Bruce Springsteen

“Springsteen On Broadway” COLUMBIA/SONYMUSIC

Le chanteur est arrivé au milieu de “Growin’ Up”, la première chanson, lorsqu’il en interrompt le fil pour faire une confession : “Jen’aijamaistrimé dansuneusine,jamaiseulemoindre boulotmanuelnibossécinqjourssur sept,etpourtantjen’aifaitqu’écrire là-dessusetj’aiobtenuunsuccès phénoménal,c’estpasbalèze?” Du 12 octobre 2017 au 15 décembre 2018, l’homme d’Asbury Park a posé guitare et piano dans un théâtre huppé de Broadway et s’est livré à un exercice inédit : se raconter en chansons, celles-ci constituant une prolongation des histoires déroulées plutôt que l’inverse. Version scénique de sa récente autobiographie, l’affaire relève bien plus du stand-up que du concert acoustique, et il est conseillé de potasser la langue de Shakespeare pour s’y plonger. Et avoir la confirmation que oui, Bruce Springsteen est un conteur sans pareil — “it’smymagictrick”, rigole-t-il. Alors voilà l’auditeur embarqué à ses côtés tandis qu’il se ridiculise à l’âge de 7 ans devant ses voisins qu’il tente d’impressionner avec une guitare dont il ne sait pas sortir trois notes, se montre tétanisé par une phrase de son père juste avant que lui-même ne le devienne, père, raconte ses idoles de jeunesse du New Jersey, rock stars qui ne le devinrent jamais car fauchées au Vietnam, ou traverse l’Amérique au volant d’une voiture sans avoir jamais conduit de sa vie. L’homme est souvent drôle, presque toujours poignant, effaré lorsqu’il évoque le climat politique actuel avant une puissante version de “The Ghost Of Tom Joad”. L’oeuvre d’un artiste tellement doué pour édifier son propre mythe qu’il peut se permettre d’en saper les fondations et d’en rire. ✪✪✪ BERTRAND BOUARD