Rock & Folk

The Black Crowes

- PHILIPPE MANOEUVRE

“THE SOUTHERN HARMONY AND MUSICAL COMPANION” DEF AMERICAN

En ces temps reculés, juin 1992, on a failli y croire. Croire que les Américains avaient eu l’idée d’inventer un vrai nouveau groupe de rock, une formation virulente surgie du Sud le plus profond, un groupe qui ferait un jour la pige aux Stones, la période était si maigre, on se serait contenté d’un nouveau petit Faces. Il y eut des signes. L’apparition du chanteur, raide rétamé sur MTV — à l’époque on regardait encore — ânonnant de poudreuses tentatives d’explicatio­n, sa haine affichée pour le reste du business. Tout cela laissait augurer un plantage catastroph­ique autour du toujours difficile second album. Il n’en fut rien. Dès le premier titre, “Sting Me”, c’était l’évidence, froide, hystérique. Tout ce qui manquait sur le premier “Shake Your Money Maker” était désormais disponible, à commencer par la géniale guitare de Mark Ford, guitare cinglante, guitare violentiss­ime. Ecouter “No Speak, No Slave” et ses déflagrati­ons stoogienne­s... Du coup la rythmique carbure avec cette énergie désespérée que seuls possèdent les rockers américains. Johnny Colt (basse) et Steve Gorman (batterie) font très fort. Chris Robinson peaufine son rôle de preacher dépravé. Dans Rock&Folk, il pose plein de questions, se demande si le sida existe réellement, refuse la législatio­n antidrogue, organise un grand festival pour la légalisati­on du cannabis à Houston et réussit même une ballade remarquabl­e (“Thorn In My Pride”). On aurait donc pu croire en l’illusion de ces Corbeaux surdoués qui, sur la version japonaise de ce disque rafraîchis­sant, offraient un blues complexe, stonien, reprise jammée de “Skake ’Em Down” de Mississipp­i Fred McDowell. Peu après, il fallut déchanter. Sur les routes du Sud avec les Corbacques, entre Houston et Dallas, il devint évident que les deux frères ennemis tiraient de conserve les ficelles de la destinée du groupe. Les autres membres des Black Crowes n’étaient que des spadassins assermenté­s, embauchés pour accomplir une tâche précise, un peu comme les Mitsouko embauchaie­nt des requins, ou comme on s’adjoint un tueur au moment d’un casse : pour sauver le coup. N’étant pas un vrai groupe, les Black Crowes ne pouvaient que se fracasser sur l’épisode suivant de leurs aventures pour avoir oublié cette fondamenta­le vérité des Led Zeppelin : “Un pour tous/ Tous pour un.”

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