Rock & Folk

THE DANDY WARHOLS

Au tournant du siècle, le groupe de Portland fut pour beaucoup, à commencer par ce journal, un petit miracle psychédéli­que. Une folle promesse qui, bien sûr, dériva vers autre chose. Pour son quart de siècle d’existence, le gang déroule sa belle histoire.

- RECUEILLI PAR DANNY BOY

Danny Boy

PORTLAND, OREGON, 1994. Il n’était pas conseillé de s’aventurer tard dans les rues sombres et malfamées de Downtown, sinon pour y découvrir une activité musicale excitante. Dead Moon, Sleater-Kinney, Everclear, Quasi, Heatmiser (avec Elliott Smith), Wipers, Napalm Beach, tous ces groupes essentiels entretenai­ent la neurasthén­ie de la jeunesse grunge du coin. Une jeunesse abattue par la mort soudaine de Kurt Cobain, le 5 avril, non loin de là, à Seattle. Le jeune Courtney Taylor était alors le batteur de nombreux groupes locaux comme The Beauty Stab et Nero’s Rome dont il se fit virer avant de monter un groupe qui, lui, allait faire mouche : The Dandy Warhols. Un groupe rock, psyché, glam, pop, totalement différent et bien déterminé à changer la donne. A Portland, la stupeur fut générale et les détracteur­s nombreux. Aujourd’hui, en 2019, les Dandy Warhols sont un authentiqu­e groupe culte dans une ville qui a bien changé. Le quartette fête ses 25 ans de carrière et offre un nouvel album studio, “Why You So Crazy”. Rendez-vous est donné dans son refuge, l’Odditorium. La veille, le guitariste Peter Holmström y a fêté avec panache ses 50 ans. Son autre groupe, Pete Internatio­nal Airport, y a donné un set énergique suivi par DJ Rescue (Zia McCabe) qui a fait danser la foule jusque tard dans la nuit. Vaseux mais toujours accueillan­ts, les Dandys s’installent confortabl­ement dans un immense sofa. Objectif : raconter l’histoire du groupe qui a uni pour la vie Courtney Taylor (chant, guitare), Peter Holmström, Zia McCabe (claviers, basse) et Brent DeBoer (batterie).

Cool, mais pas le même cool

Courtney Taylor : Les années 90 étaient horribles. Tous nos amis étaient des ringards aux goûts musicaux affreux. Quand Pete est revenu de New York durant l’été 1993, je n’avais pas de groupe. J’avais commencé à écrire des chansons sur mon 4-pistes. Pete m’a dit : “Allez, on monte un groupe ensemble et on travaille tes chansons. Ça n’a pas besoin d’être génial, on a juste besoin de rencontrer des gens qui écoutent de la bonne musique.” On a recruté ma copine mais, bien sûr, ça n’a pas fonctionné. Alors, on trouve Zia.

Zia McCabe : Je travaillai­s chez Starbucks dans un centre commercial pendant les vacances de Noël. Un de mes collègues jouait dans un groupe, ce qui pour moi était emballant. On discutait souvent musique et c’est à ce moment-là que j’ai décidé : “C’est ça que je veux faire !” Il me dit : “Attends, ça ne marche pas comme ça ! Il faut savoir jouer d’un instrument.” Il connaissai­t Courtney. Courtney Taylor : Le gars me dit : “Je connais cette meuf super cool, elle veut être dans un groupe.” Je demande : “Est-ce qu’elle joue de la basse ? — Non, elle ne joue d’aucun instrument. — Super ! Donne-lui mon numéro !”

Zia McCabe : J’appelle Courtney et on se rencontre dans un autre Starbucks. Il est habillé de façon super cool, pantalons à fines rayures roses, boots Beatles, un look très mod. Moi, j’étais habillée très lesbienne, genre fille alternativ­e des nineties, débardeur, pas de soutif, pantalons camouflage, sandales Birkenstoc­k et cheveux teints. Cool, mais pas le même cool. On passe un moment ensemble. Je ne comprends pas la moitié de ce qu’il me dit. On va chez lui où il me montre un synthétise­ur et me dit : “Ça, c’est un la et ça, c’est un mi.” Il appelle Peter et lui dit : “Je pense que j’ai trouvé notre bassiste.” Courtney Taylor : Zia a appris incroyable­ment rapidement.

Peter Holmström : C’était choquant ! Le week-end avant notre premier gig, elle était à un concert de Grateful Dead. Elle a dessiné un clavier sur un morceau de papier et elle jouait dessus, probableme­nt sous acide. Curieuseme­nt, cette méthode a fonctionné sur elle.

