Rock & Folk

Il fallait s’appeler Gainsbourg pour pouvoir se permettre de telles compromiss­ions

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Ce qui pouvait sembler à peu près consensuel. Mais le rock... Du rock dur, ou connoté garage ? Du rock de chevelus ? En fait, donc, c’est surtout vu de France que le problème se posait. En France, le rock, ce n’était pas une musique faite pour le hit-parade, c’était une religion. Alors qu’ailleurs, on ne se posait pas tant de problèmes. Enfin, au début... avant que tout ne se politise. Elvis en 1954 pour des doughnuts ! Les Rolling Stones, dès 1964, qui vantaient les Rice Krispies (ils n’avaient pas encore, il est vrai, composé “Satisfacti­on” ou “Get Off Of My Cloud”). Les Yardbirds pour le soda Great Shakes, Cream pour la bière Falstaff. Une marque comme Pepsi ou, surtout, Coca-Cola pouvait s’enorgueill­ir d’un vrai bottin mondain. Du Jefferson Airplane aux Who, des Moody Blues à Left Banke en passant par BB King. L’Airplane (pourtant hippies renommés anti-système) a défendu les jeans Levi’s dans plusieurs spots, les Shadows Of Knight vantaient les chips Fairmont... Sandy Denny a promu le bon beurre anglais et le David Bowie pré-Ziggy a sucé les crèmes glacées Luv. Les seuls à tout refuser en bloc furent les Lovin’ Spoonful. Ils ne voulurent pas être les Monkees et envoyèrent balader Coca. Ils l’ont payé cher : leur merveilleu­x guitariste, l’excentriqu­e Zal Yanowski est tombé pour dope. Cela a tué le groupe. C’est à partir de la période hippie que le hiatus devint le plus évident. La pub, ce n’était ni le monde de l’art, ni celui de la révolte. Le rock, lui, tenait à garder cette aura, même dans le monde anglo-saxon. Les artistes renâclaien­t donc le plus souvent, malgré les ponts d’or proposés parfois. Il fallait être Levi’s, Pepsi ou Honda, des marques connotées, pour que l’idée leur vienne d’accepter.

“Des pâtes oui, mais des Panzani”, “Dans Banga, y a de l’eau”...

On préférait de toute façon composer des jingles, des originaux, au pire, s’inspirer de choses existantes détournées. Qui n’a pas entendu la pub Narta s’inspirant en 1974 des jerks de Pierre Henry/ Michel Colombier n’a rien entendu. Ou Thierry Le Luron imitant Tino Rossi pour vanter les mérites de Wizard. Des jingles, des originaux ? Après tout, un jingle est aussi ardu à concevoir qu’un tube, et cela obéit aux mêmes nécessités. Les plus grands, d’ailleurs, n’ont pas renâclé à s’y frotter. Jacques Loussier, le grand Serge, Francis Lai, Claude Bolling, Germinal Tenas (du rock beatnik façon Vogue au “ticket choc” de la RATP !). Jusqu’à Richard Gotainer qui semble clore la marche. La clef de ce savoir-faire est depuis longtemps tombé dans le puits. Et puis, et puis, vers les années 90, on a compris que cela revenait moins cher d’acheter clef en main. Et puis le rock ne développai­t plus une telle image de sulfure et d’irrévérenc­e. Il était devenu le passé. Le doux passé. Les golden hits. Le classic rock. Le son des Stooges du premier album, leur cri le plus sauvage pour vendre un opérateur téléphoniq­ue ? Inimaginab­le quelques années plus tôt. Et ce fut la curée. Tout y est passé. De “Sympathy” du Rare Bird (pour Chesterfie­ld) à “All Together Now” pour Fiat, on a épuisé les hit-parades. On a cherché les hits... Cela est même devenu un métier. Personne n’a été oublié. On a tout entendu. “I Fought The Law” (version Clash) pour Sony. “California Dreamin’ ” pour Renault. David Bowie, pour Chanel, Toyota, La Poste, Sony), et même Bob Dylan (Kenzo, Peugeot avec “Knockin’ On Heaven’s Door”, ce qui est un peu étrange, qui a envie de se retrouver au paradis quand il conduit une voiture ?) Ah si ! les Beatles. On ne trouve quasi que “Come Together” pour Harmonie, “Drive My Car” pour Boss mais ils coûtent bien trop cher. Certains morceaux, trop évidents ont été exploités jusqu’à la lie. “Born To Be Wild” par exemple. Jeep, Apple, McDo, Volkswagen. Rien que dans les dernières années. “On The Road Again” de Canned Heat, pour Peugeot récemment. Sinon, on a vu “Wild Thing” pour les parfums Lacoste. “Happy Together” pour Amora. “Good Vibrations” pour Chrysler. “We Will Rock You” sous-exploité par Evian. Tout et rien. Tout le monde y est passé, oui. Jusqu’à Sid (“My Way” pour Fiat) et The Clash (“Should I Stay Or Should I Go”, à satiété). D’autres ont été employés n’importe comment. “I’ll Be Your Mirror” pour France Telecom. Vraiment ? “After Hours”, aussi a été utilisé, pour Nina Ricci. Le Velvet Undergroun­d, décidément... Ah ! Et puis “I’m Not Like Everybody Else” pour vendre des ordis IBM ? Et on ne parle pas des versions douteuses. De “I Am A Man” pour Seat ou Dior, mais par Black Dragons, de “It’s A Man’s Man’s World” pour L’Oréal mais dans la version de Seal. Parfois, l’idée est jolie ou semble efficace. Parfois, même, le morceau est rare ou bien venu. Quand Scorsese, pour Chanel, utilise “She Said Yeah” dans la version des Rolling Stones, quand Dior écume les mêmes (“Paint It Black”, “Sympathy For The Devil”) en couplant ces merveilles à l’image du Delon iconique. Avant de penser à “Whole Lotta Love”. Sinon... “Set Me Free” pour H&M, “Picture Book” pour HP. Décidément, la pub revalorise­rait donc l’image des Kinks ?

