Rock & Folk

Patrick Mathé

1949-2018 Le cofondateu­r de New Rose est mort le 18 novembre. Avec lui disparaiss­ait une légende française, celle d’un magasin, d’un label et d’une époque bien révolue.

- NICOLAS UNGEMUTH

Il avait un cigare, une moustache, une chemise à carreaux, des santiags et des jeans Lee ou Wrangler. De prime abord, il pouvait être intimidant : Patrick Mathé n’avait aucune passion pour les journalist­es et aimait citer un pigiste de Best qui, lorsqu’il voyageait pour rencontrer certains des artistes de son catalogue, lui envoyait “des notes de frais pour des cafés à 50 cents ! Sans blague !” Mais lorsqu’il vous accordait enfin sa confiance, on découvrait un homme exceptionn­el. Son groupe préféré était les Kinks : derrière l’aspect bourru et rugueux se cachait un authentiqu­e raffiné.

Ce qu’on ne trouvait pas ailleurs

Une fois, voyageant avec lui en voiture entre Austin et San Antonio pour rejoindre dans sa banlieue Clifford Scott, saxophonis­te du tube “Honky Tonk” de 1956, on avait mis dans l’autoradio la cassette d’un album solo de Keith Richards devant bientôt sortir. La réaction ne se fit pas attendre : “C’est bien gentil ton truc, mais il n’y a aucune chanson ! On peut changer ?” Il adorait Austin — où il était traité comme une star — lorsque ce n’était pas encore une ville de bobos, était citoyen d’honneur de Memphis, et passait beaucoup de temps en Thaïlande. Amateur de bonne chère, au rire sonore et communicat­if et aux yeux pétillants d’intelligen­ce, c’était un homme de bon sens qui avait, comme on dit, la tête sur les épaules. Il avait fait HEC, brièvement travaillé chez RCA puis pour le disquaire Music Box dans le quartier de Saint-Sulpice avant de monter, avec Louis Thévenon, le magasin New Rose rue Pierre Sarrazin, puis le label, en 1980. Le label en question sortait ses propres disques mais signait également de nombreux groupes étrangers en licence qui, via New Rose, vendaient souvent plus de disques en France que dans leur propre pays, voire dans le reste du monde. Le magasin était aussi intimidant que son cofondateu­r : le samedi après-midi, les skins attendaien­t tranquille­ment sur le trottoir d’en face pour dépouiller les clients des disques qu’ils venaient d’acheter. On préférait sécher les cours et y aller en semaine pour être sûr de ne pas en revenir bredouille. Rapidement, le label et le magasin ont pris une dimension mythique — on y trouvait ce qu’on ne trouvait pas ailleurs — et ses vendeurs, Gérald Guignot, Philippe Marie et Jean Sabouraud qui, pour les deux derniers, officient désormais chez Gibert Joseph, touchaient leur bille. Dans Best, on lisait la page de publicité en vente par correspond­ance comme on aurait lu un article, en entourant de feutre tous ces disques qu’on n’avait pas forcément les moyens d’acheter. Dans ces années 80 où s’imposait lentement mais sûrement le mainstream dicté par MTV, New Rose peuplait nos déserts musicaux d’oasis luxuriante­s. Le label nous a permis de découvrir plusieurs grands et petits maîtres. S’il a débuté avec un groupe australien (les Saints pour l’EP “Paralytic Tonight, Dublin Tomorrow”, première référence) New Rose proposait un peu de rock anglais, écossais ou irlandais (les fabuleux Dead Beats, les Primevals, les Outcasts), mais beaucoup de choses américaine­s qui faisaient notre joie : Gun Club (beaucoup de Français ont découvert “The Fire Of Love” via sa version New Rose avec sa fameuse pochette grise), Cramps, Unknowns, Lyres, Real Kids, Dramarama, Joe King Carrasco, Dino Lee, Tav Falco et ses Panther Burns, Hellcats, Red River, Eleventh Dream Day, Eddie Ray Porter, Chris Burroughs, Mojo Nixon, Shoes, Gories, le grand songwriter méconnu Rich Minus, Alejandro Escovedo et des dizaines d’autres. En France, New Rose sortit Warum Joe, les Calamités, les Lolitas, Gilles Tandy, Tony Truant, Charles de Goal, La Souris Déglinguée, les Soucoupes Violentes, Tupelo Soul, les Snipers ou les Coronados. Ce n’est pas rien.

Légende abîmée

Mais New Rose (puis Last Call), était aussi un refuge pour les grands fauves abandonnés. Dans cette SPA de pointures à la légende abîmée et dont plus personne ne voulait, on trouvait Alex Chilton, Chris Bailey en solo, Roky Erickson, Sky Saxon, Arthur Lee, Johnny Thunders, Russ Tolman (ex-True West), Moe Tucker, Willie “Loco” Alexander, Wreckless Eric, Bruce Joyner, Jim Dickinson (via Mudboy & The Neutrons), Brian James, Henry Vestine (ex-Canned Heat), Elliott Murphy, Charlie Feathers, Paul Roland, le Legendary Stardust Cowboy, Clifford Scott, le grand Chris Spedding qui a sorti chez New Rose des albums très bons comme “Cafe Days” ou “Enemy Within”, voire Jeffrey Lee Pierce sans le Gun Club le temps d’un album de blues époustoufl­ant (“Ramblin’Jeffrey Lee & Cypress Grove With Willie Love”). Les disques de ces légendes, Patrick Mathé savait qu’il allait peu en vendre. Mais l’important était de se faire plaisir, et d’ajouter à son catalogue des musiciens pour lesquels il avait une profonde admiration... Pendant ce temps-là, le label Fan Club se chargeait de rééditer des pépites du passé. Car, en fin de compte, au-delà du business (pour lequel il était très doué : qui aurait misé un kopeck sur Calvin Russell ou son lama tibétain, les deux cumulant plus d’un million et demi de disques vendus ?), ce qui a toujours compté pour Patrick Mathé, c’était, précisémen­t de se faire plaisir... Comme Sam Phillips ou Berry Gordy en leur temps. Y a-t-il une meilleure raison pour monter un label ? ★

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Patrick Mathé avec Alex Chilton

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