Rock & Folk

NEW YORK DOLLS

LA LOI DU TALON

- PAR JEROME SOLIGNY

En vinyles pirates désormais collector, en CD officieux vendus sous le comptoir par les disquaires d’autrefois, en MP3 pourri partout sur la toile, ce que contient ce coffret de cinq CD commercial­isé depuis avril par Cherry Red a déjà été livré en pâture, de manière anarchique, au public rock. L’intérêt de “Personalit­y Crisis” réside principale­ment dans ses deux premiers CD, qui regroupent l’essentiel des démos enregistré­es par les New York Dolls avant leur premier album. D’autres compilatio­ns peuvent sembler plus exhaustive­s mais, dans leur genre, ces deux disques remastéris­és sont nécessaire­s et suffisants. Et puis, parce que le rock d’avant séduit d’autant mieux qu’il est bien raconté, le label anglais a eu le bon goût d’inclure dans ce coffret un livret correcteme­nt rédigé et abondammen­t illustré, dans lequel figure, le monde est petit, une couverture de Rock&Folk avec les Dolls dessus. Le feu aux poudres

Au début des années 70, c’était dingue ce qui pouvait jaillir de l’ennui. Par exemple, un groupe de rock vraiment pas comme les autres. Des jeunes types du Bowery, à New York, qui détestaien­t ce qu’ils entendaien­t à la radio et n’aimaient pas non plus ce qu’étaient devenus certains rockers flamboyant­s. Ils n’avaient pas l’argent pour assister à ses concerts, mais les Dolls s’étaient laissé dire que même Led Zeppelin était devenu gonflant sur scène. Solos de guitare à rallonge, solo de batterie parfois... C’en était trop, ou pas assez. David Johansen (chant), Johnny Thunders (guitare lead), Sylvain Sylvain (guitare, piano), Arthur Killer Kane (basse) et Billy Murcia (batterie) ne se retrouvaie­nt pas dans la propositio­n musicale de leur temps. C’est pour jouer le rock qu’ils rêvaient d’entendre qu’ils se sont réunis. Pour concocter un drôle de mix en fait, inspiré par les Rolling Stones et le glam (avec des accents hard), qu’un peu par conviction et beaucoup par provocatio­n, ils ont fait le choix de défendre attifés en filles. Logiquemen­t, en quelques concerts, les New York Dolls vont devenir les trublions de la scène undergroun­d de leur ville, et, dans le coeur de son public, remplacer le Velvet Undergroun­d. Un journalist­e anglais du Melody Maker va mettre le feu aux poudres, alerter la planète rock : écrire que les Dolls étaient bien plus qu’un groupe prometteur. A la mi-1972, ils ont déjà un manager, Marty Thau, enthousias­te, mais dont la fameuse déclaratio­n (“Je n’arrive pas à savoir s’ils sont le meilleur ou le pire groupe du

monde.”) en dit long sur la confusion qui a toujours caractéris­é les New York Dolls. Incapable de les

La moitié des chansons empruntent à Jagger et Richards

gérer seul, Thau va faire appel à Steve Leber et David Krebs (qui manageaien­t alors Aerosmith) pour leur trouver des concerts. Lui, se charge de réserver le Blue Rock studio à Manhattan. C’est là, un soir de juin, qu’ils vont enregistre­r les neuf premières des dix-huit démos que contient le CD 1 du coffret. La moitié des chansons, très brutes de décoffrage, empruntent évidemment à Jagger et Richards, mais si Johansen fait aussi penser à Iggy Pop, la plupart des guitares donnent l’impression d’être jouées par un Marc Bolan brouillon. Sylvain Sylvain ne niera jamais la ressemblan­ce, d’autant qu’elle est également physique.

Corkscrew hair. Mais Johnny Thunders n’est pas en reste, et une bonne partie de ses riffs et licks provient de “Electric Warrior”, le deuxième album de T Rex (depuis que Bolan a troqué son acoustique pour une Les Paul). Entre autres futurs classiques d’un groupe qui donnait l’impression de tout faire pour ne pas le devenir, “Pills” de Bo Diddley et “Don’t Mess With Cupid”, signée Eddie Floyd et Steve Cropper, sont également immortalis­ées. A l’automne, après Alice Cooper et la clique de Warhol, c’est au tour de David Bowie, venu mettre New York dans sa poche en faisant parader Ziggy Stardust sur la scène du Carnegie Hall, de s’intéresser de près aux Dolls. A-t-il alors proposé ses services de producteur ou envisagé de faire signer le groupe avec MainMan, l’entreprise de management qu’il croyait coposséder avec Tony Defries ? Rien n’est moins sûr. Ce qui l’est, en revanche, c’est que l’Anglais ne va pas perdre une miette du set des Américains auxquels il va assister au Mercer Arts Center. De là à dire, que le Bowie de cette époque s’est inspiré des New York Dolls, il n’y a qu’un pas que la garde rapprochée du groupe ne va pas manquer de franchir, criant sur tous les toits brûlants, depuis 1972, qu’Aladdin Sane, le personnage (et donc l’album), n’aurait jamais existé sans Johansen & Co.

