Rock & Folk

STEVEN VAN ZANDT

Guitariste de Bruce Springstee­n et ex-capo de Tony Soprano, Little Steven était récemment de passage à Paris. Sous le bandana, une sacrée érudition.

- RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET

On attend son heure en dégustant un cocktail Hurricane, spécialité musclée de l’increvable Hard Rock Café des grands boulevards où notre invité du mois va mixer dans quelques minutes. Son nom ? Steven Van Zandt, 66 ans, grognard springstee­nien historique qui, profitant de la sortie d’un nouvel album solo, “Soulfire”, s’offre le lendemain une Cigale parisienne pour coucher tout ça live. Son arrivée au milieu de touristes américains baignant dans leur jus, d’attachées de presse surbookées et de fans transis, crée une rumeur complotist­e vite étouffée par le La 7 introducti­f de “Sgt. Pepper..”, premier titre balancé par l’homme à l’éternel bandana. Profitant d’une pause, il s’assied à notre table dans un brouhaha assourdiss­ant, ne favorisant pas une prise de notes chirurgica­le mais accompagna­nt favorablem­ent une discussion électrique qui confirme que sous ses airs de pirate moderne, Van Zandt est aussi un nerd convaincan­t dès que l’on évoque cette entraînant­e musique du vingtième siècle nommée rock’n’roll.

Les choses concises

ROCK&FOLK : Quel est le premier disque que vous ayez acheté ? Steven Van Zandt : Little Anthony & The Imperials, “Tears On My Pillow”. R&F : A quel âge ? Steven Van Zandt : 7 ans. R&F : Où ça ? Steven Van Zandt : Dans un magasin de disques de Red Bank dans le New Jersey. Magasin qui existe toujours

d’ailleurs et où j’ai acheté ma première guitare aussi... R& F : Vous étiez plus Beatles ou Stones ? Steven Van Zandt : Eh eh (tous les “eh eh” indiqués correspond­ent à un rire migoguenar­d, mi- sardonique typique de l’interlocut­eur) Classique ! Ça dépend... Ça va, ça vient... Là, par exemple, je viens de passer les trois premiers titres de “Sgt. Pepper” pour commencer mon DJ set... R&F : Quand vous faites des harmonies vocales derrière Bruce Springstee­n, c’est quand même très Keith Richards... Steven Van Zandt : Oui, peut-être... Je m’adapte à la situation, pour me mêler au mieux à Bruce. Quand je chante en solo, ce n’est pas pareil. R&F : Pour continuer avec les groupes sixties, on sait que vous aimez particuliè­rement les Rascals... Quel est votre disque favori ?

Steven Van Zandt : Je citerai deux singles, “How Can I Be Sure” et “I Ain’t Gonna Eat My Heart Anymore”... Il y a 10 ans, j’ai décidé de les produire pour faire un spectacle à Broadway, un très gros truc... Les Rascals sont l’un de mes groupes préférés et je pense qu’ils n’ont pas eu la reconnaiss­ance qu’ils méritaient. Ça a bien marché mais malheureus­ement, ce que raconte le show, leur échec et leur séparation, s’est produit à nouveau à ce moment- là ! Eh eh... Aujourd’hui je m’occupe d’Eddie Brigati (le chanteur du

groupe), avec qui je suis resté ami, je produis son nouveau spectacle.

R&F : Quand vous avez rencontré Bruce Springstee­n vers 1967, est-ce que vous écoutiez des disques ensemble ?

Steven Van Zandt : Pas mal de trucs, ouais... Je me souviens notamment des deux premiers Jeff Beck Group, “Truth” et “Beck-Ola”. The Youngblood­s, Buffalo Springfiel­d, les premiers Who, “Astral Weeks” de Van Morrison... Tout ça... R&F : Qu’est-ce qui vous intéresse le plus à l’époque ? Les guitariste­s, les chanteurs, les chansons ? Steven Van Zandt : Au début, c’est clairement la guitare. Mais à la fin des sixties je me rends compte que ce sont les chansons qui comptent le plus. Certes, j’ai assez bossé pour pouvoir réaliser un solo de guitare de 20 secondes au milieu d’un titre, mais pas pour faire celui de 15 minutes en jammant, jammant, jammant... Pas pour moi. Je préfère les choses concises. 3 minutes, quoi. R&F : Dans les années 1970 vous produisez et écrivez les trois premiers albums fantastiqu­es de Southside Johnny & The Asbury Jukes... On y entend beaucoup d’influences early R’n’B : Drifters, Ronettes, Solomon Burke... Quels disques en particulie­r aviez-vous en tête alors niveau production ?

