fatal. Perçues comme d’incontrôla­bles punkettes, elles ont quand même survécu là où beaucoup ont disparu — ou pire — et ont pondu une oeuvre méconnue, férocement féministe — quoiqu’elles s’en défendisse­nt alors — plus riche et plus aventureus­e que quasiment tous leurs petits potes pourtant mieux considérés. Notons que le showbiz, qui pouvait accepter les pires fantaisies punks ou les pires caprices de leurs stars mâles, était quand même hyper embarrassé par des jeunes filles qui osaient le culot obscène de s’appeler carrément lesfentes, shocking au point que la BBC par exemple refusait de passer leurs titres pour ne pas avoir à dire le mot fente à l’antenne. Etre des femmes qui refusaient les codes, qui ne se rasaient pas les aisselles (sic) ou qui ne voulaient ni être sexys ni même suivre la mode ou les canons féminins quasi-obligatoir­es n’allait pas sans un prix à payer et le groupe, finalement, n’y résista pas. Le livre raconte non seulement leur histoire, souvent dans leurs propres mots car l’auteur, manifestem­ent très fan, les a longuement interviewé­es, mais réussit aussi au passage à faire vraiment revivre de l’intérieur l’esprit punk et l’ambiance finalement assez bon enfant de ces années-là.

Le Livre Que Je Ne Voulais Pas Ecrire ERWAN LARHER Quidam

Le rock est rarement tragique et hormis quelques rares exemples comme le festival d’Altamont de sinistre mémoire, un concert de rock est un moment festif paradoxale­ment à l’abri du tumulte du monde, une bulle joyeuse et familière où l’on va oublier, pour quelques heures du moins, la vie dehors et ses avanies. C’est aussi ce que pensait l’écrivain et grand amateur de rock Erwan Larher quand le 13 novembre au soir, il est parti au Bataclan, basculant ainsi dans l’insoutenab­le cauchemar que l’on connait. Blessé, fracassé, choqué — “monpoteest­allé passer quatre heures en enfer, et il en est revenu .” écrit un des es amis—il a d’ abord refusé d’écrire sur cette atroce expérience mais a fini par se laisser convaincre à condition d’en tirer une oeuvre littéraire plutôt qu’un témoignage, fut-il de première main. Ce livre, qu’il ne voulait pas écrire, est donc construit à partir de son récit mais aussi de ceux de ses proches qui ont eux vécu l’angoisse des amis que beaucoup ont connu ce soir-là, à espérer des bonnes nouvelles qui n’arrivaient pas toujours. Poignant, tragique, terrible, fou mais aussi drôle, bouleversa­nt — forcément — mais jamais pesant, terribleme­nt précis mais souvent poétique, ce beau texte réussit à nous faire entrevoir cette indicible souffrance que portent dorénavant avec eux ces hommes et ces femmes blessés dans leurs âmes et dans leurs chairs par cette impensable inhumanité, mais sans jamais transforme­r cette tragédie en un simple matériau d’écrivain, ni nous en voyeurs, ou faire de ces heures de souffrance une raison valable de détester le monde. Ou les concerts de rock. Au contraire, Larher instille dans ces pages une bonté, une tendresse et un humour qui tirent le récit et, you may say I’m a dreamer mais cette humanité conservée malgré toutes les putains d’épreuves que traverse l’auteur est bien la preuve que cette bataille là au moins n’est pas perdue.

Petits Remèdes A La Dépression Politique JEAN-CHRISTOPHE BROCHIER Don Quichotte

Au cas probable où vous seriez chaque jour si sidéré par l’état du monde ou le dernier tweet affolant de l’agent orange, que toute porte de sortie, tout espoir d’améliorati­on vous paraissent chaque jour plus illusoires et plus lointains, Jean-Christophe Brochier vous a concocté un éphéméride qui va à coup sûr réveiller vos velléités rebelles. À chaque jour, son haut fait séditieux, son héros révolution­naire, son penseur humaniste qui seront là pour vous rappeler qu’aucun progrès humain ne s’est accompli sans douleurs et combats certes, mais surtout sans des femmes et des hommes profondéme­nt indignés et déterminés. Salutaire entreprise, ce livre retrace aussi, en brefs pavés insérés entre chaque notice, le parfait pedigree de l’auteur, baby-boomer tardif, fou d’écrivains, éditeur engagé, amateur de rock

et surtout lecteur de Rock&Folk. “Quand fauty aller, fauty aller” termine Brochier, alors empoignons nos machines à tuer les fascistes et heyholet’sgo! ❏

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