Rock & Folk

AND ALSO THE TREES

“Impensable avant le punk rock” Dans la mystérieus­e campagne anglaise, le groupe des frères Jones insufflait un peu de romantisme au post-punk des années 80. Trois décennies plus tard, les Arbres sont toujours vaillants et Simon Huw Jones retrace l’histoi

- RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON

La musique a cet étrange pouvoir de susciter des rêveries puissantes par lesquelles nous accédons à d’autres mondes dont nous croyons parfois être l’unique témoin. Un témoin qui garderait le silence. And Also The Trees était entouré d’une telle aura. Ce groupe né dans les brumes du Worcesters­hire lorsque le punk virait au noir corbeau, fut peut-être un de ces secrets les mieux gardés. Mais les secrets, même les plus chers, finissent un jour par s’ébruiter. Tant mieux pour eux, à l’heure d’une reconnaiss­ance absolument méritée. Le quintette des frères Jones, qui a publié un treizième album (“Born Into TheWaves”, 2016) justement encensé, fut récemment à l’honneur du Beau Festival à Paris et partagera, en juin, l’affiche inouïe du Meltdown à Londres dont Robert Smith est, cette année, le curateur. L’élégant Simon Huw Jones a accepté avec une rare générosité de revenir sur la trajectoir­e de ce groupe qu’il nous faut, désormais, apprendre à partager.

ROCK&FOLK : And Also The Trees, depuis le premier album éponyme de 1984, poursuit une trajectoir­e très personnell­e et indépendan­te. Quand et comment commence l’histoire ?

Simon Huw Jones : En 1979, mon frère Justin a acheté une guitare et s’est mis à en jouer en autodidact­e. Il avait quinze ans, j’en avais dix-neuf. Nous vivions dans une vieille ferme perdue au milieu des Midlands anglaises où la population était particuliè­rement clairsemée. Si bien que nous devions trouver par nous-mêmes de quoi nous distraire. Dès que Justin a su jouer un accord ou deux, nous avons décidé de monter un groupe avec nos meilleurs amis, les frères Havas, qui étaient d’un village voisin. Cela aurait été impensable avant le punk rock. Nous avons acheté des instrument­s d’occasion, avons demandé à notre beau-frère de nous aider à bricoler des amplis, puis avons commencé à jouer. Nous aimions la musique mais n’avions aucune expérience musicale, du coup ce fut un processus lent, mais très excitant. L’une de nos toutes premières chansons s’intitulait “And Also The Trees” car, à la fin, je répétais ces vers : “Green is the sea/ And also the trees...” A la fin de l’année, nous avons décidé que ce serait ainsi que nous nous appellerio­ns, And Also The Trees. Nous voulions être différents.

R&F : Différents de quoi ?

Simon Huw Jones : Différents des groupes auxquels nous nous identifiio­ns à cette époque. Si une chanson que nous écrivions commençait à sonner comme du Joy Division, Echo & The Bunnymen ou The Cure, par exemple, soit nous la jetions, soit nous la retravaill­ions complèteme­nt. Nous aimions beaucoup ces groupes, évidemment, mais sonner comme eux était inconcevab­le. Nous avions un penchant spontanéme­nt non-conformist­e.

R&F : L’imaginaire propre à cet environnem­ent a profondéme­nt imprégné vos chansons. Quels artistes, quelles oeuvres, ont fertilisé votre travail ?

Simon Huw Jones : Faire de la musique n’est pas un processus cérébral. Les chemins que nous avons suivis l’ont été plutôt par instinct ou par hasard. Cela signifie que retrouver les sources de la création est un peu comme tenter de déchiffrer un rêve. Parfois, c’est manifeste : notre maison donnait sur des paysages à perte de vue où l’on pouvait à peine voir une ou deux maisons ; c’était presque le ciel et la terre. Il est facile de comprendre comment tout ceci s’est reflété dans notre musique. Pour ma part, en tant que parolier, il y eut aussi d’importante­s découverte­s littéraire­s. Un livre me marqua de façon décisive, c’est

