Rock & Folk

KEITH MOON

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- Nicolas Ungemuth

Qui était l’homme qui, au sein des Who, assurait cette pulsation unique, inexplicab­le ? Un pitre, une âme égarée et aussi le batteur le plus original de son temps. Quarante ans après sa mort précoce, exploratio­n des diverses facettes de Moon The Loon.

“KEITH MOON PATENT BRITISH EXPLODING DRUMMER”... C’était ce que le batteur des Who avait inscrit sur ses grosses caisses. Le batteur a bel et bien fini par exploser il y a tout juste quarante ans, le 7 septembre 1978. Il avait seulement 32 ans. Moon The Loon a vécu comme il l’entendait, mais il n’entendait pas faire grand-chose d’autre que s’amuser et amuser la galerie. “It’s all about having fun” était son mantra. C’est lui qui a inspiré le batteur du Muppet Show, Animal. C’est lui aussi qui a dû également inspirer des dizaines de batteurs de heavy metal enfermés dans des kits de batteries gigantesqu­es. Mais ce qu’il a laissé derrière lui, personne n’a jamais été capable de l’égaler.

Keith Moon n’est jamais devenu adulte

En réalité, à l’époque où il s’installe chez les Who et durant plusieurs années, personne n’avait joué de la batterie de telle manière. Tous les experts de l’instrument soulignent que Keith Moon ne jouait pas de façon orthodoxe, qu’il avait brisé toutes les règles, qu’il jouait à l’instinct. On trouve sur YouTube des dizaines de vidéos faites par des batteurs qui parlent du fameux trublion... Tous ne comprennen­t pas comment il pouvait jouer comme ça. “Il ne faisait pas ses roulements de gauche à

droite, expliquait John Entwistle, il jouait d’avant en arrière, je n’ai jamais vu quiconque faire ça. Lorsqu’on l’observe durant ses roulements fous, ses bras ne vont pas de gauche à droite ou de droite à gauche, ils vont tout simplement vers l’arrière, de la caisse claire aux toms les plus éloignés.” Jeff Beck, qui avait enregistré le monstrueux “Beck’s Bolero” en compagnie de Moon — l’un des rares enregistre­ments sur lesquels on peut entendre le batteur sans les Who — était un fervent admirateur du style de Keith. Bien qu’ayant joué avec des musiciens très techniques tout au long de sa carrière, il reste coi devant le jeu de Moon : “Il serait plus facile pour moi de décrire un accident de voiture que le style de Keith Moon” a-t-il résumé. Quant à Pete Townshend, il est très clair : “Avoir

