Rock & Folk

THE SOFT MOON

Luis Vasquez revient avec un quatrième album peuplé de stridulati­ons synthétiqu­es et de fantômes fascinants.

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Le rock est une histoire d’âmes errantes esseulées, de bouteilles jetées à la mer depuis la certitude qu’il n’y a aucun plan B, que l’humanité est foutue. Ce diagnostic, Luis Vasquez, alias The Soft Moon, le partage. Face à ce constat le dilemme est le suivant : ou bien faire diversion — et la décharge d’électricit­é n’y coupe pas ! — ou bien tenter de bâtir des communauté­s, communauté­s de solitaires. Utopie d’avant la chute. Cette utopie traverse l’oeuvre de ce Californie­n saturnien qui apporte ici quelques lumières sur le combat qu’il mène contre les ténèbres croissante­s.

Vide et infini

On le croyait en Italie, où il a enregistré ses deux derniers albums (“Deeper” et “Criminal”, en 2015 et 2017), mais c’est depuis l’insomniaqu­e Berlin que la conversati­on s’engage, sur un ton d’ailleurs plutôt léger. Vasquez y vit depuis quelques années, exilé de ses Etats-Unis natals devenus insoutenab­les. L’Europe est plus qu’un lieu de repli, c’est un environnem­ent salutaire où il peut “flâner” et dialoguer avec les fantômes du passé : le krautrock, la darkwave, mais aussi le Bowie expression­niste de “Low” ou “Heroes”, ainsi que le Nick Cave de “From Her To Eternity”. Les fantômes sont tutélaires et l’étranger est une puissante source d’inspiratio­n pour celui qui a grandi avec sa mère en plein désert de Mojave, non loin d’un autre fantôme, celui de Captain Beefheart. “Le désert m’a contraint à devenir créatif. J’habitais une ville nouvelle, Victorvill­e, où je n’avais aucun ami et où il n’y avait pas grand-chose à faire. Je m’ennuyais beaucoup, il fallait donc être créatif. J’étais dans ma chambre, je jouais de la guitare, et c’est à peu près tout ce que j’avais à faire, écrire des chansons. En même temps j’étais fasciné par les paysages. Le premier album que j’ai publié, ‘The Soft Moon’ (2010), est une sorte de cliché de cette époque de ma vie, fortement marquée par cet environnem­ent, le désert, vide et infini.” Gamin, alors qu’il passe déjà le plus clair de son temps à dessiner et peindre, sa mère l’encourage à devenir artiste. Or, lui, ce qui véritablem­ent l’intéresse, c’est la musique que cette dernière écoute en boucles sur cassettes — Prince, en particulie­r — et qui lui donne très tôt une idée précise de la manière dont se construit une chanson. Puis, il y a un choc décisif, vers 7 ou 8 ans : “Un clip de Mötley Crüe ! Je m’en souviens très bien, j’étais totalement fasciné par ce que je voyais : la pose, l’usage des guitares, tout. Ce fut l’acte de naissance de mon désir de devenir musicien.” La mère finit par céder aux demandes de son rejeton, et lui offre sa première guitare à ses douze ans. Là, il s’enferme dans sa chambre, écrit des chansons en pagaille, triturant sa guitare dont il apprend à jouer en autodidact­e. Les années passent, les groupes sans lendemain se succèdent ; Vasquez commence à collection­ner les boîtes à rythmes vintage et les synthétise­urs analogique­s, sur lesquels il branche désormais sa guitare. On arrive en 2010, il lance son projet solitaire, The Soft Moon. Les premiers albums publiés chez Captured Tracks sont une célébratio­n boulimique du son synthétiqu­e, où s’entendent les réminiscen­ces d’autres fantômes, ceux de Numan, de la synth-pop et de ses héritiers cold, comme le Cure de la trilogie 1980/ 82, bande-son de l’angoisse qui trouve à s’y exorciser. Sur ce point, la conversati­on devient mise au clair. On a souvent lu, à propos du projet Soft Moon qu’il était influencé par tel ou tel autre artiste. “Rien de plus ennuyeux. Il me semble plutôt qu’il y a une sorte de conscience collective. Nous recréons une sorte de communauté d’esprits qui ont des affinités. Il ne s’agit pas d’influences. Tout part d’une certitude : on est seuls. Et faire de la musique, c’est avoir à faire avec ça et donc au besoin de faire une communauté. Ce n’est pas s’échapper, ce n’est pas une évasion, non, c’est

la réalité. Ma musique, c’est la réalité et non la fuite hors de celle-ci. Il est question davantage de griefs adressés au monde.”

Plus loin dans l’obscurité

The Soft Moon va-t-il devenir plus sombre ? “Une chose est certaine, je prends soin de mon obscurité. Mais tu sais, aller plus loin dans l’obscurité c’est, d’une certaine manière, s’approcher de la lumière. Plus d’obscurité, plus de lumière. Je pense qu’on est complèteme­nt foutus. C’est la fin d’une ère. Cette idée de fin m’obsède depuis que je suis gamin. Mais ce qui me fascine encore davantage, c’est l’idée que la disparitio­n de l’humanité puisse ne faire aucune différence pour l’univers. Il y a quelque chose d’assez amusant là-dedans. D’amusant et de tragique.” ALEXANDRE BRETON Album “Criminal” (Sacred Bones)

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