Courtney Taylor : On n’avait pas de mauvaises habitudes musicales. Eric Hedford était chanteur dans un groupe de pop synthétiqu­e tragiqueme­nt horrible. Il n’avait jamais joué de batterie dans un groupe. Lui non plus n’avait donc aucune mauvaise habitude.

Zia McCabe : Notre premier concert a eu lieu au bar Laurethirs­t, le 20 juin 1994. Je venais juste de fêter mes 19 ans. Cet été-là, nous jouions trois fois par semaine. Un soir, nous avons même joué trois shows. On était tous d’accord. On ne pouvait rien faire d’autre.

Peter Holmström : Ce qui nous a propulsé vers un plus grand marché est le Café 1201. Nous avons été le premier groupe à y jouer. Nous étions ensemble depuis seulement six mois, maximum. L’auditoire était gay et il nous a adorés. Courtney Taylor : Les gens, là-bas, trouvaient incroyable qu’un groupe qui ne soit ni rap ni grunge puisse être aussi bon. Les garçons dansaient torse nu sur les tables, en sueur. Nous : habillés à la Slade, harmonies vocales, groove... On y jouait tous les mercredis et, à partir du troisième mercredi, il y avait la queue dehors, tout autour du pâté de maison. Le 1201 a fait de nous le nouveau groupe de Portland. Thor Lindsay de Tim/ Kerr Records, un label local, est venu nous voir. On lui a joué “Genius” et ça l’a renversé. Ce label était aussi important que peut l’être un label indépendan­t mais, financière­ment, les gens qui s’en occupaient étaient plutôt bordélique­s. C’était du genre : s’ils te filent un chèque, tu n’attends pas, tu vas direct à la banque l’encaisser. Ils avaient sorti

“Nous étions convaincus que tout le monde attendait un groupe comme le nôtre”

la collaborat­ion entre Kurt Cobain et William S Burroughs, mais aussi Gus Van Sant, Hole, Everclear. Ce label était tellement essentiel que toutes les majors et MTV l’avaient sur leur radar. Et j’ai fait la vidéo pour “TV Theme Song”.

Peter Holmström : On a atterri dans 120 Minutes sur MTV. C’était inimaginab­le ! Courtney Taylor : Boum ! Soudain, tu savais que des gens en Afrique venaient juste de voir ça. Tu savais que des gens à Paris voyaient ça. Cette courte vidéo nous montrait tels que nous étions, c’était notre son. Et, bien sûr, la frénésie classique des majors a suivi peu après.

Grand disque psychédéli­que

Peter Holmström : Nous avons fait une tournée sur la côte ouest quand “Dandys Rule OK” est sorti et, tout d’un coup, on nous téléphone de New York et de Los Angeles. Tous ces mecs des majors commencent à nous faire de la lèche comme si nous étions la chose la plus cool au monde.

Courtney Taylor : Ils étaient très embarrassa­nts avec leurs bouteilles de vin à 900 $ ! Sauf un : Perry Watts-Russell. Il est venu nous voir à San Francisco et il a eu droit à la totale, y compris les drogues dures lors d’une fête assez destroy. A ce moment-là, il ne pouvait pas y avoir d’autre option, on devait signer avec ce gars.

Peter Holmström : Capitol a fait des choses sympas pour nous. Ce n’était pas toujours ce qu’on voulait, il n’empêche que, grâce à eux, nous avons eu une audience mondiale.

Zia McCabe : C’est super excitant de signer avec une major. Tout le monde pense que tu deviens riche du jour au lendemain, que le succès est garanti, que la maison de disques prend soin de ses artistes. Tu réalises très vite que tout ça n’est pas vrai.

Courtney Taylor : On enregistre “Come Down” dont je n’aimais pas le mix. Tchad Blake poussait la batterie et les voix à fond. Je voulais qu’ils me fassent travailler avec Chris Lord-Alge ou ces deux mecs qui bossaient avec Radiohead. Ils auraient pu dépenser 5 000 $ et m’envoyer en Angleterre pour travailler avec des pros qui comprennen­t ce qui était nécessaire pour faire de ce disque un grand disque psychédéli­que. Au lieu de ça, ils préféraien­t dépenser un demi-million de dollars pour faire une vidéo.

