Que Jah guide votre lecture
Emmanuel Le Magnifique PATRICK RAMBAUD Grasset
Plus de dix ans maintenant que Patrick Rambaud se lança dans la saint-simonienne tâche de rendre compte de la vie politique française et de ses acteurs avec clairvoyance et minutie. Ingrate tâche pourraient croire les (é)lecteurs que nous sommes tant cette vie politique nous semble, à la subir, une machine tordue et dysfonctionnelle dont la bassesse et l’étroitesse de vue n’est surpassée que par sa propre inefficacité et son manque d’ambition et d’humanité. Commencées en l’an I du règne de Nicolas 1er, en 2007, ces annales, maintenant au nombre de neuf, couvrent ces lustres en obéissant heureusement aux mêmes principes d’exhaustivité factuelle et d’hilarant persiflage. “Emmanuel Le Magnifique” relate donc, vous l’aurez compris, la première année du quinquennat de Macron qui, on le devine vite, ne saura pas plus que son prédécesseur, François Le Petit, guérir l’auteur de cette déprime citoyenne tenace qui le saisit à l’élection de Sarkozy et déclencha l’écriture de cette série. Casseroles, calculs, coups en douce, machiavélisme à deux balles, orgueils démesurés, artifices, manoeuvres et affaires se suivent et se ressemblent avec une consternante constance mais sont ici l’aubaine du mémorialiste et forment sous sa plume une ridicule, terrifiante et bidonnante leçon d’affaires publiques. Comme pour les volumes précédents, la pensée des livres à venir est devenue, toute l’année la lecture des pathétiques gesticulations de notre élite politique — entre nous, on fonde beaucoup d’espoir sur le traitement prochain de l’affaire Benalla — une des rares satisfactions que le désastre général nous inspire encore, ne boudez donc pas ce plaisir de gourmet.
So Much Things To Say ROGER STEFFENS Robert Laffont
Plus le temps passera et plus il sera difficile de comprendre le phénomène exceptionnel que fut Bob Marley. Jamais sans doute, un artiste n’a incarné autant, à lui seul, un genre musical, genre dont il fut non seulement le plus célèbre interprète mais, aussi, l’incarnation quasi sacrée de l’idéologie religieuse que le reggae promouvait. “So Much Things To Say, L’Histoire Orale De Bob Marley” par Roger Steffens ne fait pas mentir son titre et cette complexe compilation d’interviews et déclarations faites par l’entourage de Marley, épaisse de plus de 500 pages, restitue en effet fidèlement l’histoire et l’univers de la légende disparue au trop jeune âge de 37 ans. Steffens est peutêtre le journaliste qui connaît le mieux le reggae et les musiciens qui l’inventèrent et le firent connaître depuis ses origines et c’est fort de cette immense expérience et de ses centaines d’interviews et témoignages qu’il a choisi, coupé, collé ces déclarations pour en faire une histoire cohérente et complète. Complète, certes, cohérente, pas toujours pour le lecteur qui ne connaît pas son panthéon jamaïcain par coeur et peut avoir du mal, au départ, à s’accrocher aux longs échanges et à y discerner la trame des évènements fondateurs de la vie alors misérable du jeune Bob Marley avant les succès énormes et la célébrité mondiale. Impossible pourtant de ne pas être frappé par le mystère qui finalement entoure toujours Bob Marley, ses motivations profondes et son caractère farouche mais la dévotion presque religieuse qu’il inspirait et inspire encore est réellement unique et bien au-delà du rationnel. Si Haïlé Sélassié fut le messie des rastas, Bob Marley en fut bien le plus grand prophète et ce livre-ci, cette histoire orale-là, sont donc ses évangiles. Que saint Bob vous aide à trouver, sur YouTube ou Spotify, les nombreux titres évoqués dans le livre et que Jah guide votre lecture.
Positively 4th Street DAVID HAJDU Sonatine Editions
Indiscutablement, en nous racontant ainsi entremêlées, les vies de Bob Dylan, de Joan Baez, de Mimi FariñaBaez, sa soeur et de Richard Fariña, mari de Mimi, quatre musiciens plus ou moins cruciaux à une époque cruciale de la culture américaine, David Hajdu dans son “Positively 4th Street, Les Vies De Joan Baez, Bob Dylan, Mimi Baez Fariña Et Richard Fariña” prend le risque calculé de désorienter d’abord d’éventuels lecteurs qui ne connaissent ni Mimi Fariña ni son mari mais qui découvriront vite que les soeurs Baez et Richard Fariña méritent amplement leurs places égales dans la narration. Hajdu raconte non seulement l’éclosion et les succès des quatre artistes mais reconstitue ainsi joliment tout ce petit monde du folk des années 60, dans les salles de Greenwich Village ou à Monterey, et reconstitue parfaitement les contextes culturels et sociaux qui expliquent la fabuleuse trajectoire qui fit d’un gamin du Minnesota, la plus grande star de folk avant de faire exploser le binz en devenant électrique et de son excopine, la plus grande protest singer de son temps. Malgré tout, Mimi et Richard Fariña sont peut-être les vraies révélations de ce livre, peu connus eux-mêmes, voire oubliés, ils n’ont jamais été aussi mis en valeur et cet hommage mérité est un des charmes du livre. Pas sûr, en revanche, que les fans hardcore de Dylan apprécieront sereinement l’éclairage objectif de Hajdu qui n’essaie jamais d’effacer les côtés déplaisants du parfois monstre, ni ne le met sur un piédestal comme son statut exceptionnel nous y a habitué. Etonnamment, ou pas, ce sont deux accidents de motos presque simultanés qui ont bouleversé leur donne, mis fin à leur aventure commune et fait de l’un un mythe et de l’autre un aimable fantôme du passé. Au moment de sa mort, Richard Fariña, ami de Pynchon, projetait d’écrire un livre sur ses aventures avec Dylan et les merveilleuses soeurs Baez et le texte de Hajdu est la preuve que ce sujet ultra romanesque méritait absolument d’être écrit.