Randy Newman
“RANDY NEWMAN” REPRISE 19 68
Randy Newman, l’un des personnages les plus ambigus (à première approche) et les plus inclassables de ces dernières décennies. Compositeur, parolier, orchestrateur, pianiste, chanteur et individualiste impénitent, il débute dans le showbiz en 1968 avec un album... invendable. Qui balance entre une musique symphonique rappelant Igor Stravinsky et chansonnette de bas étage, d’où émerge la voix à l’accent pataud d’un pauvre mec à moitié futé : c’est à la fois touchant, énervant et somptueusement dérisoire. Ce contraste entre le beau et le laid constituera le fil d’Ariane de sa carrière. Randy Newman décrit le monde — en particulier l’Amérique profonde — non pas tel qu’on le souhaiterait, mais tel qu’il est : tantôt touchant, tantôt exaspérant. Newman en incarne les personnages, frondeurs, naïfs, dévots, vicieux ou racistes. Ce qui évidemment ne manque pas de soulever l’indignation d’auditeurs incapables de lire entre les lignes. “Political Science”, “God’s Song” “Short People”, “Red Necks” autant de chefs-d’oeuvre dans lesquelles Newman traite de sujets délicats, laissant à l’auditeur le soin de prendre position. Mais il n’y a pas que de la provoc’ : “I Think It’s Going To Rain Today”, “Cowboy” (une version orchestrée et une live en solo), “Baltimore”, “Old Man On The Farm” et tant d’autres sont des oeuvres musicales et poétiques d’une incontestable beauté qui, si elles n’ont jamais acquis le statut (douteux) de tubes, restent des pièces musicales en deçà du temps et des modes. Toutes les gloires de la pop et de la soul des années soixante, aussi extraordinaires fussent-elles à l’époque, ont fini par s’épuiser, se répéter, voire disparaître. Randy Newman lui, allègrement remet ça, comme en atteste son “Faust” de 1995. Tout au plus a-t-il cédé certains rôles chantés à d’autres interprètes. Mais les orchestrations somptueuses, les thèmes envoûtants sont toujours présents. Il est bien entendu difficile de faire un choix parmi les albums de Newman : tous, sans exception, contiennent plusieurs plages indispensables. Si l’on retient ici son tout premier, c’est qu’il est passé inaperçu à l’époque. C’est sans doute le plus proche de la musique classique et il peut surprendre l’auditeur non averti. Il suffit d’être accroché par “Cowboy” ou “I Think It’s Going To Rain Today” pour que les portes s’ouvrent au royaume de Randy Newman. KURT MOHR