Rock & Folk

Steely Dan

- PHILIPPE MANOEUVRE

“AJA” ABC

Vingt-trois ans après l’invention du rock’n’roll, ses enfants ne possédaien­t toujours pas de recette magique pour sortir un chef-d’oeuvre à chaque coup de baguette. Pourtant deux d’entre eux s’approchaie­nt régulièrem­ent de la perfection à chaque essai. “Aja” fut le coup d’éclat de Brecker et Fagen. Pressés de sortir ce disque, ils commencent à enregistre­r une série de démos “si précises qu’elles auraient pu être publiées telles quelles” selon leur producteur fétiche, Gary Katz. En fait, un infernal ballet de musiciens de studio commence. Sur certains titres, neuf batteurs seront testés. Le grand Steve Gadd s’impose pour “Aja”, improvisan­t dès la première prise un mini-solo de batterie qui laisse pantois. Sur “Black Cow”, c’est un vétéran des séances Motown, Paul Humphrey, qui apporte une frappe sèche, décisive pour l’histoire de défonce du titre (“Je t’ai vue dans le coin de l’iris de Rudy/ Tu étais déjà bien partie”). Un seul bassiste pouvait lier le projet. Le très égrillard Chuck Rainey est retenu “avec interdicti­on formelle de slapper” (figure de style qu’il s’autorise néanmoins sur les refrains de “Josie” et “Peg”). Les solos de guitare sont un autre casse-tête. Treize guitariste­s (parmi lesquels Larry Carlton et Robben Ford) s’essaieront au chorus pentatoniq­ue de “Peg” avant que Jay Graydon ne décroche la timbale. Parfois Brecker sort lui-même sa guitare (touches bluesy sur “Aja”) et bien sûr Fagen chante (avec Michael McDonald des Doobie aux choeurs). Le budget classique de 100 000 dollars alloué par la MCA est largement enfoncé lorsque nos deux savants fous décident d’aller mixer à New York. Ils occupent le studio A&R (un des favoris de Miles dans les années 50) pour refaire les cuivres (avec Tom Scott et Wayne Shorter) et exigent de l’ingénieur Elliott Schneider un remix “faux luxe, proche de Mantovani et Mancini”. La réussite est totale. Rarement un album aussi noir, désespéré et tragique se sera avancé sous une forme plus innocente et trompeuse. Publié en septembre 1977 (alors que le punk ravageait l’Europe) “Aja” devint un des disques préférés de l’Amérique. Ah, et que ceux qui possèdent le vinyle original d’ “Aja” ne le revendent surtout pas : Donald Fagen a toujours considéré que le transfert en numérique avait été une “boucherie ultime”. Depuis cette déclaratio­n, “Aja” a été retiré du commerce et remasteris­é. Quatre fois. Ils essaieront encore...

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France