A première vue, on ne peut en tirer qu’une unique conclusion.

Si le monde de la pub, par définition consensuel et fuyant comme la peste tout ce qui est clivant se jette ainsi sur rock et pop, c’est que celui-ci ne fait plus de mal à une mouche, qu’il ne signifie plus rien. Après tout, on utilise rarement Brel, Barbara ou Brassens pour la pub. Ce n’est pas assez léger. “Amsterdam” pour vendre... quoi ? Des moules Tipiak ? On en oublie que ces hits, tous ces morceaux sont, simplement, de très grandes chansons. Avant tout. Qu’on ne ferait plus jamais mieux. C’est comme la musique classique : on sait qu’elle a arrêté d’évoluer après Stravinsky. On ne lui demande pas d’être actuelle mais d’être puissante. Si le monde de la pub pour exprimer une idée de violence, de rébellion, d’urgence ne trouve toujours pas mieux que “You Really Got Me” (même si c’est pour... Mr Bricolage !) ou “My Generation”, c’est que ce rock que l’on croyait, que l’on sait mort et confit dans son fantasmago­rique passé ne l’est peutêtre pas totalement. Si pour exprimer le désir et le sexe, rien ne vaut “I Just Want Make Love To You” dans la version d’Etta James avec ce riff lubrique qui vous scie les jambes à chaque fois et cette voix trempée de blues et d’émotion salace, c’est que tout cela n’est peut-être pas complèteme­nt mort. Sinon, ils choisiraie­nt Bigflo et Oli. Ou ils demanderai­ent à un artiste d’aujourd’hui de faire un à la manière de. Le procédé, encore utilisé dans les années 2000, n’existe quasi plus. Ce n’est plus que golden hits. Encore et encore. On s’y est fait. Non ? N’empêche, quand j’entends jusqu’à la nausée les premières notes de piano de “She’s A Rainbow”, le choc émotionnel est là, toujours et encore. Ces quelques notes ont trop marqué mon adolescenc­e et mon cerveau se refuse probableme­nt à les entendre dans un tel contexte. Comme ce “Comic Strip” dont use et abuse Nina Ricci. Et j’ai — on — a envie de leur dire laissez-moi tranquille, avec mes amours, mes cicatrices et mes blessures. Ce “She’s A Rainbow” ne vous appartient pas. Ce qui est très gamin comme réaction. J’en conviens. Mais le rock n’est-il pas un truc de — vieux — gamins ?

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