Rock & Folk

Spencer P Jones 1956-2018

Légende du rock australien, le Néo-Zélandais, guitariste de The Johnnys et des Beasts Of Bourbon, est mort à 61 ans.

- VINCENT HANON

Après Rowland S Howard, il y a quelques années, Brian Henry Hooper, il y a quelques mois, et Conway Savage, il y a quelques jours, c’est au tour de Spencer Patrick Jones de rejoindre le club des rockers australien­s maudits, ceux qui ont du mal avec la soixantain­e. Malade depuis 2015, Jones a quitté ce monde le 21 août, à 61 ans, des suites d’un cancer du foie. Spencer P Jones se fichait comme d’une guigne du tas d’histoires qu’on racontait sur lui et savait mieux que quiconque que la réalité dépassait la fiction. Brian Ritchie des Violent Femmes le résumait ainsi : “Bien qu’il soit Kiwi, Spencer P Jones est le Keith Richards de l’Australie.” N é à Te Awamutu (NouvelleZé­lande) en 1956, Jones arrive vingt ans plus tard en Australie. A Sydney, il joue dans différente­s formations (The Cuban Heels, North 2 Alaskans...) et bâtit sa légende lorsqu’il rejoint The Johnnys, groupe cowpunk tapageur. Il attire vite les commentair­es élogieux d’artistes comme Neil Young ou John Lydon. En 1983, The Johnnys doivent faire la première partie du Gun Club en Australie... Sauf que, faute au comporteme­nt erratique de son chanteur Jeffrey Lee Pierce, la moitié du groupe s’est tiré juste avant l’embarqueme­nt à l’aéroport de Los Angeles. Pierce déboule en Australie seulement accompagné de la bassiste Patricia Morrison. Il débauche illico Spencer, qui devient son guitariste et son compagnon de beuverie. Parallèlem­ent, Spencer fonde Beasts Of Bourbon, avec Kim Salmon et Boris Sujdovic (The Scientists), James Baker (Hoodoo Gurus) et le chanteur Tex Perkins : une formation swamp rock dans laquelle se côtoient sans doute trop de rock stars, sous l’influence de tout ce qui traîne de plus ou moins recommanda­ble. Spencer saborde méticuleus­ement toute velléité de carrière. Il se lance en solo, avec la même approche risque-tout et ce sens de l’humour grinçant. Il sortira, en 1994, “Rumour Of Death” entouré de Warren Ellis, Conway Savage et Brian Hooper, soit une bombe à fragmentat­ion lente sur la scène locale. En 2003, suit l’excellent “Fait Accompli”. Spencer multiplie les formations ; il s’acoquine avec Billy Ficca de Television et Brian Ritchie des Violent Femmes le temps d’une session enregistré­e à New York quelques jours avant le 11 septembre. En 2013, il enregistre “Sobering Thoughts” en compagnie de John Nolan, le guitariste de Powder Monkeys. Il sort aussi un disque sous le nom de Spencer P Jones And The Nothing Butts et, enfin “Runaways”, avec Kim Salmon, en 2013. Les deux vieux comparses y reprennent The Only Ones, mais aussi Kanye West. Avec son Stetson et sa Stratocast­er blanche jaunie, ce grand manitou de l’undergroun­d australien était un musicien autodidact­e et un guitariste discret qui joua sur la moitié des albums de Melbourne dans les années 90 et au-delà. Spencer a aussi apporté ses compositio­ns sur les albums des autres, produisant ici, poussant les choeurs par là, comme sur des chansons de “Let Love In” ou “Murder Ballads” de Nick Cave & The Bad Seeds. Ses collaborat­ions sont trop nombreuses pour être listées. Reste que Spencer a beaucoup appris au côté de Paul Kelly, le Bruce Springstee­n australien. Il a également joué avec Chris Bailey, Maurice Frawley, ou Sonny Vincent dans Shotgun Rationale. Il était “le gentleman du rock’n’roll australien”, selon Ian Rilen, premier bassiste de Rose Tattoo et leader de X, avec lequel il avait joué dans Hell To Pay. Chanvre indien, spiritueux et aiguilles : Spencer aimait la totale. Sa vie d’excès en tout genre s’entendait dans sa musique. “Merci pour l’acide et l’ecstasy. Et les métamphéta­mines woohee !” chantait-il. En France, il aimait bien le pastis, comme on a pu le constater lors d’un passage à Paris en 2005, où il jamma avec The Black Lips un soir, très tard, à Montreuil. L ucide, il confiait en souriant qu’il serait reconnu à titre posthume. De “Execution Day” pour Beasts Of Bourbon à “The Bogans” ( Les Beaufs, en australien) en solo, Spencer n’a pas écrit que des classiques. Mais presque. Incroyable parolier, il régalait ses maigres audiences en leur racontant des histoires pleines de sagesse (“fuck

Billy Bragg”, ce genre), et se faisait payer en shots de tequila par l’auditoire. Spencer P Jones, surtout, était un musicien enthousias­te et généreux, qui embrassait tout, du blues au folk, de la soul au rap, mais qui soutenait surtout les jeunes artistes et jouait avec tous les groupes qui valaient le coup — Bitter Sweet Kicks, Crystal Thomas, Jules Sheldon, etc. Un soir de java, alors qu’il préparait un super cocktail, il avait confié avoir encore plein de musique en lui. Difficile d’écrire qu’un ange est passé. Seule certitude, la musique australien­ne perd cher, et il laisse ceux qui l’aimaient le coeur gros.

Newspapers in French

Newspapers from France