Under The Silver Lake
DE DAVID ROBERTMITCHELL
Au début de l’année 2015, alors que le bon cinéma d’épouvante — celui de John Carpenter, Tobe Hooper ou George Romero — avait laissé la place depuis un bail aux remakes pourris et au foundfootage facile, voilà qu’un jeune metteur en scène débarque en toute discrétion en redonnant honneur et dignité au genre. Avec “It Follows”, David Robert Mitchell remettait le trouillomètre à zéro en s’inspirant, à la fois, de Carpenter pour le style et des vieux films d’épouvante de la RKO par Val Lewton pour l’ambiance. Genre “L’Homme Léopard” ou “La Féline”. Et prouvait que moins on en montrait à l’écran (à savoir une présence fantomatique invisible), plus les poils des spectateurs s’hérissaient. D’autant que la mise en scène, tout en fluidité inquiétante et avec un sens parfait du hors champ, ne faisait qu’accentuer la peur. A la quasi unanimité de la critique spécialisée (ou non d’ailleurs), “It Follows” a été considéré, à raison, comme le meilleur film d’épouvante de l’année. Quand son film suivant, “Under The Silver Lake”, a été annoncé en compétition au dernier festival de Cannes, la planète cinéma était en émoi. D’autant que rien n’avait filtré sur le scénario. Puis, une fois projeté, l’objet a décontenancé tout le monde. Du genre : soit ce type vient de signer un chef-d’oeuvre et c’est le nouvel Orson Welles, soit il a pris la grosse tête et a tourné un film volontairement abscons, destiné à son nombril. Ou alors, plus probable, quelque chose entre les deux... Sam, un jeune hipster/ geek névrosé et paranoïaque qui a l’âge du Christ à son décès, glandouille dans son appartement de Los Angeles. En attendant de devenir célèbre, il mate sa jolie et énigmatique voisine à qui il a tapé dans l’oeil. Puis fait sa connaissance approfondie. Alors qu’il rêve d’une idylle, la jeune femme disparaît. Sam part alors à la recherche de cette fille qui semble synthétiser tous ses fantasmes. Son enquête, foutraque, va l’amener à rencontrer d’étranges personnages et à découvrir les dessous interlopes de LA. Un peu à la façon du David Lynch de “Blue Velvet” et de “Mulholland Drive”, mais avec un esprit pop nettement plus prononcé et une certaine ironie sous-jacente. Comme si “Under The Silver Lake” n’était jamais dupe de son étrangeté constante, volontairement appuyée. Difficilement racontable, le film est aussi une immense déclaration d’amour à l’âge d’or hollywoodien : ici, une tombe où l’on voit inscrit le nom d’Hitchcock ; là, une reconstitution de la célèbre scène sexy de la piscine de “Something’s Got To Give”, dernier film, inachevé, de Marilyn Monroe. Et, là encore, une séquence tournée à l’observatoire de Los Angeles, en hommage à celle de “La Fureur De Vivre” à qui Damien Chazelle rendra également hommage dans son sublime “La La Land”. Bourré de métaphores probables sur tout ce qui fait une vie (les aléas du sexe, la peur de ne pas réussir ou encore le passage difficile à l’âge adulte, déjà présent dans “It Follows”), “Under The Silver Lake” s’enfonce aussi dans un fantastique onirique naissant des délires intérieurs de son jeune héros à la ramasse. Notamment sur des interprétations de messages subliminaux qui seraient prétendument cachés dans beaucoup de films ou de chansons cultes... dont celles de Kurt Cobain ! L’excellent Andrew Garfield (Spiderman dans une vie antérieure) est ainsi suivi dans ses pérégrinations rocambolesques et rêveuses par la caméra gracieuse de David Robert Mitchell qui donne à son film une tonalité de film noir. De John Huston du “Faucon Maltais” (autre grand film incompréhensible) au Roman Polanski de “Chinatown”. Légèrement agaçant (probablement volontairement) et incroyablement fascinant, d’une beauté formelle certaine, “Under The Silver Lake” est, quoi qu’il en soit, l’ovni absolu de ce milieu d’été. Et qui, dans vingt ans sera peutêtre considéré comme un classique. Car n’oublions pas que le “2001” de Kubrick fut, en son temps, honni par la plupart des critiques ! ( actuellementensalles)