The Black Keys
“EL CAMINO”
Avant cet album, le rugueux duo venu de l’Ohio aurait pu sombrer dans l’ombre des terrifiants White Stripes. Dan Auerbach (chant, guitare, barbe blonde) et Patrick Carney (batterie, lunettes carrées), comme Jack et Meg, étaient aussi d’exigeants puristes garage-blues. Le précieux combo demeurait ce trésor caché, appelé à devenir, comme on le dit, culte. Pas de “Seven Nation Army” à l’horizon. En 2008, rupture, ce fut l’ascension progressive. Revenus avec Danger Mouse (pote de Damon Albarn et moitié de Gnarls Barkley) dans leur sillage et l’envie de conquérir les charts, les Black Keys ont fait lever, chez leurs fans, plus d’un sourcil circonspect. Le résultat, “Attack And Release”, était une tentative mitigée de sonner plus contemporain et, fatalement, moins blues. Après quelques nouvelles fantaisies, en solo ou pas (l’inepte projet Blakroc, expérience rap-rock), les deux potes d’enfance sont réapparus fringants, gonflés d’influences funk et Motown : “Brothers” a été la preuve immaculée de cette mutation, explosion mainstream et grand disque de soul blanche. Succès planétaire, hype, Grammy Awards. “El Camino” était donc fébrilement attendu. Transforme-t-il l’essai ? Artistiquement oui, sans aucun doute. Annoncé comme un retour au rock and roll, “El Camino” tente en fait une excellente fusion, reprenant les options chaloupées du précédent album (choeurs féminins, basse épaisse, orgue vibrionnant) tout en adoptant un tempo plus enlevé, un son plus sauvage. La quasi-totalité de la face B est ainsi toute de groove méchant et de nonchalance lascive, façon “Miss You” des Stones : “Sister”, “Stop Stop”, ou la conclusive “Mind Eraser”. Plus remarquables encore, il y a ces moments où les Black Keys durcissent vraiment le ton. Sur “Gold On The Ceiling”, par exemple, bélier hard rock aux cornus phrasés évoquant le légendaire solo de Keith Richards sur “Sympathy For The Devil”. Ou “Little Black Submarines” qui pourrait être le “Stairway To Heaven” des natifs d’Akron : folk acoustique, puis décollage heavy. D’autres titres sont même totalement inhabituels comme “Money Maker”, oeillade garage survoltée, tronçonnée par un break tonitruant mêlant wah-wah et talk-box, ou bien “Nova Baby”, ultime chef-d’oeuvre du disque onirique, cosmique. Un sans-faute qui installait définitivement les Black Keys dans la cour des très grands.