Rock & Folk

L’homme aux 1000 visages

- VINCENT TANNIERES

Il y eut ce film “Man Of A Thousand Faces” en 1958. James Cagney y interpréta­it une vie romantisée de Lon Chaney. Expliquant par l’enfance et des parents sourds l’obligeant à user du mime pour communique­r, comment il allait devenir l’acteur muet et grimé, le Fantôme de l’Opéra, Mr Wu, Quasimodo, Alonzo, le lanceur de couteaux... cet Homme aux 1000 visages. Par l’enfance, oui. Pour Eric Clapton, celle-ci fut âpre, compliquée et forcément déterminan­te. A cause de mensonges d’adultes, comme souvent. L’incitant à se réfugier dans la musique comme d’autres dans la poésie, la peinture, le football. Ecoles des prodiges. Des délinquant­s, aussi. Ce sont parfois les mêmes. Un documentai­re sort ces jours-ci et raconte cela. Validé par Clapton. Eric Clapton... ce type aussi a eu 1000 vies et 1000 visages. Il est parfois même difficile de le reconnaîtr­e. Cheveux ras, sixties, Yardbirds et bluesman blanc. Plus tard, coupe afro, tunique indienne, cape de velours, cuir, moustache, barbe, mince puis légèrement bouffi, coupe d’épagneul, salopette, chemisette, jeans larges... seul dénominate­ur commun, cette propension à jouer de la guitare en fermant les yeux. Slowhand, God... cette manie que notre musique a de surnommer ses héros. Ses super-héros plutôt, car il est souvent question de roi, de duc, de prince, on le sait. Là, il s’agirait de Dieu. Rien de moins. En fait, difficile de le reconnaîtr­e, enfin que le grand public le reconnaiss­e de manière formelle, avant les années unplugged pour faire vite, les années respectabl­es si l’on peut dire, et c’est là que l’homme devient fascinant. Au-delà de sa musique. Car c’est précisémen­t à ce moment, où son art devient moins important, que lui devient mondial. Paradoxe. L’histoire a retenu le maître d’école, le look de chirurgien de clinique privée ou de radiologue comme on veut. Barbe de quelques jours, poivre et sel forcément et lunettes cerclées métal (le matériau). L’homme en costume Armani, manches de veste relevées, yeux toujours fermés, un type bien, quoi, qu’on écoute les yeux... fermés. Mais c’est oublié qu’il fut tout le contraire. Accro à peu près à tout, alcoolique, piquant la femme des potes, suicidaire comme d’autres rockers de son temps et qui ne passèrent pas, eux, entre les gouttes (la liste est connue). Mais Clapton n’élude rien dans ce “Life In 12 Bars”, c’est même la période sur laquelle il s’attarde, qu’il commente sans concession, comme pour rétablir la vérité, comme la confession ultime d’un homme à l’automne de sa vie. De lui, c’est la version adulte que l’histoire commune semble avoir retenue. Celle de ce type capable de se faire construire par Ferrari un modèle unique, rien que pour lui. Cette incarnatio­n du rock que l’on va entendre et plus vivre. Le début de la fin. Jouant soir après soir devant un public qui, pour une part, ne connaît pas son oeuvre noire. Celle de celui qui, comme d’autres, a pactisé et comme certains s’en est sorti. Réalisant cette chose impossible pour Oscar Wilde, “racheter son passé”.

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