RADIO FISH & CHIPS
Si Beatles, Who et Kinks sont le symbole des sixties, nombre de groupes restèrent incompris en dehors de leur île, et pas seulement pour une question d’accent. This is England.
Legend “Legend” (1970) Avant Dr Feelgood, Inmates, Ducks Deluxe, Count Bishops, Eddie & The Hot Rods et Eggs Over Easy, bref, avant le rock de pub, Mickey Jupp transformait déjà les acrobaties manucurées de Chuck Berry en chansons à vider de la stout. Le fondateur des Legend, grand chanteur et guitariste immense, appartient à cette génération intermédiaire ayant permis aux influences du rock’n’roll pionnier de voyager clandestinement à travers le temps. Avec le red boot album, produit par Tony Visconti, ces gars du Southend signaient rien moins qu’un chef-d’oeuvre.
Ronnie Lane “Slim Chance” (1974) Il était à l’origine des deux groupes les plus anglais des sixties : les Small Faces et les Faces. Peut être parce qu’à force de tourner avec Rod Stewart et Ron Wood, son foie faisait désormais la taille d’une pastèque, Ronnie se retira sagement en 1973 dans une ferme du pays de Galles où il enregistre trois albums de britannica. La voix chevrotante, il chante ses histoires de bouteilles de brandy et de gangs de rue victoriens, devenant à tout jamais le héros des héros anglais.
Ian Dury “New Boots And Panties!!” (1977) Laisser la radio allumée dans un fish & chips en 1977 ne devait pas ressembler à autre chose : un enchaînement de musique de club, d’hommages à Gene Vincent, de basse jamaïcaine, de comédie néo-Vaudeville... C’est tout cela qui fait le premier Ian Dury. Si l’on ajoute la diction inimitable de Ian, si bien imité par son fils Baxter — d’ailleurs présent sur la sublime pochette — et les textes superbement salaces, on tient l’un des grands albums punk d’époque, c’est-àdire, sans orthodoxie aucune, une pure production Stiff Records.
The Smiths “The Queen Is Dead” (1986) A quel moment de l’histoire anglaise les hooligans de Manchester United se sont-ils mis à envahir les scènes pour embrasser dans le cou un garçon sans chemise, chantant avec une voix de fausset et des glaïeuls à la main ? Avec l’apparition des Smiths. Anomalie historique, les Smiths ont créé un genre de pop affectée qui fustigeait violemment la décadence et la violence de ses contemporains. Aujourd’hui, on blâme le Moz pour son nationalisme. Mais comme il le jurait sur le single “Sweet And Tender Hooligan” : “il ne le fera plus jamais, jusqu’à la prochaine fois”.
Supergrass “I Should Coco” (1995) On lui a préféré Oasis ou Blur et pourtant, le grand groupe de rock, power trio racé, rapide et destructeur comme le blitz, c’était lui. Si, sur scène, Gaz Coombes et ses amis terrassaient la concurrence, à la radio, leur single “Alright”, en renouant avec les humeurs victoriennes des Kinks, l’explosaient. Et, quand il s’agissait de passer à la vitesse supersonic, on ne pouvait vraiment compter que sur un groupe : Supergrass.
The Libertines “The Libertines” (2004) Un junkie fan des Smiths se met à la colle avec un alcoolique aux cheveux mi-longs obsédés par le Velvet Underground. Qu’est-ce que cela donne ? La seule bonne chose sortie de l’île dans les années 00 — avec Amy Winehouse paraît-il. Les Chapi Chapo de la génération groupe en The, connaissaient leur songwriting — école “Train In Vain”— sur le bout des ongles. Ainsi, ils ont écrit pour ce deuxième album 15 titres devenus, depuis, des tubes générationnels. On l’assure : ça se réécoute mieux que les Spice Girls.
Sleaford Mods “Key Markets” (2015) Musique idiote, paroles idiotes, concert idiot, énergie idiote, groupe idiot pour une époque idiote. Voilà autant d’arguments qui font de Sleaford Mods le seul groupe de rock’n’roll des années Brexit. D’ailleurs, cet album frénétique a atteint la onzième place des classements anglais. Certes, le duo risque d’avoir du mal à se renouveler, mais les Ramones aussi ont eu du mal. THOMAS E FLORIN