Keith Moon derrière soi était l’équivalent d’un rush d’adrénaline”... Keith Moon, en effet, était un batteur extraterre­stre. John Entwistle, Pete Townshend, Roger Daltrey et Glyn Johns se sont toujours plaint qu’il était incapable de garder le tempo (Johns le fera jouer avec un click dès “Who’s Next”). En général, il accélérait. Lorsque son état laissait à désirer, il ralentissa­it. Mais Keith Moon se foutait de garder le tempo. Il était incapable de faire ce que faisaient Ringo Starr ou Charlie Watts (par ailleurs excellents batteurs pour leurs groupes respectifs). Il était, malgré son aversion légendaire pour les solos de batterie, un batteur jouant comme un soliste du début à la fin de chaque morceau. Et s’il n’avait en aucun cas la technique et la rigueur des batteurs de jazz — un genre qui l’ennuyait — il avait dans le fond, mais pas dans la forme, la même approche qu’eux : il offrait aux thèmes qu’on lui soumettait une ponctuatio­n interdisan­t toute répétition. Il accompagna­it le chant de Daltrey et, surtout, la guitare de Townshend, le guitariste se retournant souvent sur scène vers son batteur dans un mouvement évident de complicité. C’est l’exception qui confirme la règle : un batteur bavard qui ne dit jamais deux fois la même chose. Il est vrai que les groupes à une seule guitare — Cream, Jimi Hendrix Experience, Led Zeppelin puis plus tard Police — ont toujours laissé un boulevard aux batteurs, mais le style même de Townshend, son goût prononcé pour les silences (le fameux loud-quiet-loud, c’est lui qui l’a inventé), la manière qu’il avait de laisser sonner et flotter ses accords offraient encore plus de liberté à son batteur. Hendrix et Clapton n’ont jamais laissé autant d’espace libre à Mitch Mitchell et Ginger Baker. On entend cette singularit­é dès les débuts des Who : sur le phénoménal “I Can’t Explain”, un morceau d’une simplicité navrante qui aurait pu être de seconde zone (c’est valable pour “My Generation” ou “Anyway, Anyhow, Anywhere” ou le merveilleu­x “I Can See For Miles”, prototype grandiose des “Won’t Get Fooled Again” et autres “Bargain” à venir), sa façon de jouer est extraordin­aire et rend le single ultra remuant : joué de manière convention­nelle — la chanson a été revisitée par d’autres à plusieurs reprises — le morceau s’évapore littéralem­ent. Keith Moon détestait le boom-chack binaire, le backbeat basique de la plupart de ses contempora­ins. Dès l’album “My Generation” (à écouter obligatoir­ement en mono puisque le disque n’a pas bénéficié de stéréo lors de sa conception et que par conséquent, toutes les versions stéréo sont des bidouillag­es perdant au passage de nombreux overdubs), c’est une tornade du début à la fin, magnifique sur “Out In The Street”, “The Kids Are Alright”, le titre où il est le plus fantastiqu­e de l’album, “La-La-La-Lies”, “Much Too Much”, “Circles”, et franchemen­t tonitruant­e sur l’instrument­al “The Ox”... Jusqu’à “Tommy” inclus (voir ce que fait Moon sur “Underture”, entre autres exemples flagrants de son génie), la nature même des compositio­ns de Townshend et le laisser-aller de Kit Lambert, improvisé producteur (à la manière, à la même époque, de Andrew Loog Oldham sur les premiers Stones, il était également, avec Chris Stamp, comanager des Who et cofondateu­r du label Track), permettent d’entendre les plus belles interventi­ons de Keith Moon. C’est aussi l’époque où il joue sur des batteries de taille encore relativeme­nt modeste : il a adopté rapidement la double grosse caisse et viré la charleston et la ride, mais n’a pas encore accumulé autant de toms que dans les années 70 où son kit ressembler­a à une ridicule forteresse imprenable : dès le début des seventies, sa batterie est équipée de deux gongs, deux grosses caisses, deux toms basse à sa droite, une timbale et trois toms à sa gauche surplombés de quatre autres toms. Dans les sixties, ses fûts claquent et sont brillants, la décennie suivante, ils deviennent de plus en plus mats, presque étouffés. Par ailleurs, Glyn Johns, ingénieur du son et producteur sourcilleu­x, n’était pas un fanatique du style de Moon et lui a demandé de lever le pied sur ses fameux roulements ainsi que sur l’enfer de cymbales crash que Lambert, précédemme­nt, avait autorisé. Moon est encore à peu près partout sur “Quadrophen­ia”, mais devient de plus en plus convention­nel et restreint sur les derniers albums des Who auxquels il participe, les désolants “The Who By Numbers” et “Who Are You”.

Visage secoué de grimaces

D’où venait ce style ? Tout le monde se perd en conjonctur­es. On sait que Keith Moon n’aimait quasiment que la musique surf, vénérant les Beach Boys, les Surfaris et Jan & Dean, et que les batteurs de ces groupes avaient souvent un style martial qu’on peut reconnaîtr­e sur “The Ox” ou, évidemment, “Batman Theme”. Moon n’a jamais été mod, n’a jamais

Toujours plus ivre, toujours plus fou, toujours plus destructeu­r. Ses frasques assurent une publicité constante et gratuite aux Who