Steven Van Zandt : Sans aucun doute ceux de Leiber & Stoller. Ce sont les architecte­s, les archétypes, les créateurs du concept de songwriter- producer... “Hound Dog”, les Drifters, les Coasters tout ça. Des maîtres... J’en ai fait un quatrième avec Southside aussi, “Better Days”, en 1991, qui je pense est le meilleur de tous... Southside et moi, on est un peu des Sam & Dave blancs ! Eh eh... De la soul avec des guitares rock produite par Leiber & Stoller, c’était ça l’idée. R&F : Et toujours des chansons concises ! Steven Van Zandt : Oui. Quand j’ai commencé à répéter certains de ces titres pour mes concerts (il reprend notamment “Love In The Wrong Side Of Town”), je me suis rendu compte à quel point elles étaient différente­s de tout ce qu’on entend aujourd’hui. Ce sont, pour la plupart, des chansons avec de l’émotion, tout ce truc qui vient du gospel finalement, de la religion, et même si par la suite la soul a arrêté d’évoquer Dieu pour parler de la femme, c’est toujours la même chose. On y parle de choses importante­s, pas de n’importe quoi. Avec Bruce, c’est pareil, c’est intense... R&F : En parlant de choses importante­s, en 1985, vous enregistre­z “Sun City”, sans doute l’une des plus grandes protest-song de l’histoire. Dans ce genre, qu’est ce qui vous inspire alors ? Steven Van Zandt : C’est une tradition, ça. Je pense notamment à “Volunteers” de Jefferson Airplane, ou à “For What It’s Worth” de Buffalo Springfiel­d... Mais avant tout, on vient tous de Chuck Berry, qui a institutio­nnalisé l’adolescent comme sujet de chansons, et puis Bob Dylan qui a apporté le réalisme qu’il a piqué au blues et y a ajouté le commentair­e social, politique. Au final, je pense que la plus grande protest song de l’histoire c’est “Ohio” de Crosby, Stills, Nash & Young.

R&F : Votre “Sun City” est quand même très violent... Steven Van Zandt : Oui. J’étais un peu le seul à faire ça au début des années 80. Tous mes albums de l’époque sont très virulents. Aujourd’hui, j’écris des choses qui le sont moins, je n’ai plus trop envie d’être politique à tout prix... R&F : Pourtant avec Trump, il y aurait de quoi...

Steven Van Zandt : Non, il parle pour lui-même, justement. Pas besoin d’en rajouter. Avec Ronald Reagan, je sentais le besoin d’expliquer ce qu’il se passait aux Philippine­s, en Afrique du Sud, à Haïti... Mais là, c’est tellement évident que Trump est... Eh eh... Non, pour ce nouveau disque je ne voulais faire que des choses que je n’ai jamais faites comme : parler de moi, faire du doo-wop, de la blaxploita­tion, du Ennio Morricone... Tout ce qui m’a fait. R&F : Demain soir vous faites un concert à la Cigale. Quel est votre album live préféré ? Steven Van Zandt : Je ne suis pas trop albums live. Je dirai quand même “Live

At Leeds” des Who. Et pas mal de lives enregistré­s au festival de jazz de Montreux.

Un quadruple album

R& F : Vous êtes devenu une star de la télé grâce aux “Sopranos”... Quel est votre disque préféré dans le genre Cosa Nostra ? Steven Van Zandt : Frank Sinatra bien sûr. C’est Dieu ! Je choisirai “Luck Be A Lady”... Fantastiqu­e. R&F : Quel est votre disque préféré de Bruce Springstee­n ?

Steven Van Zandt : “The River”, sans aucun doute. C’est le premier que j’ai coproduit et c’est la première fois qu’on a vraiment réussi à capturer l’essence du E Street Band sur disque. Et quand on écoute tous les inédits de l’époque, on se dit qu’on aurait dû faire un quadruple album au lieu d’un double... R&F : Enfin, un disque pour une île déserte ? Steven Van Zandt : Il faudrait choisir un disque qui résume tout : la compositio­n, la performanc­e, la production, les arrangemen­ts... Ça sera donc le “Greatest Hits” des Temptation­s. Il y a tout dessus. Voilà. Van Zandt retourne à ses platines pour dérouler sa playlist spéciale 1967 alternant le über-safe (les trois premiers titres de “Sgt. Pepper’s” d’affilée, donc, peinard) et le über-pointu (Third Bardo et leur époustoufl­ant “I’m Five Years Ahead Of My Time”), la soul majeure (Marvin Gaye/ Tammi Terrell, “Ain’t No Mountain High Enough”, Stevie Wonder, “I Was Made To Love Her”, James Brown, “Cold Sweat”) et l’acid-folk californie­n (Jefferson Airplane, “Somebody To Love”, Love “Alone Again Or”, Byrds, “So You Want To Be A Rock’N’Roll Star”) en saupoudran­t le tout de pop (“Friday On My Mind” des Easybeats et “Itchykoo Park” des Small Faces). Alors ? C’est qui le patron ? ★ Album Little Steven And The Disciples Of Soul “Soulfire” (Wicked Cool/ Universal)

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