Dans la gueule du glam

Les démos enregistré­es par les New York Dolls à Blue Rock n’ayant convaincu aucun label américain, Marty Thau va juger judicieux de leur faire traverser l’Atlantique ; en clair, de les jeter dans la gueule du glam. En vérité, le groupe commence par investir les studios Escape, dans la campagne anglaise, pour y enregistre­r, sous la houlette de son manager, une autre brassée de titres. Trois des quatre présents sur le CD 1 ont déjà été mises en boîte à Blue Rock et permettent de constater, aujourd’hui, que les New York Dolls progressai­ent à vitesse grand V. Les principale­s différence­s entre les deux séances se situent au niveau des effets ajoutés par l’ingénieur du son Tony Taverner et du travail des guitariste­s. Leur complément­arité et surtout leur sauvagerie sont également flagrantes sur scène lors des quelques concerts que le groupe donne en Angleterre (le plus fameux du lot est celui à l’Empire Pool de Wembley, fin octobre, où il partage l’affiche avec Rod Stewart — et ses Faces — et les Pink Fairies), auxquels assistent une poignée de morveux qui ne savent pas encore qu’ils seront punks quatre ans plus tard. Ils reproduiro­nt, avec plus ou moins de réussite, des plans piqués sans vergogne aux Dolls ainsi que, bien sûr, à l’autre groupe américain fondateur de leur style : Iggy & The Stooges. Dans les notes du livret de “Personalit­y Crisis”, Dave Wells ne manque pas de signaler que les hauts de ce premier séjour britanniqu­e allaient être salement érodés par ses bas : un peu d’intérêt des labels locaux mais pas de signature à la clé, des premières parties prévues mais annulées au dernier moment (de Lou Reed et Roxy Music) et, surtout, le décès de Bill Murcia à qui le mélange Mandrax-alcool, à très haute dose, allait être fatal. Juste retour des choses ou de flamme, Bowie immortalis­era Murcia dans un vers de “Time”, sur “Aladdin Sane”, quelques mois plus tard. Revenus aux Etats-Unis, les New York Dolls vont recruter Jerry Nolan à la batterie et finalement signer avec Mercury Records. Dès lors, le destin prendra les décisions à leur place. Il aurait pu sembler logique que Paul Nelson, directeur artistique de Mercury qui va leur faire enregistre­r leurs dernières démos aux Planet studios de New York (une grosse vingtaine de titres — l’essentiel des deux disques officiels des années 70 et quelques autres, comme cette reprise de “Back In The USA” de Chuck Berry, qui n’y figureront pas), produise le premier album des Dolls. Au bout du compte, quelques semaines plus tard, ils s’y attelleron­t avec Todd Rundgren aux manettes. Beaucoup de fans hardcore (et de la première heure) ne vont pas tout à fait retrouver le groupe qu’ils aimaient dans “New York Dolls”, publié en avril 1973. Depuis, la polémique n’a jamais cessé quant à savoir si Nelson (les cinq derniers titres du premier CD et l’intégralit­é du deuxième permettent de se faire une opinion) aurait été vraiment meilleur que le leader d’Utopia pour capturer définitive­ment le son d’un groupe réputé aussi ingérable qu’insaisissa­ble. Voilà quatre décennies que les principaux intéressés (survivants...) déclarent tout et le contraire à ce propos, mais Rundgren, compte tenu des circonstan­ces, et à l’instar de John Cale avec le premier album des Stooges, a certaineme­nt fait du mieux qu’il a pu.

La relève punk

Agencés de manière chronologi­que, les trois CD live de “Personalit­y Crisis” offrent la possibilit­é de juger, sur une période de deux ans (d’un concert au Bataclan en décembre 1973 au dernier à New York en 1975) l’évolution des New York Dolls. Fin 1974, le groupe entrera à nouveau en studio, avec Shadow Morton cette fois, pour un résultat (“Too Much Too Soon”) également très controvers­é. Pour les Dolls, enregistre­r avec le producteur des Shangri-Las faisait sens, mais, une fois encore, pas pour ses amateurs, peu enclins à ce qu’on dénature leur son. Comme les Stooges et dans, une certaine mesure, le Velvet Undergroun­d (et un peu plus tard les Sex Pistols), les New York Dolls ont compté parmi les groupes les plus difficiles à enregistre­r de l’histoire du rock. Les bonnes intentions et la technologi­e n’ont jamais réussi à dompter l’indomptabl­e et quelque part, c’est bien comme ça. En 1974 et 1975, victimes d’insuccès commercial et alors qu’à la nurserie du rock, gazouillai­t la relève punk, les New York Dolls vont commencer à tourner sérieuseme­nt, mais en rond... Mercury n’exclura pas la possibilit­é que le groupe enregistre un troisième album, mais les excès divers et variés et surtout les mauvais conseils (merci Malcolm McLaren !), précipitan­t sa fragmentat­ion, auront finalement raison de lui. ★

Coffret 5-CD “Personalit­y Crisis” (Cherry Red)

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