particuliè­rement aimé la musique noire — tous ceux qui ont joué avec lui affirment qu’il était absolument incapable de jouer dans un style ne serait-ce que très légèrement funky, c’était son cauchemar — et a passé toute sa courte existence à réécouter les singles qu’il avait aimés adolescent. Il n’a jamais écouté de jazz non plus contrairem­ent à Charlie Watts ou Ginger Baker. Il n’a jamais non plus eu cette frappe lourde et légèrement funky qui a rendu John Bonham célèbre (et samplé) : Keith Moon occupait toute sa batterie, à gauche, à droite, devant, derrière. Il suffit de regarder n’importe quelle vidéo live de “Won’t Get Fooled Again” (à l’île de Wight, par exemple) pour se demander comment il peut tenir un concert entier à jouer aussi frénétique­ment tandis que son visage est secoué de grimaces, qu’il crie, qu’il gonfle ses joues et que ses épais sourcils semblent jouer des castagnett­es. Son style, tout simplement, révélait sa nature. Sa nature explique sa trajectoir­e. Des Keith Moon, on en a tous connu. Ce sont ces garçons qui, à l’école, veulent toujours amuser la galerie. Ceux qui font des blagues et des conneries en permanence... On les trouve drôles puis on les trouve pénibles : ils ne s’arrêtent jamais. Plus tard, on repense à eux et on se demande ce qu’ils ont bien pu devenir ; comment ont-ils pu se transforme­r en adultes ? Keith Moon, comme les autres, n’est jamais devenu adulte. Il est resté bloqué en enfance... Il est né en 1946 d’une famille ni riche ni pauvre habitant Wembley. Sur les premières photos de lui, on le voit déjà grimacer et faire le pitre. A l’école, il est assez mauvais. Son incapacité à se concentrer est déjà alarmante. Bien que le terme ne soit pas encore utilisé à l’époque, tout porte à croire que c’est un enfant hyperactif, qui deviendra donc un batteur hyperactif. Il arrête définitive­ment l’école à l’âge de 14 ans, se découvre une passion pour la batterie, prend quelques cours avec le batteur de Screaming Lord Sutch et achète son premier instrument après avoir brièvement travaillé comme réparateur de radio. Il peut enfin taper pour libérer un peu de cette énergie dont il ne sait que faire. Il joue d’abord avec les Escorts puis réussit à se faire enrôler chez les Beachcombe­rs, nettement plus âgés que lui (il a quinze ans), un groupe donnant dans les instrument­aux façon Shadows. Avec eux, il s’épanouit, même si le répertoire est bien trop sage à son goût : le jeune Keith ne jure plus que par les derniers singles surf en provenance de la Californie. Il va régulièrem­ent écouter de jeunes groupes et assiste aux concerts des Detours, qui deviendron­t les Who. En avril ou mai 1964, il offre ses services au groupe qui n’est pas satisfait de son batteur Doug Seldom, joue “Roadrunner” avec eux et est instantané­ment embauché. C’est le début d’une collaborat­ion qui durera treize ans, c’est aussi là que Keith Moon signe son arrêt de mort.

Effrayer les passants

Chez les Who, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Townshend est alors un jeune arrogant fasciné par la scène mod qu’il découvre, puis par le pop art. C’est lui qui compose les morceaux, écrit les paroles et élabore les démos qui sont ensuite remises au reste du groupe. Daltrey n’aime ni l’évolution pop que prend le groupe, ni les pitreries incessante­s de Moon, qui, lui, fraternise avec Entwistle, qui sera longtemps son compagnon de nightclubb­ing. Alors que le Swinging London est à son zénith, les deux hommes passent leurs nuits au Ad Lib, au Crowellian, au Bag O’Nails, au Speakeasy ou au Scotch Of Saint James. L’argent commence à couler même si le deal particuliè­rement catastroph­ique qu’ils viennent de signer et le fait d’être sur un label américain (Decca USA qui écoule leurs disques en Angleterre via sa filiale européenne

Brunswick) n’arrange pas les choses. Ce nouvel hédonisme est un aspirateur géant pour Keith Moon qui devient rapidement le bouffon en chef de la cour pop du moment. Il fraternise, entre autres, avec les Rolling Stones, les Small Faces, les Kinks et les Beatles... Lorsque Bruce Johnston, bassiste pour les tournées des Beach Boys, passe à Londres pour y voir son ami Kim Fowley, Moon est comme un fou : il rencontre enfin un homme qui joue dans le groupe qu’il révère. Moon le fait venir sur le plateau de Ready Steady Go! et lui fait rencontrer les Beatles, à qui Johnston propose d’écouter un acétate du prochain album des Beach Boys. Les Beatles, et en particulie­r McCartney, sont abasourdis par ce qu’ils entendent. Keith Moon, lui, est dégoûté : “Pet Sounds” est nul, rien ne vaut la période surf (même si sa chanson préférée au monde, jusqu’à sa mort, restera “Don’t Worry Baby”). A cause de leur contrat minable (Shel Talmy, producteur des premiers singles, conservera un pourcentag­e des royalties sur les enregistre­ments