Peter Holmström : C’est ce qui se faisait à l’époque... Courtney Taylor : J’ai bataillé avec Eric dans le studio. Je voulais que “Junkie” soit plus incisif. J’ai dû vraiment bosser pour rectifier le groove en post-production, pour que ça sonne correcteme­nt. Au même moment, plein de gens de Capitol Records se sont fait virer. Le président par intérim est un comptable à Arista, un label pop énorme. Je vais le voir pensant qu’on va être virés aussi et il nous dit : “Tout le monde adoooore

The Dandy Warhols !” Il m’offre un budget qui servira à payer notre promo et nous dit qu’on peut tout dépenser, qu’on peut encore faire des vidéos à 500 000 $. “Vous pouvez vivre à l’aise pendant deux ou trois ans.” Entre-temps, Eric est parti et j’ai fait appel à Brent. C’est mon cousin, on se connaît bien, il nous ressemble. C’était le chaînon manquant.

Brent DeBoer : Tout de suite, nous avons travaillé les harmonies pour les morceaux de “Thirteen Tales From Urban Bohemia”, “Nietzsche”, “Get Off”. Je me souviens d’un moment, lors de la première tournée européenne à laquelle j’ai participé, nous étions à l’arrière du bus et Courtney a joué une cassette de quelques chansons dont “Bohemian Like You”, la version 4-pistes. Il m’a dit : “Nous savons que nous avons au moins un tube !”

Courtney Taylor : “Thirteen Tales” a permis à la presse internatio­nale de mieux nous comprendre. Parce que, pour les Anglais, à l’époque de “Come Down”, les Dandy Warhols n’étaient synonymes que de sexe et de drogues, c’est tout ce qu’ils écrivaient. Ça a changé quand nous sommes arrivés avec “Thirteen Tales”, car c’était un chef-d’oeuvre.

Zia McCabe : La presse anglaise adore les histoires juteuses. Nous étions tellement à l’aise avec notre musique et notre identité que parler de drogues et de fêtes ne nous dérangeait pas. Nous étions naïfs.

Peter Holmström : Nous étions convaincus que tout le monde attendait un groupe comme le nôtre. “Godless” a été choisi pour être le premier simple aux Etats-Unis, tandis que “Get Off” était celui pour l’Angleterre. Le single suivant a été “Bohemian Like You”, il n’est même pas entré dans le top 40.

Un singe à contre-courant

Courtney Taylor : “Bohemian Like You” a explosé une année plus tard, quand on a signé pour la pub Vodafone en Angleterre. Nous étions déjà en train de bosser sur le disque suivant, “Welcome To The Monkey House”. “Thirteen Tales” a adressé un message à l’industrie, celui que nous n’étions pas un groupe de niche, que nous annoncions la prochaine vague de jeunes artistes, avec leurs looks et leurs pensées. A ce moment, de nombreux groupes quittaient les labels indépendan­ts pour signer avec des majors. “Thirteen Tales” ne sonnait comme rien d’autre parce qu’il n’y avait rien avant ce disque. La finalité des Dandys est de faire ce qui est nécessaire, c’est-à-dire ce que personne ne fait. Nous sommes l’équipe de nettoyage du rock.

Peter Holmström : Nous n’aimons pas copier. Courtney Taylor : Nous étions dans un bar à Chicago après un concert

et, pour je ne sais quelle raison, le contenu du juke-box n’avait pas été changé depuis les années 80. On entendait du Gary Numan, le premier disque de Duran Duran, Sade... J’écoutais ça et ça me démangeait : “Désolé les gars, mais je sais comment notre prochain disque va sonner.” Capitol avait un nouveau président. Un putain de cauchemar ! Il nous suppliait de faire un autre “Thirteen Tales”. Je me souviens d’un moment avec David Bowie (pour qui les Dandy Warhols assuraient la première

partie) dans le bus de tournée, nous écoutions notre nouvel album. Après trois chansons, il me dit : “Pourquoi dois-tu toujours être le premier à

tout faire ? C’est tellement plus profitable d’être le second.” A ce momentlà, j’ai réalisé que c’était précisémen­t le problème avec cette industrie. Elle est réfractair­e à l’invention, au progrès. Pour “Thirteen Tales”, trois albums m’obsédaient : “Desire” de Bob Dylan, “Workingman’s Dead” et “American Beauty” de Grateful Dead. “Planet Earth” de Duran Duran, Tubeway Army et “Station To Station” ont été mes obsessions pour “Welcome To The Monkey House”.

Peter Holmström : Nous n’aimions pas le mix final mais c’est comme ça. C’est le disque que tout le monde connaît.

Zia McCabe : Avant “Monkey House”, les garçons ne se préoccupai­ent pas trop de moi. Une prise et hop, c’était emballé. Je ne comprenais pas bien où se dirigeait le groupe. Je m’ennuyais à mort en studio. C’est avec ce disque que j’ai vraiment commencé à participer musicaleme­nt. J’ai enfin eu une pièce remplie de claviers et là, c’est devenu amusant. J’ai réalisé quelles étaient mes capacités de musicienne.

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