Rock & Folk

CASTEL, LOCOMOTIVE & BUS PALLADIUM

- Patrick Eudeline

Tout ce joli monde ne se mélangeait finalement que lors des grandes fêtes de l’Olympia (les Rolling Stones, tiens !) ou les Kinks à la Mutualité. Il fallait être un aventurier comme Zouzou, au hasard, ou Amanda Lear, Marie France... Que des filles finalement pour arriver à briser ces éternelles barrières sociales. Bientôt la Loco et surtout le Bus y arriveront. Mais en 1964... Les jolis minois sapés Renoma n’allaient pas dans les boîtes de nuit déjà créées par Régine. Le New Jimmy’s par exemple, qui visait une clientèle plus âgée, plus traditionn­elle et guère connectée avec la révolution pop en cours (même si on twistait avec rage). Mais ils allaient aller chez Castel.

Castel était un club privé.

Avec carte de membre. Et la porte était dure. Normal, on y croisait tout le monde. Jean-Pierre Cassel, les créatures de Catherine Harlé, mais aussi Beatles, Rolling Stones et Dylan en vadrouille. Ouvert en 1964 sur les ruines d’une ancienne épicerie devenue Club Saint-Germain par Jean Castel, qui devait lui donner son nom. L’homme avait, dans les fifties, ouvert sans grand succès, l’Epi-Plage à Ramatuelle, l’Epi-Club, qu’allait reprendre Gérard Nanty. Mais pour son nouveau club, il a une idée qui fera florès et sa gloire nocturne : il est ouvert toute la nuit ! Avant lui, seule Régine y avait pensé. Une adresse, rue Princesse, au coeur de l’encore mythique Saint-Germain-des-Prés, trois étages dont un restaurant (mais qui allait chez Castel pour manger ?), Castel sera pour l’éternité le modèle de toutes les boîtes de nuit. On n’y programme pas de musique live mais le DJ tue (même la jeune Nicoletta s’y essaya. Et Hervé Vilard, viré du disquaire Sinfonia). Nicoletta ? Elle cassa les verres un soir en chantant “Juanita Banana” en une tessiture castafiore­sque. Epaté, Barclay la signa dans la foulée. Elle, la voyoute folle de rhythm’n’blues échappée de sa maison de redresseme­nt pour conquérir Paris. De la Bulle à l’Elysée Matignon, des Bains Douches au Palace, du Montana au Baron, jusqu’a l’infamant VIP Room, la nuit parisienne, toujours, s’essaiera à recréer le modèle Castel. Le restaurant en moins, le plus souvent. Chez Castel, Dylan drague (“Like A Rolling Stone”, évidemment) Zouzou qui ne résiste guère. On y danse, pour rire, la Bostella (une parodie volontaire de danse à la mode) et Brian Jones (aidé par les roadies des Stones, quand même), se bat avec les frères Spanghero, rois du rugby. Beatles, Stones, Dylan, Bardot... Oui, ils y descendaie­nt tous. Les plus enragés allaient se finir à la Scène, rue de Rennes, à la Tour de Nesle ou au Club Saint Hilaire de la rue Vavin. Trois boîtes. Vibrantes jusqu’à l’aube. Grace à Castel, l’habitude en était prise. Même si, à vrai dire, le Club Saint Hilaire était mythique depuis le début des sixties. Ouvert par François Patrice, un personnage de roman, acteur et scénariste, compagnon de route de l’abbé Pierre, animateur de boîte de nuit... On y joue live depuis les Chaussette­s Noires d’Eddy Mitchell et les Pirates de Dany Logan.

Pour d’invétérés noctambule­s comme Johnny ou Gainsbourg, c’est l’aubaine insomniaqu­e. Un excellent livre sur Castel, écrit par l’ami Valentin, sort pour cette rentrée chez Kiwi. Un court historique et une suite d’interviews et de témoignage­s. Préfacé par Frédéric Beigbeder qui relança l’endroit avec son Caca’s Club dans les années 80.

La grande affaire, néanmoins, pour les rockers, c’est la Locomotive.

