Rock & Folk

OSEZ COURTNEY BARNETT

POURQUOI L'AUSTRALIEN­NE EST LA PLUS BRILLANTE EN 2018

- BASILE FARKAS & SAM RAMON

“Je m’imposais des défis, comme écrire une chanson avec un seul accord. Ou une chanson sans refrain”

On l’a souvent constaté, faire un disque est avant tout une succession de décisions. Les mauvaises peuvent surgir à tout moment, aisément, au détour d’une rime facile, d’une mélodie un peu paresseuse ou d’un arrangemen­t prévisible. Qu’on aime la pop à synthés, le folk ou le doom metal, les disques ratés sont partout. Les faisans peuvent construire une carrière dessus, les grands peuvent se laisser aller à en faire un... Et c’est là tout le miracle de Courtney Barnett : elle n’en a commis aucun.

Une timidité certaine

Tout n’est pas parfait chez cette Aussie de 30 ans, mais tout est juste. Il y a cinq ans, sans crier gare, les premières chansons de Courtney Melba Barnett (il s’agirait de son authentiqu­e middle name) se révélaient au monde. Une victoire pour cette fille introverti­e, en proie, comme tous les gens bien, au doute. Elle l’expliquait alors, bien qu’elle noircisse des carnets et joue de la guitare depuis ses 10 ans, finir ses chansons et les publier a été une sorte de triomphe personnel. Avant de sortir ses premiers EP, Barnett a joué de la guitare dans un groupe bruitiste de Melbourne, Rapid Transit, dont il existerait une cassette introuvabl­e. Elle a aussi, de façon plus concluante joué dans Immigrant Union, groupe country récréatif formé par Brent DeBoer, batteur des Dandy Warhols exilé depuis quelques années aux Antipodes. Mais, malgré une timidité certaine, elle est surtout attirée par la confection de ses propres compositio­ns. Elle s’y met enfin et tente un premier EP en 2012.

Tout n’est pas parfait mais tout est juste

“J’expériment­ais avec l’écriture, avoue- t- elle à l’époque dans ces

pages. Je m’imposais des défis, comme écrire une chanson avec un seul accord. Ou une chanson sans refrain, des choses comme ça. Je jouais avec

les codes.” L’initiation musicale de la jeune femme, sise dans les années où l’on passe de la cassette au CD, puis du CD au mp3, est quelque peu bordélique. Barnett absorbe tout, le mainstream local (INXS, dont elle reprendra intégralem­ent l’album “Kick” pour un concert) et internatio­nal (Nirvana, mais aussi Green Day), puis, à l’adolescenc­e, des musiques plus souterrain­es. Pêle-mêle, le Velvet Undergroun­d, le punk, ou le jazz qu’écoute son paternel. Elle se découvre, aussi, une passion pour les chansons qui racontent des choses et s’entiche de country alternativ­e via Neko Case ou Wilco, ses héros. Dès le deuxième EP, en 2013, c’est l’évidence : la gauchère possède un sacré talent et le monde bientôt l’apprend. Elle signe chez Marathon (Pond, Jagwar Ma) qui lui concocte un emploi du temps qui l’est tout autant. Un groupe, impeccable et électrique, l’accompagne. Barnett tourne parfois avec un deuxième guitariste, mais tient souvent seule la six-cordes, pour des prestation­s en mode power trio impression­nantes. Elle est discrète mais se produit partout. Ce qui ne l’empêche pas de jouer de la Telecaster dans le groupe de sa compagne, Jen Cloher, et d’écrire son premier vrai album magnifique et accrocheur à la fois : “Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I just Sit” (2015). Sans que personne ne s’y attende, elle a sorti l’an dernier “Lotta Sea Lice” avec Kurt Vile, un disque qui entérine mine de rien l’existence d’un petit âge d’or pour les baladins du folk rock d’aujourd’hui, indépendan­t mais ambitieux et surtout très talentueux : Kevin Morby, Angel Olsen, Weyes Blood, Cass McCombs, Matthew E White, Eleanor Friedberge­r...

Au premier rang

En quelques années, grâce à des chansons tenant plus du journal intime que de la pop song convention­nelle, Courtney Barnett est devenue la confidente préférée des fugueuses, la frangine timide des virées nocturnes, taiseuse mais sachant boire, celle que Lester Bangs aurait sans aucun doute adoré, comme une voisine marrante de la maison d’en face qui, lorsqu’elle n’est pas occupée à faire pousser tomates, radis ou raifort au fond de son jardin australien, compose des chansons sur l’ennui et les relations humaines plus compliquée­s les unes que les autres, avant de courir les enregistre­r dans un studio de quartier, làbas, dans son pays peuplé de requins, de méduses mortelles et d’araignées monstrueus­es. Désormais au premier rang des songwriter­s de cette décennie, l’Australien­ne remet le couvert avec “Tell Me How You Really Feel”, plus acerbe que “Sometimes I Sit...”, plus sale aussi, comme si le Crazy Horse de Neil Young dirigé par le fantôme de Kurt Cobain était passé là. Le blondin iconique a trouvé descendanc­e et les sales gosses, pas dupes pour un rond sur ce qui les attend au sortir de l’adolescenc­e, leur copine de chambrée. Une surprise de taille attend d’ailleurs les auditeurs : Kim et Kelley Deal des Breeders sont venues participer à deux morceaux de l’album. En fans et amies. Kim Deal qui vient de comparer, dans la presse anglaise, Courtney Barnett à Bob Dylan. Après une telle sentence, habituelle­ment assénée par des journalist­es en mal de titraille, on peut dire que les jeux sont faits.

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