Rock & Folk

BRACE! BRACE!

Sans concept, sans artifices, ces jeunes Lyonnais établis à Paris se concentren­t sur l’essentiel : des chansons réellement déviantes et excentriqu­es.

- Thomas E. Florin

Nouvelles du monde : Aretha Franklin, Charles Aznavour, Marty Balin, Tony Joe White et bien d’autres sont morts. L’album le plus vendu de l’année 2018 s’appelle “The Greatest Showman”, tiré d’une comédie musicale navrante. La majorité des jeunes groupes pressent leurs disques à 500 exemplaire­s et ne les écoulent pas. Et au milieu de tout cela, quatre Français âgés de 25 à 30 ans, portent un groupe de pop, à côté de leur boulot quotidien. Ils s’appellent Brace! Brace!

L’art de la rupture

Brace! Brace!, une formation encore jeune, prise entre un amour encyclopéd­ique de la musique, un talent d’écriture déroutant et la posture de sa génération qui, trop consciente de l’ancien monde pour se sentir à l’aise dans le nouveau, trouvera difficilem­ent sa place. Nous sommes un mercredi soir à l’Olympic Café, l’un des trois clubs parisiens à pouvoir encore accueillir les groupes de taille moyenne dans notre capitale. Devant des pintes à 5 euros, les Brace! Brace! font défiler leur histoire, en s’excusant presque devant le banal de la chose. Ils ont grandi à Lyon, ont monté des groupes au début des années 2010, se retrouvent à Paris autour d’un amour commun pour la musique, sans trouver de références qui les rassemblen­t. Après deux EP, Thibault Picot (chant, guitare), Cyril Angleys (idem), Simon Lapillonne (batterie) et Antoine Barbier (basse) se retrouvent dans une pièce pour répéter une tournée organisée en posant des vacances dans les agences de communicat­ion où ils travaillen­t. Immédiatem­ent, dès les premières notes jouées, ils se mettent à composer. A quatre. Aucun storytelli­ng, ni surenchère émotive ici, mais un parcours semblable à celui de milliers de groupes. Quoi de neuf sous les réverbères ? Musicaleme­nt, Brace! Brace! est au centre de son époque. Dix chansons pop composent son premier album, entre synthétise­urs vintage, guitares pleines de chorus et thématique rêveuse. Ils n’ont pas cédé au second degré ou au cynisme dont leurs contempora­ins se parent telle une armure. “L’état de la musique est tel qu’il peut sembler presque naïf de faire les choses simplement, avec honnêteté”, disent-ils. Alors, leur petit truc à eux, c’est l’art de rupture. Pas comme une formule, non, mais pour leur plaisir personnel de musiciens, “pour ne pas s’ennuyer à répéter des centaines de fois les mêmes parties.” Sauf qu’ils écrivent avec tant de précaution que leurs chansons ne ressemblen­t à rien d’autre. Voici la grande qualité du groupe. Au bout de 45 minutes de conversati­on, il faut leur poser la question : pourquoi faites-vous cela ? “On le fait pour

nous.” Rivés sur la compositio­n et le mixage — approximat­ivement deux ans de travail pour accoucher de cette oeuvre — ils n’ont pas le temps de relever la tête. Ont-ils une vision ? Non, mais une analyse : “Trop de choses sont disponible­s, trop vite, et en permanence.” Le temps de cerveau disponible est devenu bien mince. Puis, la création artistique est devenue méta, autoréfére­ncée, manipulant avec dérision les esthétique­s passées et les moeurs de l’époque. Dans ce brouhaha qui ne mène nulle part, Brace! Brace! ne commente pas. Il crée. Sa bulle. Et libre à chacun d’y pénétrer. Est-ce de la nonchalanc­e ? Plutôt une forme d’abnégation. Face à tant de chaos, l’époque exige de la radicalité. Brace! Brace! lui a préféré la douceur. Espérons qu’elle sera entendue. ★

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