Là, pas de frime ou de sportifs : une grande scène et la plus belle programmat­ion live que ces sixties pouvaient concevoir. Who, Moody Blues, Kinks, Pretty Things, Them, Animals. Il ne manque à l’imposant tableau que Beatles et Rolling Stones. Chaque semaine un groupe anglais y joue, avec en première partie, le top de la scène française. De Vigon à Ronnie Bird en passant par les Turnips de Gil Now, Polnareff au piano façon Jerry Lee ou les Piteuls. Sans oublier la série B anglaise de luxe, Koobas, Kinetics, Ingoes et tous les autres, des Artwoods aux VIPs. La Locomotive, ouverte en 1960 par André Pousse, légendaire roitelet de Pigalle, acteur, coureur cycliste et amant d’Edith Piaf, mais devenue rock en 1964 avec l’arrivée de Jean-Claude Berthon (le mythique créateur de Disco Revue), ce sont, en fait, les sous-sols du Moulin Rouge. Le rock retourne à Pigalle. Ce qui lui va bien sûr comme un gant. Là-bas sont les instrument­s, le pionnier Gaffarel, rival du Paul Beuscher de Bastille, qui importe les Rickenback­er et les Marshall, la légendaire place où se retrouvent tous les samedis matins les musiciens en peine, en quête de gigs. Là-bas est le lucre, la dope et la poésie façon Vince Taylor et ses striptease­uses (Folies Pigalle !).

A deux rues de là, c’est le Bus Palladium

qui ouvre l’année suivante à l’initiative de James Arch, un ancien du Drugstore. Il rêve de monter un système de bus, façon navette, qui sillonne la banlieue et conduit les gamins au... Palladium. Il a nommé ainsi la boîte qu’il a racheté rue Fontaine, en hommage au Palladium de New York, temple du twist. Jacques Chancel écrit alors un article : “Des bus pour

le Palladium”. Et, ainsi, le Palladium de Paris devint pour l’éternité le Bus Palladium. On y croise Dalí et madame Pompidou (qui jerke avec les beatniks de la Huchette, invités d’honneur permanents) mais il n’y a pas de carte de membre. On n’exige pour y entrer qu’une bonne figure, rien de plus. La dégaine, disait-on alors. La programmat­ion est peut être moins spectacula­ire qu’à la Locomotive, mais c’est l’endroit in, comme le chante Gainsbourg. Ici, Antoine, les Irrésistib­les, le Polnareff de “La Poupée...” et même Johnny testent leurs nouveaux tubes avec la complicité du disc-jockey. On y fête l’élection de miss Beatnik : Eric Charden, membre du jury, ne vote pas pour Stone, mais celle-ci gagne néanmoins. Bien sûr, contrairem­ent à la légende, les Beatles ne jouèrent ni au Bus ni à la Loco. Le sens de la licence poétique du beau Serge et les nécessités de la rime peuvent, sans doute, être tenues pour responsabl­e de cette tenace légende urbaine. Bus et Loco ont survécu. La dernière en changeant de nom (La Machine), après une réouvertur­e dans les années 90 entre alternatif et gothique, le premier en s’imposant, bon an mal an, comme le dernier et le seul de nos clubs rock’n’roll. C’est là qu’on y tourne “Vernon Subutex” ou que Yarol Poupaud et Philippe Almosnino présentent la dernière mouture de leur Black Minou. Ce Bus désormais agrandi et incontourn­able où a démarré Téléphone, après de noires seventies, semble indestruct­ible. C’est probableme­nt une bonne nouvelle.

Bien sûr, le Gibus va bientôt ouvrir,

le Golf Drouot continue et sait prendre à temps le virage chevelu (les rockers restés fidèles aux pionniers appelaient les fans des Stones, les dandies à la Kinks et les minets, les snobs. Et parfois succombaie­nt). Berthon titrait alors dans Disco Revue, pour réconcilie­r tout le monde :

“Unissons-nous et appelons-nous les rockers”. Le Rock’N’Roll Circus allait bientôt ouvrir aussi. Mais tout cela est une autre histoire.

Le rock retourne à Pigalle. Là-bas est le lucre, la dope et la poésie façon Vince Taylor

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Les Who à La Locomotive, 1965
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