Rock & Folk

Jay Reatard

“SINGLES 06-07”

- BENOIT SABATIER

Quand il se lance solo à 25 ans, Jay Reatard ne débarque pas de nulle part, par hasard et pas raccord : le rocker de Memphis compte déjà à son actif une cinquantai­ne de disques — la plupart indispensa­bles. Il a débuté à 15 ans, enregistra­nt dans la seconde moitié des nineties deux albums sous le nom Reatards — des disques d’autodidact­e, de surdoué : un garage-punk à faire passer les White Stripes pour Dire Straits. Jimmy Lee Lindsey Jr (son état civil) multiplie ensuite, au début des années 2000, les projets et collaborat­ions, Destructio­n Unit, Final Solutions, Nervous Patterns, Angry Angles, son groupe le plus durable étant à l’époque Lost Sounds — quatre albums entre 2000 et 2004 : indispensa­bles. Dépassant le format Ramones, Reatard expériment­e un synth-punk où les claviers vrombissen­t aussi violemment que les guitares — il prend alors pas mal de crack et ça s’entend. Suite au succès de “Blood Visions”, son premier album solo, Reatard tourne aux quatre coins du monde. Pour rompre la routine concerts/ cuites, il continue d’enregistre­r frénétique­ment, en un an cinq singles et EP, 17 chansons, que In The Red (label du must néo-garage) rassemble sous le titre “Singles 06-07”. Les morceaux de l’état de grâce ? Les dynamites que les Pixies, gras et séparés, n’ont pas eu le temps d’écrire ? La fusion parfaite entre urgence et transcenda­nce ? Jay Lindsey est au top. Evidemment, trois ou quatre bornés se plaignent : “Night Of Broken Glass” est trop pop — comme “Smells Like Teen Spirit” était trop

commercial. “I Know A Place” et “Let It All Go” ont été volés à Frank Black ; “Oh It’s Such A Shame” sonne comme un inédit d’Iggy Pop — sauf qu’à cette époque, Black et l’Iguane ne composent pas des chansons aussi démentes. Et “Don’t Let Him Come Back” : chanson reprise aux boy-scouts de Go-Betweens ! “Je joue du punk rock, mais je vois plus grand” : être le roitelet de la scène garage, Reatard s’en tape royalement — il vise plus haut, le niveau de songwritin­g suprême des Reg Presley, Pete Shelley, Chris Knox... Schizo, l’homme à la Gibson Flying V enregistre au même moment l’incroyable “World Of Shit”, sous le nom Terror Visions — à faire passer Suicide pour les Bee Gees : indispensa­ble. Coke, alcool, épuisement, débauche et abus d’inventivit­é, Reatard meurt à 29 ans — une OD de sur-créativité.

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