Rock & Folk

RICHARDSWI­FT

Paru en décembre, “The Hex”, album posthume de ce multli-instrument­iste et producteur mort en juillet 2018 révèle un artiste hanté et bouleversa­nt. Hommage.

- BASILE FARKAS

Bluesman au coeur brisé qui voudrait être Brian Wilson

LE 3 JUILLET DE L’ANNEE DERNIERE, ce producteur et musicien américain est mort à 41 ans, des suites d’une hépatite. De Richard Swift, on savait peu de choses. Un homme de l’ombre, qui avait enregistré dans son studio beaucoup de récents bons disques indépendan­ts, pour Damien Jurado, Laetitia Sadier, Kevin Morby, Tijuana Panthers, Valerie June, Tahiti 80 ou Nathaniel Rateliff. Le succès de ce dernier devait sans doute beaucoup aux écrins analogique­s que Swift avait confection­nés. Idem avec Foxygen, en 2013. Pourquoi “We Are The 21st Century Ambassador­s Of Peace & Magic” était-il si bon ? Parce que Richard Swift l’avait réalisé et joué la plupart des instrument­s dessus.

Le son de la folie

Disponible en streaming deux mois après sa mort, “The Hex” est sorti physiqueme­nt en décembre dernier, un album que Swift avait terminé “à 99%” dans les derniers mois de sa chaotique existence. Le disque, le septième sous son nom, est un choc sismique, une merveille. Qu’entend-on dans ce Sortilège pop mais hanté ? Un garçon qui transpose en musique ses nombreux tourments, une sorte de bluesman au coeur brisé qui voudrait être Brian Wilson. Quelques vers épars : “Aux gens que j’ai laissés/ Désolé pour les larmes engendrées” (“Dirty Jim”), “En voyant mon reflet dans la rivière/ j’ai détesté ce que j’ai vu” (“Wendy”). Swift chante cela dans des aigus brisés mais bouleversa­nts et a, lui aussi, de quoi pleurer. Rongé par l’alcool, anxieux depuis l’enfance, il voit sa vie partir en lambeaux au cours des derniers mois. Sa femme et ses trois enfants ont déménagé sans lui. Swift est resté à Cottage Grove, petite ville de l’Oregon et bosse tant bien que mal dans son studio, National Freedom, une grange aménagée. Très demandé, il s’est mis à annuler des séances en dernière minute et fait de fréquents blackouts. Le groupe Lucius, venu enregistre­r là-bas en 2017, évoque un homme habité et prévenant qui, avant toute séance, écoute des vinyles en compagnie des musiciens, histoire de saisir la vibration souhaitée. Les complicati­ons arrivent quand Swift se met à boire de la tequila dans son mug. La méthode Swift ? Mélanger, sans aucune règle, analogique et numérique. Les prises sont souvent réalisées sur un magnétopho­ne 4-pistes à cassette, offrant ainsi une compressio­n et une saturation naturelles. Ensuite, l’artisan transfère tout sur ordinateur, réalise le mix sur Pro Tools, qu’il transpose à nouveau sur une cassette, prête à être envoyée au mastering. Autre astuce, Swift passe toutes ses pistes dans un compresseu­r, un Space Echo Roland et une vieille reverb AKG à ressorts. Un ingénieur du son diplômé s’arracherai­t sans doute les poils de barbichett­e, mais les production­s de Swift possèdent un son unique, dément, au sens littéral. Il n’est pas question du ”son chaleureux” ou du “grain vintage” qu’évoquent tous les musiciens, y compris les plus médiocres, pour parler de leur nouvel album. Non, c’est le son de la folie que découvre ici l’auditeur. Il y avait du Joe Meek et du Phil Spector chez Richard Swift, une grandeur similaire. La saturation et ces cascades de réverbérat­ion sont ici au service d’une vision, paradoxale­ment très moderne. Sur “Wendy”, par exemple, Swift superpose les pistes de batterie, un petit leitmotiv d’orgue, un Mellotron, une basse et des choeurs déments. Avec son matériel, certes ancien, l’homme travaille en fait comme un producteur de hip-hop. Pas de règles, seul importe le résultat final.

Le chemin de sa rédemption

Avant “The Hex”, Swift a enregistré six albums. Moins habités, moins travaillés et cohérents, mais sur lesquels surnagent toujours des choses absolument brillantes. Pourquoi n’a-t-il pas davantage consacré de temps à son oeuvre ? Il fallait, tout simplement, faire bouillir la marmite familiale. Avec un sens du devoir très blue collar, Swift a produit en 15 années la bagatelle de 45 albums. Parallèlem­ent, il était aussi un accompagna­teur très courtisé. Il a tourné avec The Shins, The Black Keys et été membre de The Arcs, récent projet de Dan Auerbach. Commentair­e de celui-ci, sur le site américain Rolling Stone : “Il était meilleur

que tout le monde, à tous les instrument­s.” Le parcours de Richard Swift fut très étrange. Père mexicain, mère américaine, Ricardo Ochoa pour l’état civil a traversé une enfance difficile à Orange County (Californie) avec un beau-père horrible, des moqueries sur son poids ou ses origines. C’est dans des groupes de rock chrétien qu’il acquiert sa versatilit­é d’instrument­iste, avant de s’émanciper du côté des impies. “The Hex” devait être le premier volet d’un diptyque. Le second, “The Wild”, était censé évoquer le chemin de sa rédemption. De même qu’on n’entendra jamais les albums que Kurt Cobain, Jay Reatard ou Elliott Smith auraient pu enregistre­r, personne ne découvrira non plus les chansons que ce génie tardif avait en lui. Et c’est bien sûr cela le plus triste. ★

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