L’Eternité Retrouvée d’Aldous Huxley. Des fragments pris au hasard dans ce livre se sont retrouvés dans l’une des premières véritables chansons que nous avons écrites, “So This Is Silence”, sur le premier album, où nous essayions de faire sonner la guitare comme autre chose qu’une guitare... Huxley fut ma grande initiation à la littératur­e, aux côtés de Thomas Hardy, Virginia Woolf, Oscar Wilde, Albert Camus, Paul Celan, Dylan Thomas, des chants tribaux, de vieilles comptines pour enfant. J’ouvrais tout ça et l’absorbais avec autant d’avidité que cela me permettait d’espérer qu’il en ressortira­it quelque chose de réussi. Avec Justin, notre curiosité nous portait surtout vers le cinéma et les arts, mais aussi tous les genres de musique, même si nous avons toujours eu tendance à graviter autour de ce qui est ancien, rare et obscur. Personnell­ement, le seul véritable phare pour moi est la musique que me propose Justin. Elle vient toujours en premier.

R&F : Elle est toujours à l’origine du processus créatif ?

Simon Huw Jones : La guitare ouvre toujours la voie. Parfois, je n’ai que des ébauches à partir desquelles travailler, parfois des morceaux plus élaborés avec d’autres instrument­s. C’est dans cette matière que je puise essentiell­ement mon inspiratio­n. Souvent, c’est comme si les paysages et les personnage­s se trouvaient déjà là, dans la musique, et n’avaient plus qu’à en être extraits. D’autres fois, je dois au contraire les y conduire ; mais les paroles viennent toujours en dernier. J’écris par-dessus la musique et je doute de parvenir à écrire une seule ligne sans elle.

Comme une balalaïka

R&F : Vous avez été rapidement très proche d’un groupe qui entrait à cette époque dans sa période la plus sombre : The Cure. Nous parleriez-vous de cette amitié musicale ?

Simon Huw Jones : Fin 1980, nous sommes tombés sur une annonce publiée dans la presse musicale qui disait que The Cure montait une petite tournée au Royaume-Uni et voulait inviter un groupe à ouvrir ses concerts chaque soir. Nous avons alors envoyé nos démos à

“Nous quatre avec notre matériel rudimentai­re, jouant des sets d’une demi-heure chaque soir avant de regarder Cure interpréte­r brillammen­t les chansons de leurs trois premiers albums”

Fiction Records, son label, et avons eu la chance d’être choisis comme première partie du concert donné à l’université de Loughborou­gh. C’était notre quatrième concert seulement et nous étions encore très bruts. Le public nous a aimés et Robert Smith a lui-même été assez impression­né pour nous demander de jouer à nouveau avec lui, à l’occasion d’un concert de Noël, la même année à Londres, puis de les suivre en tournée l’année suivante. Robert a produit notre premier mini-album, “From Under The Hill” (1982) puis Laurence Tolhurst (co-fondateur et, à cette

époque, batteur de The Cure) s’est occupé de notre premier single et de notre premier album. Tous deux étaient incroyable­ment gentils et encouragea­nts. Nous étions naïfs, sans manager, sans label, juste nous quatre avec notre matériel rudimentai­re, jouant des sets d’une demiheure chaque soir avant de regarder les Cure interpréte­r brillammen­t les chansons de leurs trois premiers albums. Ce fut une expérience merveilleu­se. Nous avons encore ouvert pour eux sur leur tournée de 1984, qui coïncidait avec la sortie de notre premier album et, là, de notre côté, c’était déjà plus profession­nel.

R&F : Cet album, avec les deux suivants, “Virus Meadow” (1986) ou “The Millpond Years” (1988), vous ont valu d’être associés à la scène cold wave anglaise. Pourtant, votre univers musical n’a pas tant de rapport avec ce que faisaient des groupes comme Bauhaus, Sisters Of Mercy ou même The Cure, si ce n’est cette résonance mélancoliq­ue très anglaise. Mais votre romantisme est plus une affaire littéraire, au sens fort. Quel est votre point de vue, après coup ?

