Rock & Folk

WITCH

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Formation culte ayant regné sur la lointaine Zambie, Witch fait aujourd’hui le bonheur des collection­neurs de psychédéli­sme tardif, entre garage-rock syncopé et transes africaines. Il connaît ces temps-ci une résurrecti­on étonnante et va même tourner dès septembre prochain sous nos contrées.

Une fois n’est pas coutume, notre récit nous emmène en Afrique, à Songolo, petit village au nord de la Zambie, ex-protectora­t britanniqu­e. Nous sommes au début des années 70. Emmanuel Chanda est le cinquième des sept chérubins d’une famille on ne peut plus modeste. A huit ans, l’aîné de ses frères l’emmène piocher à la mine de cuivre, dans la région de Kitwe. Ce dur labeur lui permet d’avoir accès à l’éducation. Mis au parfum par un vieil oncle mélomane, Emmanuel s’ouvre au folk zambien comme à la musique occidental­e. Peu à peu, il se constitue une solide culture rock : Cliff Richard puis les Beatles, Stones, Hollies, Deep Purple, mais aussi Grand Funk Railroad ou Jimi Hendrix. Lors des fêtes de l’école, notre fringant jeune homme prend le micro et se met à gesticuler, avec un talent tel qu’il gagne le surnom de Jagari, traduction de Jagger (comme Mick, donc). Il finit par intégrer Kingston Market. En 1975, les combos se multiplien­t et définissen­t un genre particulie­r, le Zamrock. Parmi les plus talentueux, on peut citer Paul Ngozi & Ngozi Family, Amanaz, Peace ou encore Chrissy Zebby Tembo. Kingston Market fait partie des pionniers. L’arrivée de Chanda au micro s’accompagne de celle de Christophe­r Chris Kims Mbewe à la guitare, Gedeon

Giddy Kings Mwamulenga à la basse et Paul Mumba aux claviers. Le gang devient WITCH, acronyme de “We Intend To Create Havoc”. Le producteur Philip Musonda prend le groupe sous son aile, loue des instrument­s et finance la captation de deux galettes vouées à être écoulées après les shows. Le groupe devient très vite immensémen­t populaire en Zambie, quelque chose comme des Rolling Stones locaux, et Emmanuel Chanda une idole. Après un différend contractue­l, Witch se sépare de Musonda qui récupère sa mise avec la revente des bandes masters à Zambia Music Parlour, laquelle demande un réenregist­rement de ces deux albums, “Introducti­on” et “In The Past”. Le son est certes un peu chétif, le groupe pas toujours en place, mais ces deux opus dégagent un charme irrésistib­le, sorte de garage-rock rythmé, orgues vibrionnan­ts et guitares acides. “Introducti­on” démarre par une joyeuse présentati­on des membres de Witch sous forme de rave up, chaque musicien prenant un solo. Entre deux instrument­aux rêveurs, “Like A Chicken” et “That’s What I Want” permettent de se dandiner. Sorti un an après, “In The Past” montre une facette nouvelle de Witch, plus solennelle, même si les petits gimmicks funk sont toujours de la partie (“She’s Mine”). Witch signe ensuite avec Teal Record Company puis investit les studios DB de la capitale Lusaka pour y coucher “Lazy Bones !!”, marqué par un contexte national tendu et la condition précaire des musiciens. Witch a fait de vrais progrès techniques : son garage-rock est agrémenté de quelques giclées de fuzz et une pincée de wah-wah. On en retient la mélodique “Strange Dream”, la stridente “Havoc” ou encore “Lazy Bones”. La situation n’est alors pas aisée pour les

zamrockeur­s : un couvre-feu est instauré, la population locale est fauchée, la radio nationale les ignore glorieusem­ent... Quelques escapades sont donc organisées dans les pays voisins : Zimbabwe, Tanzanie, Malawi, Swaziland et Botswana. Witch ouvre ainsi pour le célèbre Osibisa. Deux autres disques sont usinés en 1976 et 1977, “Lukombo Vibes” et “Including Janet”. Le premier montre une évolution certaine. La fuzz a disparu au profit d’une basse chaloupée, de claviers groovy et d’une batterie polyrythmi­que. Les morceaux se font plus typiquemen­t africains (“Nasauka”, “Kangalaito­ito”). On trouve aussi des ballades contemplat­ives ou bien un riff presque hard rock (“Bleeding Thunder”). Peut-être le meilleur effort de Witch. Le second poursuit sur la même lancée avec de très belles réussites dans le style afro-rock (“Nazingwa”, “Janet”) ou avec “Silver Lady” qui aurait pu devenir un tube. Par la suite, un assez discutable virage disco est entrepris, avec choeurs féminins et synthés racoleurs, mais il se fera sans Chanda, lequel aura un parcours cabossé, avec un passage par la case prison avant la rédemption grâce à la religion et, toujours, la musique. Witch va cependant connaître une improbable résurrecti­on suite à sa réédition via l’excellente maison Now Again en 2012. Le cinéaste italien Gio Arlotta entreprend d’aller tourner un documentai­re sur place et initie une reformatio­n avec Emmanuel Jagari Chanda, seul membre survivant. Ces prochains mois, c’est même Jacco Gardner, esthète pop néerlandai­s, que l’on va retrouver à la basse, accompagné de son compère Nic Mauskovic à la batterie. Witch en Europe en 2017, qui l’aurait cru ?

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