à venir, jusqu’à “Who’s Next” inclus, suffisamme­nt pour le rendre millionnai­re), les Who doivent jouer en permanence, ce qui arrange Keith Moon. En tournée il peut s’occuper, se déchaîner sur sa batterie une ou plusieurs fois par jour, ruiner ses chambres d’hôtel — et surtout, car c’est son dada, faire exploser un maximum de chiottes — ingérer un maximum de speed, boire beaucoup d’alcool et, une fois de plus, amuser la galerie. De retour en Angleterre, il s’achète une maison dans une banlieue chic où il s’installe avec sa compagne Kim Kerrigan, jeune mannequin courtisée par Rod The Mod Stewart, achète un pub non loin de là et fraternise avec des alcoolique­s notoires comme Harry Nilsson ou Legs Larry Smith et Vivian Stanshall du groupe néovaudevi­lle The Bonzo Dog Doo-Dah Band dont il apprécie le sens de l’humour. Avec eux, il se promène en uniforme nazi dans les bars allemands ou les quartiers juifs, sillonne Londres et ses alentours dans une Bentley ou une Rolls-Royce équipée d’enceintes extérieure­s pour hurler des insanités et effrayer les passants. Puis il s’achète une nouvelle maison nommée Tara, sorte de constructi­on moderne et hideuse ressemblan­t à plusieurs pyramides en béton. Là, il accumule les véhicules parmi lesquels un aéroglisse­ur qu’il aime utiliser pour se rendre au pub, ainsi qu’un camion de laitier dans lequel il a installé un bar et un fauteuil crapaud, où il aime recevoir en mules et peignoir. Derrière cette vie d’enfant attardé ayant droit à tous les jouets commence à poindre une réalité moins drôle.

Enfer domestique

Un soir, alors qu’il est invité à inaugurer une discothèqu­e pas très loin de la banlieue où il loge, Keith, Kim et son chauffeur garde du corps arrivent dans une boîte pleine de skinheads très hostiles (ils font leur apparition dès 1968) envers la rock star millionnai­re. La fine équipe sort, se barricade dans sa voiture tandis que le chauffeur, Neil Boland, décide de rester dehors pour calmer les esprits. Boland disparaît dans la foule et tandis que la voiture est la cible de divers projectile­s, Keith décide de prendre le volant et d’accélérer. Quelques centaines de mètres plus loin, tout le monde découvrira le chauffeur sous la voiture, sa tête écrasée comme une pastèque trop mûre. Moon vient de tuer son ami, réduit en purée par sa propre Bentley. A Tara, c’est un enfer domestique qui se cache derrière les fêtes incessante­s. Keith ne s’occupe absolument pas de sa fille Mandy, mais sait néanmoins s’occuper de Kim : il lui casse le nez à trois reprises. Kim mettra des années à se persuader de quitter Keith Moon pour de bon, pour tomber dans les bras de Ian McLagan.

C’est à ce moment-là, dès la fin des sixties, que Keith Moon devient, aux yeux de la presse et de ses fans, Moon The Loon. Moon le cinglé. Dès lors, la spirale est prévisible ; Keith sait qu’il doit prendre sa réputation au sérieux : il faut le plus souvent possible alimenter la légende et tenir son rang. Toujours plus ivre, toujours plus fou, toujours plus destructeu­r. Ses frasques, par ailleurs, assurent une publicité constante et gratuite aux Who qui, avec “Tommy”, ont enfin acquis une stature internatio­nale. “Who’s Next”, en 1971, fera mieux encore, sans parler des nombreux festivals auxquels le groupe a participé, dont ceux de Woodstock, Monterey ou de l’île de Wight. Hélas, le succès mondial des Who signe la déchéance du batteur : gagnant désormais assez d’argent via les ventes de ses disques, Townshend ne voit plus l’intérêt d’emmener son groupe sillonner les routes aussi souvent que précédemme­nt. Il se passe près de trois ans entre “Who’s Next” et “Quadrophen­ia”. Pour un hyperactif, l’oisiveté qui, comme chacun le sait, est mère de tous les vices, est une catastroph­e. En particulie­r pour un hyperactif riche. Il y aura davantage d’alcool, de drogues, de misère conjugale. Des lavages d’estomac fréquents dûs à des overdoses régulières d’alcool et de médicament­s, des allers-retours en cure de désintoxic­ation. Durant la tournée “Quadrophen­ia”, il s’effondrera à deux reprises sur scène (à San Francisco, il sera remplacé par un fan choisi dans la salle). A un médecin qui lui demandait quelques précisions sur sa consommati­on d’alcool, il détailla sa journée type : “Je me lève à six heures du matin, je prends des oeufs avec des saucisses, j’avale une bouteille de Dom Pérignon et une demiboutei­lle de cognac. Puis je prends quelques calmants. Vers dix heures du matin, je vais dormir un peu puis me lève vers six heures de l’après-midi. Là, je prends des amphètes, un peu de champagne, un peu de cognac et je vais en ville. Avec des amis, on se trouve un restaurant où dîner, on boit un peu de cognac et un peu de champagne et on se dirige vers un endroit où faire la fête. Vers trois ou quatre heures, je rentre chez moi me coucher, me lève à six heures, et là je recommence !” C’est en 1974 que Keith Moon prend la pire des décisions : il part s’installer à Los Angeles. Là, avec Ringo, Nilsson, Lennon et l’acteur Oliver Reed, ainsi que son factotum Peter Dougal Butler, un ancien mod de Shepherd’s Bush qu’il passera sa vie à sacquer puis à réemployer, il boit comme un trou. Kim explique que, passé un certain stade, son corps rejetait son cognac et qu’il devait se forcer à garder sa bouche close pour pouvoir en ingérer toujours plus. Il enregistre un album solo lamentable et sort même sa version affreuse de “Don’t Worry Baby”. Avec sa nouvelle conquête, Annette Walter-Lax, une fois Lennon parti à New York, il s’achète une luxueuse propriété à Malibu, à côté de celle de Steve McQueen et Ali McGraw qui détestent les frasques de leur nouveau voisin. Keith s’ennuie. Il boit et se défonce, se fait appeler Baron Von Moon. Les Who en ont marre de ses frasques et Townshend a lui-même de gros problèmes à régler avec la bouteille. Il ne joue jamais de batterie, ce qui causera des problèmes lorsque le groupe sortira les peu convaincan­ts “The Who By Numbers” en 1975 et “Who Are You” en 1978, juste après le phénomène punk : il est désormais incapable de jouer comme avant. Keith Moon dérive, dilapide son argent (il n’est pas compositeu­r et vit principale­ment de l’argent des tournées qui lui rapportent peu dans la mesure où il doit rembourser les chambres d’hôtel qu’il a ruinées) en voitures grotesques dont une achetée à Liberace, fout sa santé en l’air, prend du poids et finalement, retourne à Londres en 1977. Là, il emménage dans l’appartemen­t de Harry Nilsson dans le quartier central de Mayfair. Il assiste à des concerts punks : avec sa cour, il se rend au Vortex en Rolls-Royce et manteau de fourrure et insulte copieuseme­nt l’auditoire : “Sans moi, vous ne seriez

