Quelques sons de clochettes
Jingle Bells STEVEN JEZO-VANNIER Le Mot Et le Reste
Alors cette année, c’est simple pour les retardataires, soit vous collez furieusement à l’actualité tout en vous simplifiant le shopping honni et, sous le sapin, vous offrez, à tous, le même “Manuel De Guérilla Urbaine” qui enthousiasmait les militants des années 70, lecture qui se révèlera finalement peut-être super utile, voire indispensable si l’ambiance continue à bouillonner aussi gentiment. Soit vous êtes comme tout le monde, vous préférez prudemment éviter les discussions politiques en famille pour pouvoir encore parler à deux trois personnes au prochain mariage et vous dégainez alors le petit livre cadeau qui, miracle de Noël, convient à tout le monde et ne ruinera pas la soirée : “Jingle Bells — L’Improbable Histoire Des Chansons De Noël” de Steven Jezo-Vannier. Car c’est bien un sujet sur lequel on a tous des trucs à dire, qu’on aime ou qu’on déteste la musique de Noël et ce, sans que jamais ledit sujet soit susceptible de dégénérer en douze coups de minuit, c’est assez rare pour être souligné. Une analyse du genre, de son histoire et de ses règles, de ses spécificités, musicales, saisonnières ou géographiques, précède l’analyse de cent titres, plus ou moins immortels mais toujours savoureux, qu’ils soient kitsch, émouvants, folkloriques ou stupidement drôles. Les plus grandes stars de la chanson et du rock se sont prêtées à cet exercice, parfois dans d’improbables reprises ou d’étonnantes collaborations, quoique autant d’inconnus apparaissent au fil de ces pages terriblement évocatrices. Souvenirs d’enfances, lumières multicolores, paquets rutilants, parfums épicés, cadeaux et fraîches bulles, le folklore c’est très bien mais quelque soit votre parfum préféré de Noël, avouez que sans Mariah Carey et quelques sons de clochettes de traîneau, ça n’aurait plus le même goût délicieux de traditions ridicules et touchantes.
Peine Perdue KENT Le Dilettante
On a l’habitude ici des romans dont les héros sont des musiciens fictifs et on peut affirmer que leur quasi-totalité décrit soit le destin d’un ex ou futur demi-dieu du rock — ça se fait beaucoup la star déchue — ou, à l’opposé, d’un humble inconnu au coeur pur et habité par la musique. Kent, musicien depuis quarante ans et ses débuts avec Starshooter, auteur reconnu de BD et de fictions, choisit lui de parler d’un de ces petits maîtres de la profession, musicien aux succès trop irréguliers pour le garder au premier rang pendant toute une carrière mais qui, bon an, mal an, vit tout de même heureusement de la musique, même si c’est plutôt celle des autres, ceux qui sont, eux, dans la lumière du moment et qui l’engagent pour les accompagner. Position privilégiée pour un observateur bienveillant et angle parfait pour un regard inhabituel dans la fiction rock, plus réaliste, moins fantasmé et sûrement plus honnête. La confrontation du héros avec la mort de sa femme et le déni destructeur qui s’ensuit vont bouleverser le musicien et ses certitudes et transformer profondément sa vision de son monde et de sa musique. Kent réussit ici un joli roman, sensible et juste, qui raconte, sans cynisme ni amertume, la vraie vie d’un paquet de musiciens talentueux et leur rend ainsi un hommage rare et mérité.
John Coltrane, L’Amour Suprême FRANCK MEDIONI Castor Music
Exceptionnel musicien de jazz, génie incontesté, John Coltrane a marqué profondément l’histoire de la musique et la brièveté de sa carrière lui a tout de même permis d’imprimer profondément sa griffe et d’influencer, non seulement tous les musiciens de jazz après lui, mais aussi d’annoncer et d’ouvrir la voie à beaucoup d’autres musiques, de Frank Zappa et Jimi Hendrix pour commencer, en ce qui nous concerne. Franck Médioni, journaliste et écrivain prolifique, en particulier sur le jazz, consacre au phénomène Coltrane une biographie fouillée et exhaustive qui permet d’embrasser à la fois sa vie et sa carrière mais aussi et surtout de comprendre le sens de ses recherches stylistiques et musicales. Hippie avant l’heure, il voulait que sa musique donne du lovesupreme, être une force du bien et de la beauté et cet “aventurierdel ’absolu” a su mettre ces interrogations et cette spiritualité au service d’une imagination, d’une énergie et d’une inventivité uniques. Géant, dans tous les sens du terme, Coltrane reste un cas rare et un de ces quelques musiciens de jazz dont tout le monde connaît le nom et s’incline devant l’oeuvre. “John Coltrane, L’Amour Suprême” vous aidera à mieux apprécier pourquoi.
Plaies RENNIE SPARKS L’Arbre Vengeur
Aucun des amateurs de “True Detective” n’a oublié l’entêtante musique du générique de la première saison, un titre sombre et suave, “Far From Any Road” qui embarquait immédiatement le spectateur dans une cambrousse trouble et, donc, parfait prélude à l’univers de la très fascinante série. Parfait prélude aussi à “Plaies” le livre de Rennie Sparks, justement parolière et socle, avec son mari, de The Handsome Family, le groupe auteur du susdit titre, groupe confidentiel mais révéré de — on l’aurait parié si seulement on avait su que ce sous-genre existait — country gothique, c’est le terme. Rien d’étonnant donc que son recueil de nouvelles ne soit pas tout à fait un portrait d’une humanité heureuse et bienveillante et qu’on y retrouve, même si la plupart des histoires se passent dans un Chicago décrépit, la même sourde menace. Chez Rennie Sparks, le diable est littéralement dans les détails et ce sont ces petites touches qui font basculer les héroïnes amères de ces saynètes dans un macabre délicat et pénétrant et donnent à ces pages cruelles et misanthropes l’insidieuse même puissance tourmentée que dans ses chansons. ❏