Rock & Folk

PROPHETSOF­RAGE

L’époque incendiair­e a fait sortir du bois deux rappeurs vieille école et les musiciens de Rage Against The Machine. Le résultat : une fusion énervée et qui autorise le port du bermuda.

- RECUEILLI PAR JEAN-CHARLES DESGROUX Album “Prophets Of Rage” (Caroline/ Universal)

Chuck D et B-Real, respective­ment MC de Public Enemy et de Cypress Hill, légendes hip-hop qui ont jadis tant influencé le rock metal si urbain de Rage Against The Machine, sont désormais les deux porte-voix du trio restant. Après avoir incendié les festivals d’été, l’entité Prophets Of Rage (qui était le titre d’une chanson de Public Enemy) dévoile la suite, poing levé, avec un premier pamphlet aussi groovy que contestata­ire — merci Donald pour ce moment.

L’artillerie lourde

ROCK&FOLK : Prophets Of Rage est-il né suite à une tentative avortée de faire renaître Rage Against The Machine ?

Tom Morello : Pas du tout. Prophets Of Rage s’est formé à cause de l’urgence politique au moment de la campagne électorale entre Clinton et Trump, et il nous est apparu clairement que Twitter à son propos n’était plus suffisant : il nous fallait sortir l’artillerie lourde — “C’est l’heure d’y

aller, et qui est prêt ?”. Les autres ont répondu présents et Prophets Of Rage a démarré sa mission. Première action : rocker la planète. Et deuxièmeme­nt, apporter un message de justice et de solidarité à travers celle-ci, une manière de refléter notre époque, et d’essayer de la changer.

R&F : L’oppression ne repose pas que sur l’argent, le pouvoir, les politiques, le capitalism­e : la religion est même l’un des pires maux. Jouez-vous sur une certaine ambiguïté en utilisant le mot prophète ?

B-Real : Les puissants ont toujours utilisé la religion pour contrôler les masses. Après la mort et les impôts, la troisième peur est bien celle de Dieu — et qu’utiliser de mieux que celle-ci pour diriger leurs âmes ? Alors les gens ont besoin de savoir ce qu’il se passe et leur ouvrir l’esprit sur toutes les possibilit­és qui s’offrent à eux.

R&F : Dans ce contexte, vous considérez­vous alors, Chuck D et vous, comme des prêcheurs ? Même pour aller dans le bon sens ?

B-Real : Je ne me vois pas comme un prêcheur, parce que concrèteme­nt je n’ai pas de message à vendre, comme les vrais prêcheurs peuvent, eux, le faire, quitte à vous étouffer avec. On se contente de montrer l’état des choses, et c’est à vous d’essayer de changer le monde, si vous voulez vous impliquer. Que les gens se réveillent : qu’il s’agisse d’un point de vue spirituel, ou de ce qui leur arrive dans leur vie de tous les jours, dans la société ou dans le monde entier. Si je prie pour quelque chose, et que je ne travaille pas dans ce sens de mon côté, si cela ne mène à rien, à qui la faute ? C’est pareil pour le reste : si tu peux laisser les gens dicter ce qu’il ya à faire, mais si tu ne fais rien par toi-même, rien ne se produira. R&F : La situation ne manque pas de cynisme quand même : si le monde n’était pas tel qu’il est, aussi pourri, il n’y aurait pas ce fuel qui alimente votre art, votre musique si intense... Tom Morello : Les mauvais présidents provoquent de la bonne musique, c’est une certitude ! Mais on reste dans l’ordre de la lutte pour la libération des hommes : elle existait avant Donald Trump, et elle continuera après lui. Peut-être qu’un jour on vivra dans un monde utopique où il n’y aura ni pauvreté ni problèmes d’environnem­ent, et là on écrira peut-être des chansons d’amour. Mais d’ici-là, Prophets Of Rage a sa raison d’être : on veut être la bande-son de la résistance.

B-Real : On arrive avec une grosse dose de médicament qui n’a pas très bon goût, mais qui est rudement bonne pour vous.

Musiques insignifia­ntes

R&F : Les réseaux sociaux sont censés rapprocher les gens, mais on a l’impression qu’ils ne font que les isoler, les endormir et au final les rendre plus égoïstes encore...

B-Real : Certes, une bonne partie de la population s’abrutit à travers les médias et les réseaux sociaux, sans but ni substance, avec juste une vision matérialis­te de leur vie et, du coup, les radios font le relais de toutes ces musiques insignifia­ntes : elles ne nous aident pas du tout pour appuyer notre message. Mais il existe une large proportion de jeunes qui fait aujourd’hui front : tout un mouvement de la jeunesse s’implique désormais un peu partout. Les institutio­ns ne veulent pas que les gens réfléchiss­ent ni agissent : elles veulent que les gens soient dans un état de conscience en sommeil. Mais les gamins sont alertés et ils se réveillent.

R&F : Donc vous seriez tout de même optimistes quant à notre avenir ?

Tom Morello : Oui. Ce que l’on fait de notre vivant détermine ce qu’il va se passer. Tout dépend de tes lecteurs. ★

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