LED ZEPPELIN
“The Song Remains The Same”, étrange film bricolé alors que le groupe de Jimmy Page était au faîte de sa gloire, ressort en grande pompe.
Nous sommes en 2018, et il est donc temps de célébrer un anniversaire important : le demi-siècle de Led Zeppelin. Pour l’occasion, il ne restait plus que le fameux film “The Song Remains The Same” à dépoussiérer. C’est désormais chose faite, sous la forme d’un plantureux coffret remasterisé par Jimmy Page lui-même et contenant la totale : quatre vinyles sous pochette gaufrée, deux CD, trois DVD, un livret signé Cameron Crowe et même un programme japonais édité pour la sortie du long métrage au pays du Soleil-Levant en 1977. L’occasion de revenir sur cet épisode assez rocambolesque dans la saga mouvementée du Dirigeable.
John Paul Jones et sa perruque
Le projet démarre en 1973. Un dénommé Joe Massot, pote de la copine française de Jimmy Page, propose ses services à Peter Grant pour réaliser un film sur le plus grand groupe de rock’n’roll du moment. D’abord réticent, le sulfureux manager, qui a toujours rêvé de faire l’acteur, finit par le convoquer à la hâte pour capturer les derniers instants d’une lucrative tournée américaine. L’objectif : filmer trois concerts au prestigieux Madison Square Garden de New York, les 27, 28 et 29 juillet 1973. Massot a d’emblée une vision plus ambitieuse et va donc aussi filmer les coulisses, ainsi que quelques “représentations symboliques” de la vie des quatre musiciens. Une entreprise peu évidente, à cause notamment d’un Grant control freak et lunatique, capable de balancer inopinément un seau d’eau sur le matériel. Joe plonge aussi dans le cirque permanent d’une tournée avec Led Zeppelin : le Boeing privé, le Dom Pérignon, les filles, les chambres d’hôtel ravagées, la drogue. Le 28, la troupe se fait même délester de près de 200 000 dollars, qui avaient été laissés dans un coffre à l’hôtel Drake pour les menues dépenses. Une fois le tournage achevé, c’est la désillusion : certains morceaux comme “Whole Lotta Love” ne sont pas complets (malgré les trois soirs de tournage), et les premiers montages sont désastreux. Massot est saqué sur le champ, et Grant engage illico un réalisateur australien plus expérimenté, Peter Clifton, pour tenter de sauver le projet. L’homme reprend le script à zéro, obtient de tourner de nouvelles scènes de fiction, et parvient même à réunir le groupe dans les studios Shepperton afin de rejouer certains titres du concert et combler les lacunes (problème, John Paul Jones s’est coupé les cheveux et se voit donc attifé d’une perruque...). Dès que l’entreprise est (enfin) achevée, Peter Grant dépêche ses gros bras pour récupérer les bobines. “The Song Remains The Same” est projeté à Ahmet Ertegün, grand pope d’Atlantic Records, qui s’endormira plusieurs fois pendant le visionnage (et lâchera pour tout commentaire : “C’était qui, ce type sur le cheval ?” — réponse : Robert Plant). La première a finalement lieu le 20 octobre 1976 au Cinema 1 de New York. L’accueil critique est mitigé, mais le succès au rendez-vous, le film devenant au fil du temps un classique des séances de minuit. Si “The Song Remains The Same” est certes un peu bancal et daté, il permet d’apprécier l’alchimie scénique surnaturelle de Led Zeppelin. Le concert reconstitué, s’il est centré sur le récent “Houses Of The Holy” et manque un peu d’authenticité du fait des multiples charcutages de bande, reste un passionnant témoignage de l’époque. Robert Plant resplendit, boucles blondes et torse nu, vêtu d’un jeans fort moulant. Les yeux mi-clos, le très filiforme Jimmy Page (qui n’a alors pas dormi depuis cinq jours) semble en pilotage automatique sur sa Gibson Les Paul, mais étincèle. John Bonham écrase ses multiples peaux, bandeau à paillettes bien serré sur le front, et John Paul Jones alterne entre basse et claviers avec un égal bonheur.
Bonzo et ses bovins
On goûte cette très longue version de “Dazed And Confused” (29 minutes !) ou ce “Whole Lotta Love” à la démente puissance, ainsi que le toujours mirifique “Since I’ve Been Loving You” ou encore le groove irrésistible de “Misty Mountain Hop”. Les chansons sont entrecoupées de séquences oniriques, la plupart assez kitsch (Plant en preux chevalier, Page grimpant une colline un soir de pleine lune...). La plus émouvante est celle de John Bonham, insérée dans “Moby Dick”, où l’on peut contempler Bonzo en compagnie de ses bovins, ses voitures de collection, ou bien assistant d’un oeil ému aux premiers matraquages de fûts de son fils Jason. On y découvre aussi le colossal Peter Grant et sa verve fleurie dans une scène culte qui le voit insulter copieusement le gérant du Garden, coupable d’avoir laissé entrer un revendeur d’affiches pirates. Son charisme extraordinaire en fait l’une des révélations de ce film qui, superbement réédité, mérite forcément une redécouverte.