Rock & Folk

ALBERT COLLINS

ALBERT GENE DREWERY 1932 (Texas) - 1993 (Nevada)

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L’autodidact­e qui met en théorème ses mauvaises habitudes, la Telecaster sanglée en suspension sur l’épaule droite comme T-Bone Walker, ces accordages impossible­s, l’open de fa mineur en particulie­r, le capo pincé au milieu du manche comme Gatemouth Brown, la main droite en trident, le pouce pour faire péter les basses, le majeur pour faire riper la corde aiguë, l’index fulgurant qui donne une suite expéditive aux appels du pouce et du majeur, cette oreille tendue vers les Hammond B3, d’où ce swing brutal en estafilade­s de notes et bribes d’accords... Albert sort de Third Ward, Houston, la même zone que son cousin Lightnin’ Hopkins et Johnny Guitar Watson. Il est bercé par les big bands western, les saxos et les orgues texans, le tranchant de la main affuté par Gatemouth et Jimmy McGriff, par la guitare frénétique du premier, par l’orgue giflant du second. Il sillonne l’Etat dans un gros cul Kenwood, livre de la peinture et tâche de faire décoller, après le turbin, les Rhythm Rockers, dix musiciens dans le goût du pays, jump, R&B. Une nuit, ils rentrent d’un gig à Corpus Christi. Albert conduit. Petit dormeur, il a passé sa vie à conduire ses musiciens. Le volant le détend. Il fait un froid de gueux. “Mec, si

tu mettais le dégivrage ?” Defrost... Tilt ! La glace et le froid seront, dès le premier single (“The Freeze”, 1958), le leitmotiv d’une carrière qui vacillera pendant vingt ans, quoi qu’on ait pu affirmer. Il n’a pas une voix extraordin­aire, il le sait, il n’enregistre quasiment que des instrument­aux entre 1958 et 1978, pour Kangaroo, Hall, Imperial et Tumbleweed. Or, les quelques bluesmen qui se faufilent encore dans les radios noires sont de solides chanteurs sur de puissants labels largement distribués, BB et Albert King, Little Milton, surtout Bobby Bland. On lit partout qu’Albert Collins a démonté les charts en 1962 avec l’instrument­al “Frosty”, et poussé son avantage en 1965 en signant chez TCF (20th Century Fox). Foi de Billboard, “Frosty” n’a jamais charté. Avant Alligator, Albert ne figure qu’une fois dans ce classement avec “Get Your Business Straight”, titre chanté de 1972 qui papillonne à une modeste 46ème position. La Fox gravait essentiell­ement du soundtrack et ne brillait pas sur le marché du disque. Hall avait sûrement négocié un contrat de distributi­on pour ce seul album : “Cool Sound”. Albert succède à Jimi Hendrix dans l’orchestre de Little Richard, mais Richard est un ancien qui ne bague plus ses sidemen depuis longtemps. En 1968, Albert déménage à Los Angeles, recommandé par Canned Heat à Imperial, devient définitive­ment un bluesman pour oreilles blanches, passe au Fillmore West et dans quelques festivals d’étudiants, mais la galère gîtera encore pendant dix ans. En 1978, quand il enregistre “Ice Pickin’ ”, son premier album Alligator, il n’est plus personne, mais exige mille dollars d’avance sur royalties. Alligator n’est encore qu’un label de quartier, Bruce Iglauer n’a jamais produit quelqu’un d’extérieur à Chicago, mais il vient d’encaisser le punch d’Albert Collins dans un club. Iglauer comprend qu’Albert n’est pas un aigle du songwritin­g, il arrive toujours à la bourre, mains dans les poches, et tombe ses disques à l’arrache avec une géniale imprudence. Il le convainc de chanter davantage, l’oriente vers des registres à la Percy Mayfield et Lowell Fulson, puis lui compose une équipe de sidemen fidèles, dont Kasey Jones et AC Reed. “‘Ice Pickin’ est parti à 115 000 exemplaire­s, sans compter les ventes sous licence avec Sonet et des labels australien et japonais.” Il y aura sept albums Alligator, tous excellents, notamment “Cold Snap” avec Jimmy McGriff, le bronze de sa jeunesse, et “Showdown!” avec l’exubérant Johnny Copeland, un vieux pote de Houston, et Robert Cray, un jeune homme secret dont il a changé le destin le jour où il est venu jouer dans son bahut. Albert devient l’un des dix bluesmen les plus célèbres du monde. Sa trahison chez Pointblank/ Virgin n’ajoutera rien à sa gloire tardive. “J’avais perdu tout contact avec lui, je me contentais de faire suivre de substantie­ls chèques de royalties. Un jour il me téléphone, il m’apprend qu’il a un cancer, qu’il aimerait bien revenir chez Alligator. Hélas,

il n’en a pas eu le temps.” Albert meurt à Las Vegas, dans cette maison que BB King l’avait pressé d’acheter à côté de la sienne. La part la plus étonnante de son oeuvre, ce sont toutefois les diamants qu’il avait semés durant ses années de vaches maigres, instrument­aux d’un funk rocker à la petite semaine qui se réfugiait dans un garajazz pop, drôle et oppressant, théâtralis­ant ses riffs et ses phrases coupantes en séquences de jungle magistrale­ment arrangées, avec leurs gros beats rentre-dedans, leurs orgues sourds, leurs cuivres de chiffonnie­rs et leurs quintes de saxo, des poignards de blues intitulés “Collins Shuffle”, “Soulroad”, “Frosty”, “Defrost”, “Thraw Out”, “Don’t Lose Your Cool”, “Sno-Cone”, “Icy Blue”, “Whatcha Say (I Don’t Know)” ou “Do The Sissy”.

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