Rock & Folk

REQUIN CHAGRIN

La Française Marion Brunetto poursuit une noble quête pop sur son deuxième album. Mélancolie, réminiscen­ces new wave et bonnes chansons sont au programme.

- Alexandre Breton

PARIS, DECEMBRE. Marion Brunetto, regard incroyable­ment rêveur, attend dans une brasserie. Un expresso est aussitôt commandé ; le dictaphone paraît presque un intrus, on fonce illico dans le vif du

sujet : le commenceme­nt. “Je jouais de la batterie dans Les Guillotine­s depuis 2012. Ce projet m’a nourrie, j’ai pu me faire la main. Mais, j’avais envie de faire de la musique toute seule, quelle qu’elle soit. J’avais déménagé à Paris, où je vivais seule. J’ai commencé à enregistre­r des tonnes de trucs, souvent inécoutabl­es. C’était de l’expériment­ation. Puis, je me suis achetée un enregistre­ur ; je testais, j’ajoutais des effets, de la reverb, et là, ça a été le déclic. Je pouvais mélanger tout ce que j’avais en tête. J’ai commencé à faire un morceau de A à Z, ça m’a donné envie d’écrire des textes, ce que je ne faisais jamais auparavant. Requin Chagrin, pour moi, c’était passer à la création.”

Une drogue violente et instantané­e

L’écoute du dernier album, “Sémaphore”, produit par Adrien Pallot (Moodoïd, Grand Blanc), frappe par la concision des compositio­ns, à quoi s’ajoute

une écriture très visuelle. “La musique donne l’esprit. L’écriture vient toujours après. Elle doit coller à la musique. J’ajoute, je supprime, je coupe des mots, s’il le faut. Je ne sais pas exactement où je vais. C’est une suite d’accords ou un rythme qui dictent la suite. Pour cet album, j’ai fait des milliards d’essais. Il y a beaucoup de pertes, de tentatives qui ratent. Je suis une bricoleuse. Quant à l’inspiratio­n, il n’y a pas vraiment de références. Un bon café, et c’est parti ! Plus sérieuseme­nt, je bossais en freelance, donc j’avais pas mal de temps pour travailler sur cet album. Je me réveillais à n’importe quelle heure, je prenais mon café et rien que de voir mon matériel devant moi, ça me boostait ! Je branchais et y allais. C’est la musique qui a toujours été la source de mon inspiratio­n, pas vraiment la littératur­e ou le cinéma. Peut-être quelque chose de plus pictural. J’ai fait une école de dessin, car j’ai longtemps voulu être dessinatri­ce de mangas. Je voulais donner une suite à ‘Dragonball Z’ ! Je vois plutôt des couleurs, des images, des paysages.” Quand nous sommes tombés sur le single de 2016, “Le Chagrin”, ce fut une drogue violente et instantané­e. La drogue de la réminiscen­ce, ici lente et douce. Tout ce qui fait la puissance affective de la pop était là : la spontanéit­é, l’évidence, la Telecaster, la batterie

après-moi-le-déluge, le break orgastique. L’éternel refrain, qui nous avait déjà rendus accro à Jessica93 ou White Fence dont Marion se sent d’ailleurs proche. Avec ce “Sémaphore”, les paysages se précisent, les atmosphère­s s’étirent comme des fins d’été. La texture des guitares, aux

arpèges cristallin­s, rappellent aussi les excellents The Mantles de San Francisco. On en vient

évidemment à la claque initiale. “Indochine ! Mes parents écoutaient la radio, RFM, des choses comme ça. Je devais avoir dix ans, et Indochine est arrivé comme un truc dingue, quelque chose que je n’avais jamais entendu jusqu’alors. Pour une enfant, c’était étrange d’entendre ‘Kao Bang’. Ce groupe a été une obsession jusqu’à mes quinze ans.”

A quoi s’ajoute l’indispensa­ble passeur. “J’ai un grand frère, c’est lui qui m’a ensuite fait découvrir Cure, à travers ce best of, ‘Standing On A Beach’, avec le vieil homme sur la pochette. Cette compile, je l’ai rincée ! Et il y a eu les Smashing Pumpkins, avec ce type chauve qui faisait peur. Puis les Kills, les Yeah Yeah Yeahs, les Strokes. Et en plus, comme j’étais abonnée à Guitar Part, je m’éclatais avec ces groupes à guitares, comme les White Stripes. Après, en 2012, je suis tombée sur le catalogue de Burger Records puis sur les compilatio­ns ‘Nuggets’ ou Born Bad. Tout ça s’est mélangé. Je me rappelle avoir été obsédée aussi par ce titre du groupe Trisomie 21, ‘La Fête Triste’.”

Compositio­n monastique

On écoute, le débit est calme et l’interlocut­eur complèteme­nt abasourdi. C’est ce qui est littéralem­ent ensorcelan­t dans ce somptueux “Sémaphore” : mille signaux vers des couches étincelant­es de l’histoire de la pop. On change de sujet. Comment passe-t-on de la compositio­n monastique à l’exposition scénique? “Au début, c’était très compliqué. J’avais envie de jouer dans les coulisses ! C’était difficile, surtout pour chanter. Et puis, j’ai relativisé. Une fois que c’est lancé, c’est cool. Il y a un côté vacances dans le fait de tourner.”

C’est ça. Cool, malgré tout. Une mélancolie cool, solaire. Un peu comme l’été en hiver. ★

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