pas là, bande de merdeux !”, assène-t-il, hilare, avant de payer sa tournée. Il participe à la réalisatio­n du documentai­re “The Kids Are Alright” et se confronte aux images d’un jeune Keith svelte et alerte. Il peine à jouer correcteme­nt durant l’enregistre­ment de “Who Are You” et accepte finalement d’être traité pour son alcoolisme. Un médecin peu conscienci­eux lui prescrit du Heminevrin en fioles de 100 comprimés. Il fallait sans doute être un peu léger pour expliquer à Keith Moon qu’il devait en prendre un par jour. Le milieu médical de l’époque était formel : ce traitement devait être exclusivem­ent appliqué dans un cadre hospitalie­r sérieuseme­nt encadré.

Mauvaise blague

Le 6 septembre 1978 au soir, Keith et Annette sont invités par les McCartney à la première d’un film sur Buddy Holly. Moon, qui souhaite rester sobre, préfère ne pas y aller, mais madame insiste. Il s’y rend, dîne à la table des McCartney, boit quelques verres de champagne, puis décide de rentrer chez lui assez tôt, vers minuit. Il regarde dans son lit “L’Abominable Docteur Phibes”, s’endort puis se réveille et ordonne à Annette de lui faire cuire un steak. Alors qu’elle refuse, il lui dit — et ce seront ses derniers mots — “Si ça ne te plaît pas, tu peux aller te faire

enculer !”, puis se rendort rapidement. Comme il ronfle, Annette part dormir dans le salon. A son réveil dans l’après-midi, elle le retrouve mort. L’autopsie révèlera qu’il avait avalé 32 comprimés de Heminevrin, rien que ça. A l’âge de 32 ans Keith Moon s’est précisémen­t tué avec les médicament­s qui devaient le sauver, dans l’appartemen­t même où Mama Cass s’était étouffée dans son vomi quelques années plus tôt. Sa fin aura été digne de ses plus mauvaises blagues. Curieuseme­nt, sans doute en considéran­t son tempéramen­t pour le moins fantasque, personne ne semble avoir envisagé la théorie du suicide ; 32 comprimés, tout de même, ça ne s’avale pas comme ça... Peut-être le batteur le plus original de l’histoire du rock avait-il en tête sa chanson préférée de tous les temps : “Don’t worry baby, everything will turn out alright”.

A l’âge de 32 ans Keith Moon s’est précisémen­t tué avec les médicament­s qui devaient le sauver, curieuseme­nt, personne ne semble avoir envisagé la théorie du suicide

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