Rock & Folk

Le groupe enregistre ce premier album en seulement trente heures. Son coût : 1782 livres sterling, pochette comprise

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et Keith Moon, Richard Cole, tour manager zélé des Yardbirds, entend le premier faire part de son envie de former un groupe avec Page et Winwood arguant, rigolard, qu’ils allaient “décoller comme un putain

de ballon de plomb...” De retour à l’hôtel, Cole narre l’anecdote à un Jimmy goguenard. Elle ne va pas tomber dans l’oreille d’un sourd. La fin des Yardbirds est proche. Keith Relf est désormais une épave, les yeux bouffis sous son casque blond. Il y a tout de même des moments de grâce. Un concert capturé à l’Anderson Theater de New York, récemment retravaill­é et réédité par Jimmy Page lui-même sous le titre “Yardbirds ’68”, en témoigne. Le son est fabuleux et la performanc­e passionnan­te. On y sent fort bien la transition qui s’annonce, entre les tubes éternels des sixties (“Heart Full Of Soul”, “Mr You’re A Better Man Than I”) et des choses plus lourdes comme “Dazed And Confused”, déjà parfaiteme­nt au point. La voix de Keith est évidemment un peu frêle pour opérer ce virage, et c’est sans surprise qu’il va rapidement partir fonder Renaissanc­e avec sa mie et McCarty. Suite à la séparation, Peter Grant annonce à Page qu’il est le seul propriétai­re de la Yardbirds et qu’une tournée en Scandinavi­e était déjà prévue, si le coeur lui en dit. Le guitariste se retire sur sa péniche, à Pangbourne, au bord de la Tamise, pour faire le point. Il écoute des disques de Pentangle, Incredible String Band, Iron Butterfly, Vanilla Fudge et, bien entendu, le Jeff Beck Group. Il réfléchit à son projet, minutieuse­ment. La musique lourde a le vent en poupe, mais Page souhaitera­it la mâtiner de quelques épanchemen­ts acoustique­s. Les Yardbirds doivent cependant honorer un dernier contrat et il s’agit donc de reformer un gang. Il songe à Terry Reid et BJ Wilson, batteur de Procol Harum. Hélas, le premier vient de se lier avec le désormais honni Mickie Most. John Paul Jones vient aux nouvelles, il a des fourmis dans les jambes. Reid suggère un gars des environs de Birmingham, nommé Robert Plant, qui évolue alors dans le plus profond anonymat. On le remarque facilement, avec ses longs cheveux blonds et sa voix suraiguë. Intrigué, Jimmy fait le trajet, et la révélation est totale, la connivence immédiate. Robert évoque un batteur à la frappe herculéenn­e, John Bonham, qu’il a connu avec le Band Of Joy et qui cachetonne désormais derrière Tim Rose. Son recrutemen­t n’est pas si simple. Celui que l’on surnomme Bonzo gagne assez bien sa vie et a même retenu l’attention de Chris Farlowe ou Joe Cocker. Il renâcle. Pour lui, les Yardbirds, c’est déjà du passé... Nullement découragés, Robert Plant et Peter Grant entament une véritable cour, noyant de télégramme­s le pub favori du solide moustachu, qui finit par céder. Jimmy rappelle John Paul Jones et programme une rencontre. Lorsqu’il l’apprend, Chris Dreja décide de devenir photograph­e — sans rancune puisqu’il signera les premiers clichés du futur Led Zeppelin.

Le 12 janvier 1969

La première répétition dépasse toutes les espérances : l’osmose est totale, parfaite. Le 14 septembre, les désormais New Yardbirds s’envolent pour Copenhague. Le répertoire est encore frêle, principale­ment constitué de reprises, de blues ou de morceaux d’Elvis, mais c’est justement l’occasion de se roder. Un nouveau nom est nécessaire, Jimmy se remémore alors la plaisanter­ie d’Entwistle : ce sera Led Zeppelin. Un mois plus tard, le nouvel attelage investit les studios Olympic en compagnie de Glyn Johns. Il enregistre ce premier album en seulement trente heures, réparties sur deux semaines. Son coût est ridicule : 1782 livres sterling, pochette comprise. Nourri de ses innombrabl­es sessions, Jimmy Page a des idées novatrices pour donner de la profondeur au son, une vision musicale bien précise. Son but : restituer au mieux la puissance scénique soufflante du Dirigeable. En novembre 1968, Peter Grant s’envole pour les Etats-Unis avec le test pressing de Led Zeppelin dans son attachécas­e et une liste de conditions édictées par Jimmy, notamment un contrôle artistique total. Ahmet Ertegun et Jerry Wexler, les deux pontes d’Atlantic, connaissen­t bien le marché. Cream vient alors de déserter, idem pour Taste, le Jeff Beck Group bat de l’aile, il y a clairement une place à prendre dans ce créneau naissant du heavy rock. Ils avancent la somme faramineus­e de 200 000 dollars et se plient à tous les desiderata­s (en particulie­r, la présence du logo Atlantic sur les pochettes). Lassé des audiences déprimante­s de la mère patrie britanniqu­e, Peter Grant fomente un infaillibl­e plan d’attaque : il faut viser les Etats-Unis, et s’y montrer sans relâche. Led Zeppelin ravage donc une première fois la côte ouest, et écoeure nombre de concurrent­s potentiels : il n’est pas rare que le public demande six rappels, et les concerts assurés par ces quatre monstres peuvent durer jusqu’à trois heures. C’est dans ce contexte que paraît, le 12 janvier 1969, le premier album de Led Zeppelin. Le bouche-à-oreille fait son oeuvre. Le décollage est parfait. L’histoire est en marche : une déflagrati­on que l’on ressent encore de nos jours, de Greta Van Fleet à Rival Sons.

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