Rock & Folk

DISCOGRAPH­IE

Avant “Tell Me How You Really Feel”, la chanteuse de Melbourne a produit des disques qui méritent détour.

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“The Double EP : A Sea Of Split Peas” (2013) Le premier album de la gauchère est en fait, comme indiqué dans l’intitulé, une compilatio­n de deux EP sortis en 2012 et 2013. Les six morceaux du premier, “I’ve Got A Friend Called Emily Ferris”, placés en fin de disque, sont comme la première crêpe : à moitié réussis. La jeune Barnett, 25 ans à l’époque, gratouille des suites d’accords presque bluesy et balance des textes qui, déjà, attirent l’oreille. Le ton est donné avec “Lance Jr”, son premier morceau publié, qui parle de pis-aller masturbato­ire et d’anxiolytiq­ues. Les compositio­ns sont encore un peu raides et fragiles, mais cette folkeuse électrique au phrasé mélancoliq­ue et cool, possède indubitabl­ement un truc. Dès les premières notes du EP suivant, “How To Carve A Carrot Into A Rose”, on comprend qu’en quelques mois Barnett a fait un fulgurant bond en avant. Sur “Out Of The Woodwork”, premier titre mid-tempo qui avait tout pour être ennuyeux, la chanteuse impose son débit parfait et évite les écueils du singer-songwriter : le misérabili­sme, l’autocompla­isance et la minauderie. Tout, ici, est très bon (“Don’t Apply Compressio­n Gently”, très poppy ; “History Eraser” et sa métrique au cordeau ; “David” qui chipe le riff de “The Jean Genie”) et avec “Avant Gardener”, récit d’une crise d’angoisse sur fond de furie électrique, Courtney Barnett signe son premier chef-d’oeuvre. “Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I Just Sit” (2015) Titre tordu, pochette griboullis, mais contenu limpide. Partie dans une interminab­le tournée, l’Australien­ne a fait mieux que percer. Beaucoup en seraient revenus lessivés, alcoolique­s et donc en panne d’inspiratio­n. Pas Barnett, qui a composé on ne sait comment une ahurissant­e enfilade de tubes. “Elevator Operator” inaugure une écriture narrative à la Ray Davies (l’histoire d’un jeune garçon d’ascenseur suicidaire qui croise une femme botoxée) ; “Pedestrian At Best”, puissante comme du Nirvana, possède en prime un slogan qui claque (“Give me all your money,

and I’ll make some origami honey”) ; “An Illustrati­on Of Loneliness (Sleepless In New York)” est un régal de chanson d’amour sur fond de guitares fuzz stéréo ; “Depreston” raconte, par la visite d’une maison sordide dans la banlieue de Melbourne, la vie de la personne qui y habitait — là encore, il y a du Kinks dans cette splendeur immobilièr­e. Et ainsi de suite. En onze titres, comme Kevin Morby sur un autre continent, dame Barnett rend les émois intérieurs universels. Du folk, donc, mais qui a la politesse d’être emballé de mélodies splendides, de batterie, de basse et de guitares amplifiées. COURTNEY BARNETT/ KURT VILE “Lotta Sea Lice” (2017) La connexion était évidente. A force de se croiser dans les coulisses de festivals, et, peut-être, d’échanger des conseils capillaire­s (“Moi, je

n’utilise jamais de peigne. Et toi ?”) l’Australien­ne et l’Américain sont devenus copains. En a résulté ce disque, chroniqué tièdement à sa sortie et qui méritait en réalité un brasier de compliment­s. Les deux artistes très occupés, ont, en quelques jours, réussi à signer un classique. Sur ce projet, un “Nancy & Lee” version paritaire, Kurt chante un titre de Courtney (“Out Of The Woodwork”) et inversemen­t (“Peeping Tom”, tétanisant), le duo signe cinq originaux et reprend deux morceaux (“Fear Is Like A Forest” de Jen Cloher et “Untogether” de Belly). La grande force de “Lotta Sea Lice” ? Ses parties de guitares, faussement simples, imbriquées façon Rolling Stones dans un artisanat magnifique. Vile est un expert du finger-picking et Barnett, qui ne joue jamais au médiator, possède également un feeling unique. Paul McCartney avait fait ce constat durant ses années d’apprentiss­age avec John Lennon : par un effet de symétrie miroir, un guitariste droitier et l’autre gaucher se comprennen­t vite. Suite espérée. BF

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