SPARKS
Avant un film réalisé par Leos Carax, les frères Mael reviennent avec “Hippopotamus”, leur vingt-cinquième recueil de vignettes fantaisistes.
“Nous nous sommes toujours considérés comme des musiciens pop”
Le monde de la musique serait bien fade sans Sparks. En 45 années de carrière, Ron et Russell Mael n’ont jamais cessé d’être modernes et après avoir été génialement inspirés dans des domaines aussi éloignés que le glam, le vaudeville, le disco, la pop électronique ou la musique répétitive (sublimée dans la trilogie sortie entre 2002 et 2008) les deux Californiens (que beaucoup n’ont jamais cessé de croire anglais) reviennent aujourd’hui avec un nouvel album riche, varié, drôle et (encore une fois) magnifique où le falsetto de Russell chante sur les mélodies acrobatiques de Ron Mael ses points de vue délirants sur la position du missionnaire ou le design scandinave.
Une autre façon de penser
ROCK&FOLK : Ron, vous faisiez peur aux enfants à cause de vos regards caméra un peu menaçants, on se souvient d’un passage chez Jacques Martin particulièrement marquant. Ron Mael : Tu n’es pas le premier à me dire ça... Des personnes même plus âgées que toi, particulièrement en Angleterre me disent la même chose depuis longtemps : ce souvenir qu’ils ont de ma tête ou de mon regard sur scène ou un passage à Top Of The Pops. Mais avoir laissé un tel souvenir aux gens... même si c’est un peu négatif... Je ne peux pas dire que je n’en tire pas une certaine fierté. Ça me rend heureux. C’est bizarre car ça n’a jamais été intentionnel, mais je pense aussi que ce petit détail à l’image a aidé notre musique à sortir du lot. R&F : Votre nouvel album “Hippopotamus” a-t-il été pensé comme une suite à “FFS” (l’album enregistré intégralement avec Franz Ferdinand) ? Ron Mael : Ce disque a clairement été pensé comme un album pour un groupe (contrairement à la dernière tournée en duo, Sparks jouent cette année avec cinq musiciens additionnels dont les membre du groupe Mini- Mansions, fans de Sparks). En cela, “Hippopotamus” s’inscrit dans la continuité de “FFS”. Mais aussitôt après la tournée avec Franz Ferdinand, nous avons travaillé sur les chansons du film (une comédie musicale écrite par eux et tournée bientôt
par Leos Carax) et c’était rigoureusement autre chose, un autre rythme de travail, une autre musique, une autre façon de penser... Donc, quand nous sommes revenus à l’écriture des chansons de notre nouvel album, nous sommes repartis assez spontanément là où nous avions laissé les choses avec “FFS”. R&F : Vous présentez votre vingt-cinquième album en 45 ans. Comment faites-vous pour garder la passion et la magie intactes à chaque fois, quand il faut repartir de zéro ?
Russell Mael : Au train où allaient les choses avec le film, on était surmotivés. Ça faisait du bien de mettre l’écriture du film de côté pour revenir à des formats pop de 3 minutes. Au final, on revient toujours à ce qui est pour nous une sorte de mission : rallier des gens à l’univers de Sparks. La seule façon de faire ça est de ne jamais se reposer sur ses lauriers car on sait que des gens vont découvrir Sparks avec ce disque. Pour cette raison on doit se sentir aussi pertinents que quand on a sorti notre premier album.
Ron Mael : Mais il faut bien reconnaître que repartir de zéro à chaque fois est un peu effrayant : cette crainte de la page blanche. Quelquefois on doit tourner autour de quatorze ou quinze idées avant d’en trouver une bonne.
R&F : Avant de signer l’époustouflant “Lil’ Beethoven” en 2002, vous aviez terminé un disque que vous avez finalement jeté à la poubelle.
Ron Mael : C’était terrible. Chaque chanson que tu écris finit toujours par devenir précieuse. Mais ça a été un de ses rares moments où on a réussi à prendre conscience d’un truc qui n’allait pas, se regarder en face et se dire qu’on n’allait nulle part. Il y avait des chansons super mais il manquait au tout une sorte de pertinence. Pour la première fois on avait eu l’impression de faire un autre album de Sparks et ça nous a terrifiés. Du coup on s’est complètement extrait du format chanson, on s’est enfermés dans le studio et on s’est amusés avec les sons, en empilant des voix et en jouant sur la répétitivité. J’écoutais beaucoup John Adams à l’époque. Nous nous sommes toujours considérés comme des musiciens pop, mais il arrive des moments où tu es obligé de te reprogrammer.
De mal en mal
R&F : Le monde va de mal en mal. A part sur “Hello Young Lovers” avec “Baby Can I Invade Your Country” et sur ce nouveau disque avec “What The Hell Is It This Time”, vous semblez vivre comme dans une bulle et ne pas vous laisser affecter par le chaos ambiant.
Russell Mael : On parle entre nous, évidemment. Ron Mael : Dans un sens, nous réagissons à notre façon à tout ça avec des chansons, c’est ça qui nous aide à surmonter toutes ces choses. Ça paraît futile mais réagir positivement aux choses négatives qui nous entourent est la meilleure chose qu’on puisse faire. Artistiquement, il y a deux façons de réagir aux catastrophes : soit tu déprimes au point de ne plus réagir du tout, et tu t’enfermes. Soit tu te rebelles contre ces choses à ta façon. En ce qui nous concerne avec de la musique et des paroles. C’est notre façon de réagir.
Russell Mael : On reçoit beaucoup de messages de fans qui nous félicitent de traiter ces problèmes autrement qu’en disant juste : “Trump est le diable”. Sans qu’il soit question de faire l’autruche, notre projet est de créer une sorte de diversion, de prendre un peu de hauteur. Les fans nous comprennent et manifestement, notre musique leur fait l’effet d’un hug géant.
Ron Mael : Ne rien faire et laisser faire est la pire des attitudes. Nous sommes rebelles à notre façon. R&F : Tous vos fans le disent : il n’y a pas d’équivalent à Sparks. Y a-t-il des artistes de qui vous vous êtes déjà senti proches dans la façon qu’ils avaient de vouloir toucher les gens ? Ron Mael : Quand on allait à l’université, on était clairement fans de Godard. On a toujours vécu à Hollywood donc on a toujours baigné dans le cinéma. Et justement, le cinéma de Godard était tellement à la fois du cinéma... et à la fois un commentaire sur le cinéma, une réaction à ce qui se faisait. De là à dire que nous avons été influencés par Godard, il y a un monde. Mais ce sens du contrepied est quelque chose auquel nous sommes sensibles je crois. Dès que le travail de quelqu’un consiste à aller contre les règles établies d’un système, ça nous intéresse, et on s’en sent proches. R&F : On a le sentiment que vos influences sont également comiques. Les paroles de chacune de vos chansons contiennent un ou plusieurs twists comiques. Ron Mael : J’ai toujours été fan de Andy Kaufman qui, lui aussi, prenait la comédie à contrepied. Et en stand-up pour moi le meilleur est clairement Richard Pryor. Suite page 54
“Aller contre les règles établies, ça nous intéresse”