Simon Huw Jones : Si nous avons jamais appartenu à une quelconque scène, c’était le mouvement post-punk, et pas seulement en un sens chronologi­que, comme le calme après la tempête. Jusqu’à l’album “Klaxon” (1993), nous étions considérés comme une sorte de groupe de rock anglais pastoral, romantique, très

dickensien. Je dis ça avec humour, aujourd’hui. Mais nous nous sentions comme pris à notre propre piège. Il fallait changer de direction. Si bien que Justin abandonna le son très distinctif de sa guitare, qui sonnait comme une balalaïka ou une mandoline, pour un son plus twangy, très référencé années 50. Ce qui poussa Steven et Nick ( basse et batterie du groupe) à le rejoindre dans cette direction, en combinant par exemple des rythmes jazz. Pour ma part, il s’agissait véritablem­ent d’un départ vers de nouveaux territoire­s, plus urbains, ceux de l’americana et des poètes beat. Un étranger en terres inconnues, en quelque sorte. Et ce n’était pas exactement sur ce terrain qu’une grande partie de notre public, et les labels, étaient prêts à nous suivre. Mais, artistique­ment, c’est là où nous devions aller.

R&F : En quarante ans, le groupe a connu de nombreux tournants. Mais il semble qu’il y en ait eu un, crucial, au début des années 2000, grâce auquel, finalement, vous avez obtenu une plus grande reconnaiss­ance. Comment réagissez-vous à cette reconnaiss­ance, tardive ?

Simon Huw Jones : Le grand tournant dans notre histoire a surtout eu lieu après “Silver And Soul”, en 1998. Nous avions le sentiment que quelque chose avait pris fin. C’est difficile à expliquer, mais j’ai le sentiment qu’intimement, jusqu’à ce point, nous tentions éperdument d’accrocher le business musical — vous savez, être chroniqués dans la presse musicale, être diffusés à la radio, passer à la télé... En clair, on essayait d’être dans le coup. Et nous sommes arrivés à ce point de rupture où nous avons alors fait un pas en arrière et avons décidés d’envoyer balader tout ça ! C’était aussi l’époque où nous quittions le Worcestesh­ire et tout aurait pu s’arrêter là. Sauf que nous avions toujours cette envie de continuer à faire de la musique ensemble. L’histoire ne pouvait pas s’arrêter comme ça. Nous avons dû renoncer à beaucoup de choses, psychologi­quement et artistique­ment. Nous avons pris la décision de monter notre propre label et de nous produire nous-mêmes. Cette décision était motivée par la méfiance croissante de l’industrie musicale en général. Rétrospect­ivement, c’était une bonne décision car elle impliquait notre survie financière, même si la frontière est ténue entre indépendan­ce et isolement. C’est dans ce contexte-là qu’a été conçu “Further From The Truth” ( en 2003). C’était comme un retour à nos racines. Cet album fut le prélude de “(Listen For) The Rag And Bone Man” ( en 2007) qui, lui, a attiré l’attention sur nous et, dans une certaine mesure, nous a sorti de l’impasse. Nous n’aurions jamais publié un album dont nous n’étions pas contents, mais nous étions particuliè­rement heureux de celui-ci. Il contient la plupart de mes chansons favorites du groupe. On s’est mis à écrire sur nous, à nous offrir de bons concerts ; un nouveau public s’est intéressé à nous, en plus de notre noyau de fans fidèles qui respectaie­nt l’évolution du groupe depuis les années 2000. Si bien que nous avons pu tenir notre indépendan­ce tout en gagnant finalement en reconnaiss­ance. C’est une grande joie de voir que le groupe peut continuer à évoluer, c’est la chose la plus importante pour nous. ★

Album “Born Into The Waves” (andalsothe­trees.co.uk) En concert le 23 juin au festival Meltdown, Londres

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 ?? Justin et Simon Jones, 2016 ??
Justin et Simon Jones, 2016

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