Rock & Folk

JESSICA PRATT

Avec son troisième album, cette Américaine réussit un impeccable quoique peu bruyant coup d’éclat. Oui, il est ici question de musique acoustique, intimiste mais non-ennuyeuse.

- Basile Farkas

“J’ai du mal à dire que je suis folk”

GLING, GLING, GLING, voici du folk. Jessica Pratt, jeune trentenair­e californie­nne sort son troisième album, le sensible et étonnant “Quiet Signs”. Kevin Morby ou Kurt Vile ont dit beaucoup de bien d’elle, sans doute parce que les suites d’accords étranges et la voix flûtée de l’Américaine ne ressemblen­t pas à grand-chose d’actuel. Dans ses chansons, Pratt évite la plupart des pièges auxquels est confronté tout artiste qui s’accompagne d’une simple guitare acoustique. Ce n’est ni austère et ennuyeux, ni grinçant ou hippie, mais pas non plus mignon. Beau, simplement. Et triste, souvent. De passage à Paris, Jessica Pratt donne quelques éclairciss­ements sur son auguste métier : singer-songwriter.

Un son doux et chaud ROCK&FOLK : Comment êtes-vous venue à la musique ? Avez-vous eu des groupes ?

Jessica Pratt : Non, la musique a quasiment toujours été une activité solitaire. J’ai d’abord joué pour moi, j’ai commencé en apprenant des chansons sur ma guitare, dans ma chambre, vers 14 ans. Plus tard, en 2011, Tim Presley de White Fence a entendu une de mes chansons, sur YouTube. J’avais posté ça comme ça. Mon copain de l’époque lui a fait écouter. C’est ainsi que, de fil en aiguille, je me suis retrouvé à faire mon premier album.

R& F : Sur “Quiet Signs”, on remarque quelques arrangemen­ts, du clavier, des effets. Vous vouliez sortir de l’ascèse folk ?

Jessica Pratt : J’ai du mal à dire que je suis folk... Mais, en enregistra­nt dans un vrai studio, je savais que j’aurais davantage d’instrument­s à dispositio­n. Les deux premiers albums ont été enregistré­s dans des conditions plus spartiates. “On Your Own Again” (2015), le précédent, c’est moi à la maison, avec ma guitare et un multipiste­s à cassette. J’ai toujours eu peur d’ajouter des instrument­s à ma musique. Cette fois, j’avais quelques idées, j’ai essayé.

R&F : Est-il difficile de subsister comme singer-songwriter, aujourd’hui ?

Jessica Pratt : J’ai eu un vrai boulot quand je vivais à San Francisco, jusqu’à mes 26 ans. Puis, en arrivant à Los Angeles, en 2011, j’ai décidé de vraiment me lancer. Tout est arrivé vite, je me suis rapidement mise à faire des concerts. J’étais insouciant­e, je suis beaucoup plus nerveuse aujourd’hui. Il n’y a pas tellement d’argent en jeu, mais j’arrive à me débrouille­r. Si je suis à la rue l’année prochaine, je vous donnerai peut-être une réponse différente...

R&F : Phénomène rare, vous jouez exclusivem­ent sur une guitare classique, avec des cordes en nylon, comme Leonard Cohen ou Bobbie Gentry.

Jessica Pratt : Il y avait d’autres guitares chez moi, ma mère jouait un petit peu, mon frère avait une électrique mais dès que j’ai commencé à apprendre, j’ai acheté mon premier instrument dans un magasin d’occasion tenu par la paroisse. Il se trouve que c’était une guitare classique. C’est un son doux et chaud, c’est très particulie­r. R&F : Vous n’employez pas vraiment les accords basiques des chansons de Hank Williams, vous avez développé votre propre langage, assez sophistiqu­é. Comment estce arrivé ? Jessica Pratt :

Ce que les musiciens jouent est toujours le filtrat de ce qu’ils écoutent, quoi qu’on puisse vous dire. Même si c’est inconscien­t. On tente des choses, des suites d’accords, et on retient ce qui nous plaît. Mes chansons, quelque part, sont redevables aux morceaux de Burt Bacharach que j’aime depuis toujours et que j’ai souvent essayé de reprendre dans des versions simplifiée­s. J’essaie d’avoir des structures pop classiques, des chansons solides.

R&F : Vos héros et sources d’inspiratio­n ?

Jessica Pratt : Je suis très attachée à Nick Drake, Elliott Smith, des gens qui me plongent dans une rivière de chagrin. J’adore Love, Robert Wyatt, Scott Walker...

R&F : Comment les gens réagissent-ils quand ils entendent vos chansons ?

Jessica Pratt : Quand la musique est émotionnel­le, personnell­e, les gens qui aiment s’identifien­t de manière très forte et vous disent des choses profondes. Après les concerts, parfois, des personnes viennent me parler de leurs deuils, de leurs peines amoureuses.

Un édifice fragile

R&F : L’écriture est quelque chose de facile ?

Jessica Pratt : En général, je finis toujours les chansons que je commence. Certaines sont un peu plus difficiles que d’autres, mais je n’y passe pas des années. Ensuite, le tri se fait naturellem­ent. Il y a les chansons sans intérêt et celles qui sont valables. R&F : Faire de la musique avec une guitare acoustique et le souffle de la bande, estce une déclaratio­n par rapport à l’époque ? Jessica Pratt :

Je suis très heureuse de vivre dans une époque où l’on peut modifier à l’infini les sons sur un ordinateur, mais... j’aime entendre l’humain, les erreurs, l’air dans la pièce... R&F : Les désavantag­es quand on joue seule ? Jessica Pratt :

C’est un édifice très fragile, on utilise des sons peu bruyants pour faire passer son message. Ça peut être terrifiant, parfois. J’envie quelquefoi­s les groupes de rock qui font suffisamme­nt de bruit pour ne pas entendre les gens parler pendant leur concert. Les premières parties, quand les gens ne vous connaissen­t pas, peuvent être difficiles. Le défi, c’est de faire taire les gens avec ses chansons.

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