Rock & Folk

RANDY NEWMAN

Il a quasiment introduit la satire dans la pop. Le Californie­n se retrouve aujourd’hui dans une Amérique encore plus étrange que ce que ses chansons suggéraien­t.

- RECUEILLI PAR FRANÇOIS KAHN

Janvier 2008 : Steve Jobs achève une keynote Apple, où il a commenté, déjà, les ventes record de l’iPhone (4 millions en sept mois). Le “One more thing” du matin est un musicien, Randy Newman. Les deux se connaissen­t bien : Jobs vient tout juste de vendre Pixar à Disney, et Newman est un peu leur compositeu­r maison. La salle s’attend donc à “You’ve Got A Friend In Me”. Mais avant ça, Newman explique poliment derrière son piano que, si Bush n’est pas un très bon président, il faut remettre les choses en perspectiv­e : Caligula, Hitler ou même Léopold II (et ses dix millions de morts au Congo) ont sans doute été pires. Et, devant certains journalist­es et actionnair­es médusés, il entonne un nouveau morceau, “Quelques paroles pour défendre mon pays”, et en constater au passage le déclin.

Vide intérieur

On avait en effet oublié qu’avant de composer de gentilles rengaines pour “Toy Story” ou “Monstres & Cie”, Randy Newman a été un des paroliers les plus acérés d’Amérique. Parfois mis dans le même sac que Billy Joel ou les Eagles (tous des fans), Newman a pourtant cultivé dès ses débuts un don pour l’ironie glaçante. Accompagné par la crème des musiciens de studio de Los Angeles, il révélait les préjugés ambiants, ou le désespoir d’une partie de l’Amérique que personne d’autre n’évoquait. Une chanson de Randy Newman, c’est une façade lisse et somptueuse mais où le vernis finit par craquer : un couplet, parfois un simple mot, et le narrateur révèle ses vraies couleurs. Les amoureux se montrent souvent décevants ou maladifs. Les pontes étalent leur vide intérieur. Les ploucs racistes du Sud saluent finalement leurs critiques hypocrites, les donneurs de leçons de New York ou Chicago, où les Noirs sont parqués dans des ghettos. Il suffit de réécouter ses albums des années 70 ou 80, et beaucoup de la situation actuelle devient plus claire. Ces dernières années, les albums, qui se font aussi de plus en plus autobiogra­phiques, se sont espacés : il reconnaît qu’il lui manque la discipline pour écrire. Les musiques de film ont pris le relais, ce qui le fait renouer avec la tradition familiale (les Newman comptent trois génération­s de compositeu­rs à Hollywood). Heureuseme­nt, Randy Newman se rappelle parfois sa passion d’origine. Et, en 2017, cela donne une nouvelle collection de chansons, “Dark Matter”, où il évoque Vladimir Poutine, les créationni­stes, et tout ce qui peut le mettre mal à l’aise.

Du chiqué

ROCK&FOLK : Sur le premier titre de “Dark Matter”, “The Great Debate”, un débat entre scientifiq­ues et croyants tourne finalement à l ʼ avantage de ces derniers, à cause du gospel. Comment expliquez-vous cela ?

Randy Newman : Dans la chanson, leur camp l’emporte plus ou moins, parce que la musique religieuse est simplement magnifique. Ça va de Bach au gospel. Alors qu’il n’y a pas vraiment de musique pour exprimer la raison. Ici, c’est l’émotion qui compte au final. Moi-même, je ne suis pas croyant, mais parfois je me dis que ça serait relaxant de croire qu’il y a une vie après la mort, d’avoir à s’en foutre de trouver du sens ailleurs.

R&F : Musicaleme­nt, vous avez expériment­é sur ce disque, avec des titres à la structure parfois ambitieuse, et beaucoup de morceaux enregistré­s avec orchestre.

Randy Newman : J’ai été très content de faire quelque chose de différent, d’aller de l’avant. Les chansons démarrent quelque part et prennent ensuite des tournants. J’ignore si c’est une bonne chose, mais il y a des gens, comme Paul Simon, qui se forcent à tenter à chaque fois quelque chose d’autre, et cette attitude m’a inspiré. Mes producteur­s m’encouragea­ient aussi à aller vers mon point fort, l’orchestre. Je sais que c’est un tort, mais je ne me suis jamais vraiment trop intéressé aux pistes de base, au son d’une batterie, de la guitare ou de la basse. C’est tout ce qui constitue le rock’n’roll, c’est ce que les Beatles faisaient, j’adore ça, mais ça m’ennuie d’y réfléchir. Peut-être sur le prochain disque... R&F : Vous aimez mettre votre public dans la tête de vos personnage­s, leur faire éprouver de l ʼ empathie pour eux. Comment cela marche-t-il avec quelqu ʼ un comme Poutine ? Randy Newman : L’empathie, c’est ce que je préfère faire, quand j’y arrive. Sur “Putin”, j’aime bien qu’il lâche un : “Non, je n’y arriverai pas.” C’est peut-être du chiqué. Les choristes répondent aussitôt “Bien sûr que si !” et lui rajoute : “J’y arriverai.” Cet échange lui donne un côté un peu puéril. Mitchell Froom (producteur du disque) aurait voulu qu’il soit fort, arrogant et sûr de lui tout du long. Je préférais que ça ne soit pas le cas. R&F : Le morceau a été écrit et enregistré avant l ʼ élection de novembre. Avec les soupçons sur la Russie, “Putin” est-il dépassé par l ʼ actualité ? Randy Newman : Pendant 80 ans, les Républicai­ns prônaient la lutte contre la Russie. Là, les Russes sont là, et personne ne semble s’en alarmer.

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